top of page

Grande Armée La religion à l'armée

Depuis la période de déchristianisation de la Révolution, l'armée et le peuple se sont détournés des pratiques religieuses, ceci malgré la signature du Concordat le 15 juillet 1801. D'une manière générale, l'aspect religieux reste superficiel chez les soldats. Dans les armées, si certains restent marqués par la religion, d'autres en sont complètement détachés, et même y sont farouchement opposés à commencer par le maréchal Augereau ou le général Delmas qui parlent de « capucinades » quand ils évoquent la religion.



Il existe encore des aumôniers dans les régiments français, en 1791, avant la grande période de déchristianisation menée par la Convention. Le décret du 1er janvier 1791 reconnaît un aumônier par régiment ; il l'attache à l'état-major, sans toutefois le faire figurer dans le nombre des officiers. Le décret du 1er avril 1791 n'en prévoit pas pour l'infanterie légère, ni pour les bataillons de gardes nationales. Dans la cavalerie, il existe notamment un aumônier dans les régiments de carabiniers selon le règlement du 20 septembre 1791.


Les aumôniers militaires

On trouve un aumônier, payé par le culte, dans les régiments d'infanterie créés, à partir de la garde nationale soldée, par la loi du 28 août 1791 (règlement du 20 novembre 1791). À partir de 1792, aucun règlement de composition ne mentionne les aumôniers ; ceux qui se trouvent encore dans les corps, en 1794, sont supprimés. L'arrêté relatif à l'organisation des troupes helvétiques du 30 germinal an xi (20 avril 1803) prévoit que l'aumônier du 3e bataillon de la 3e demi-brigade, sera attaché en cette qualité à cette unité ; il passera ensuite à la 2e demi-brigade. La déchristianisation entamée à l’automne de l’an ii assène le coup fatal à l’aumônerie déjà moribonde. Cependant, les Annales de la Religion, organe de l’Église « grégorienne » ainsi que les actes du Concile de 1797, font quelques mentions des « ci-devants » aumôniers militaires. L’arrivée de Bonaparte au pouvoir ne rend pas aux troupes leurs aumôniers. En 1804, Bugeaud est au camp de Boulogne et écrit à sa famille : « Je vais à la messe tous les dimanches matins. Je fais quelquefois ma prière ; jamais je n’ai été en butte à aucune plaisanterie de mes camarades. Nos chefs ont tous une mauvaise morale ; ils croient qu’après la mort tout est fini, qu’ils sont des animaux comme les autres ; ils croient à un Être suprême, mais ils le supposent neutre. »


La disparition des aumôniers militaires est souvent ressentie sous l’Empire comme une perte que certains, de leur propre initiative et à la mesure de leurs moyens, tentent de combler. S’il existe bien une aumônerie impériale, celle-ci donne trop souvent l’impression d’avoir été motivée principalement par une double politique d’urgence et d’ostentation. Dès le Consulat, puis sous l’Empire, quelques aumôniers sont dénombrés dans les écoles, les prisons, les ports et principalement aux Invalides. Napoléon rétablit la charge de grand-aumônier au bénéfice de son oncle le cardinal Fesch, primat des Gaules. L’étiquette du palais impérial de 1806 énumérant les fonctions et attributions du grand-aumônier dispose qu'il « […] nomme les aumôniers de l’armée de terre et de mer, des Invalides et de toute autre maison militaire et règle tout ce qui concerne les services et le culte dans ces établissements et aux armées ». Cependant les réticences personnelles de l’Empereur, vraisemblablement entretenues par son entourage militaire, fournissent les raisons essentielles de l’absence d’aumônier dans les régiments français de la Grande Armée.


En application du décret impérial du 7 mars 1806, les ecclésiastiques engagés dans les ordres ne sont sujets ni à la conscription militaire, ni au service de la garde nationale. L'instruction du directeur-général de la conscription, datée du 11 février 1808, comprend dans cette exemption les ministres du culte protestant (1).


On trouve les aumôniers militaires dans les écoles, les ports de guerre, les prisons militaires. Il y a également un aumônier aux Invalides. Lors de la campagne de 1807, Napoléon décide qu'il y aurait dans chaque hôpital un infirmier en chef surveillé par un prêtre catholique, mais n'oublions pas que nous sommes en Pologne, pays très pieux par excellence. Ce prêtre, en même temps qu'il exerce le ministère spirituel, doit exercer aussi une sorte de vigilance paternelle, rendre des comptes à l'Empereur et lui signaler la moindre négligence envers les malades. Thiers, dans son Histoire du Consulat et de l'Empire, ajoute que « Napoléon avait voulu que ce prêtre eut un traitement, et que chaque hôpital devint en quelque sorte une cure ambulante à la suite de l'armée » (2). Dans son ouvrage sur les Officiers tués et blessés, Martinien indique un aumônier du nom de Saint-Laurent, au 14e tirailleurs de la Jeune garde, porté disparu à la bataille de Paris le 30 mars 1814. La question semble avoir été définitivement tranchée par Napoléon qui donne un avis défavorable en 1809 au ministre des Cultes qui demandait un aumônier pour l'île Sainte-Marguerite, où les habitants sont presque tous militaires : « Cela ne regarde point la Guerre, du reste j'ai pour principe qu'il ne faut pas d'aumônier dans mes régiments. » (3) À l’École spéciale militaire impériale de Saint-Cyr, Alexandre de Patris raconte : « Le dimanche on se lève tard, on dîne, on va à l’inspection, on va à la messe du corps, l’aumônier fait une instruction, l’on entend la messe et l’on rentre en ordre. »


Dans les troupes étrangères

Selon Rösselet, il existait un aumônier au 1er régiment d'infanterie suisse ; au 2e, c’est l’abbé Suard de Fribourg, au 3e l’abbé Charpentier d’Estavayer (canton de Fribourg), au 4e l’abbé Kunz de Soleure et le « ministre » Nabholz de Zurich. Rösselet se souvient qu'à Rome, en septembre 1806, « les prêtres cherchaient à convertir nos gens en offrant dix écus à chacun d’eux. Nos vieilles moustaches se moquant d’eux, prenaient les dix écus en leur promettant d’abjurer jusqu’à trois fois et qui reçurent ainsi trente écus. » En 1807, les contingents espagnols se réunissent chaque soir pour prier. Il en est de même dans les troupes du duché de Varsovie, pays de forte confession catholique et très pratiquant ; en 1811 les régiments de cavalerie et d'infanterie  polonaises comprennent un aumônier chacun, qui font partie du grand état-major (4). Les aumôniers polonais portent un frac de drap bleu foncé avec col et parements de drap violet ; pantalon de drap foncé, bottes ordinaires, chapeau bicorne, épée avec ceinturon noir. Le 28 novembre 1811, Davout écrit à Friant, au sujet du régiment espagnol Joseph-Napoléon : « Il y a avec ces deux bataillons un aumônier qui paraît être animé d’un bon esprit. Traitez-le bien et entretenez-le par de bons procédés dans ces dispositions.  C’est par lui que vous pourrez être informé des intrigues que seraient dans le cas de faire quelques étrangers pour séduire des Espagnols. Veillez à ce qu’il ait un bon logement chez quelqu’un de sûr. » On trouve dans les Mémoires de Suckow une indication d'aumôniers dans l'armée wurtembergeoise, qui fit la campagne de Russie, et qui en perdit trois en 1812. La Restauration rétablit l’aumônerie militaire, en nommant un aumônier par corps, avec rang et traitement de capitaine, et retraite après vingt ans de service.


L'ordonnance du 1er octobre 1814 attache un aumônier à chaque hôpital militaire ; celle du 24 juillet 1816 un à tous les corps de l'armée qui portent le nom de régiment ou de légion. Le nombre global est difficile à estimer mais, en 1815, des aumôniers sont en demi-solde, classés avec les officiers de santé, et touchent une allocation de 900 F par an, c’est-à-dire la solde de capitaine.


Les offices religieux

On trouve quelques traces de pratique comme le signale Pion des Loches, alors au camp de Boulogne en 1804 : « On célèbre aujourd’hui le 14 juillet ; à 11 h nous irons à la messe solennelle, car notre armée est très catholique, tous les dimanches on nous dit la messe, nous sommes devenus bien sages depuis quelques temps, en vérité nous en avions besoin. » Le Manuel d'infanterie, titre ii, xie leçon, indique la « manière d'assister aux messes militaires » : « Il est d’usage pendant cette célébration que l’autel soit gardé par deux factionnaires qui se tiennent à droite et à gauche du chœur, faisant face au prêtre qui officie ; ils y sont posés avant que l’office ne commence, par un sous-officier qui se tient lui-même derrière le prêtre, à cinq ou six pas des marches de l’autel. Ils ont tous trois l’arme reposée, et conservent l’immobilité. À l’instant de l’élévation, le sous-officier fait un signe de tête aux deux factionnaires qu’il a dû à l’avance prévenir de la regarder ; au même moment, il donne un petit coup de crosse sur le pavé, les factionnaires portent l’arme ; à un second coup, ils présentent l’arme ; à un troisième coup, ils mettent le genou à terre de la manière prescrite au premier rang, pour le premier mouvement d’apprêter les armes, à la différence près qu’ils portent la main droite à la coiffure, et inclinent la tête. Le sous-officier, après avoir veillé à l’exécution de ces mouvements, prend lui-même cette position, et lorsqu’il voit que l’élévation est achevée, il se relève et fait présenter, porter et reposer les armes à ces factionnaires par les signaux ci-dessus. Le sous-officier fait exécuter la même chose lorsque le prêtre se retourne et prononce ite missa est. À ce même instant un tambour commandé à cet effet, exécute un roulement très court. Quand le prêtre est parti, le caporal relève et emmène ses factionnaires. »


Les Français en Espagne

Pendant la guerre d'Espagne, la pratique religieuse de certains soldats étonne les Espagnols ; nos soldats sont considérés comme des hérétiques et des créatures du diable. Quand ils vont à la messe, cela ne manque pas d’impressionner les Espagnols comme le confirment dans leurs Mémoires Gilles et de Wagré. Le premier cité est prisonnier de guerre à Bailén et il écrit : « Le dimanche suivant, les officiers vinrent réunir les compagnies pour les conduire à l’église après en avoir passé l’inspection ; les tambours de la compagnie du centre battaient des marches et les cornets de la compagnie de voltigeurs sonnaient des fanfares alternativement. Nous étions en grande tenue ; ce spectacle nouveau pour les Espagnols avait réuni sur nos pas, toute la population. Nous arrivâmes au couvent, où d’après les instructions données nous entendîmes la messe dans le plus grand recueillement. Cette conduite édifia les Espagnols qui ne pouvaient s’imaginer que nous fussions catholiques, tant les insinuations perfides des prêtres et des moines avaient fait d’impression sur eux à cet égard. » 


Wagré a laissé un témoignage dans les Souvenirs d’un caporal de grenadiers, dont l’action se passe en Espagne en 1808. Tous les Français, prisonniers de guerre à la Poibla, allaient à la messe le dimanche, accompagnés de leurs officiers. C’était la seule sortie qu’ils pussent faire en toute sûreté, car autrement ils ne pouvaient se risquer hors de leurs casernes, sans courir le danger d’être assassinés. Nous avons par contre le témoignage d’Elzéar de Mailhet indiquant la pratique religieuse dans ce pays, et pas des moindres puisque le 3 mars 1809 le maréchal Lannes se rend à la grande église de Saragosse et assiste à la grand-messe. Le mémorialiste ajoute : « On a chanté le Te Deum. Tous les historiens ont parlé de l’entrée triomphale de Lannes (24 février), et du Te Deum, chanté à cette occasion dans l’église del Pilar. De cette cérémonie je ne rapporterai qu’une circonstance qui n’a été, je crois, citée nulle part. Quand nos tambours firent un roulement général au moment de l’Élévation, comme c’est l’usage dans les messes militaires françaises, il y eut dans l’auditoire espagnol un tressaillement marqué de surprise et d’épouvante. Ils avaient pris d’abord ce bruit pour un signal de massacre, et ne se rassurèrent qu’en voyant les deux maréchaux [Lannes et Mortier] s’incliner dévotement. » Comment ne pas évoquer l’anecdote relative au général Fournier-Sarlovèse en Espagne : à Zamora, il se fait ouvrir le couvent des Visitandines par des religieuses terrorisées. Elles craignent tout de celui qui est surnommé El Demonio. Mais il va dans la chapelle, se met à l’orgue et entonne de sa belle voix les psaumes de l’office !


Deux exceptions : la Saint-Napoléon… et les Te Deum

La Saint-Napoléon (15 août) est célébrée dans la Grande Armée ; c'est le cas en 1808 en Poméranie, comme l’évoque Pouget qui sert au 26e léger : « Le 15 août nous célébrâmes la fête de l’Empereur. Un autel fut artistement et militairement construit au camp, et la messe y fut dite par le grand vicaire de Poméranie. Toutes les troupes de la division, généraux en tête, s’y trouvèrent. » En revanche, il n'est pas rare que la Saint-Napoléon soit marquée par un Te Deum. Même lors du début de la campagne de Russie, elle n’est pas oubliée. Toutes les troupes de la division, généraux en tête, s’y trouvent. Jacob confirme ce cérémonial dans ses Mémoires : « Le 15 août [1812], jour de la fête de l’Empereur, nous avons été à la messe militaire en grande cérémonie. On a chanté le Te Deum. »


Les premiers mots d'un cantique latin, Te Deum Laudamus (« Nous te louons, Dieu »), sont traduits sous forme de composition musicale pour les versets de cet hymne. Il se dit ordinairement à la fin de l'office de lecture aux fêtes et solennités et se chante debout. Après la victoire de Lützen, qui ouvre la campagne de Saxe de 1813, une circulaire est adressée aux évêques de France pour faire chanter un Te Deum et adresser des actions de grâces au Dieu des armées (5).


Le 10 août 1813, à Dresde, la Saint-Napoléon est célébrée cinq jours avant, à cause des événements militaires, et un Te Deum est chanté pendant lequel il est tiré cent coups de canon (6).


Une opposition sourde chez certains hauts gradés

« À l’issue de la cérémonie du sacre, Napoléon fait remarquer à l’un des généraux turbulents combien la cérémonie était belle et s’entend répondre : “Il ne vous reste plus qu’à changer nos dragonnes en chapelets. Quant à la France, elle n’a plus qu’à se consoler de la perte d’un million d’hommes qui sont morts pour que l’on ne revoie plus jamais de telles [capucinades]. ” Contrairement à ce que l’on a souvent dit, ces propos prononcés haut et fort sur le parvis le furent par le général Delmas et non par Augereau qui ne les auraient certainement pas démentis. Car pour lui sa religion était faite : un nouveau plan de son idéal républicain, celui de la laïcité, venait de s’effondrer » (Pierre Folliet, Augereau, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2014).


Le curé d’Ars, séminariste et réfractaire

Né le 8 mai 1786 à Dardilly (Rhône), fils de cultivateur, il est accueilli dans une petite école presbytérale au cours de l’hiver 1806-1807. Il est appelé au service en 1809 : les étudiants ecclésiastiques sont alors exempts de service militaire, mais les vicaires généraux pensent que, vu l’état de ses connaissances, il ne peut être présenté comme un étudiant. Il ne rejoint pas l’armée et est considéré comme insoumis réfractaire (et non pas déserteur car il n’a pas encore rejoint son unité et ne porte pas l’uniforme). Il s’installe sous un faux nom dans le village des Noës. Le 25 mars 1810, Napoléon signe un décret d’amnistie concernant les insoumis, à condition qu’ils se mettent à la disposition des autorités gouvernementales. Vianney demeure dans l’insoumission et les autorités infligent à son père une amende ; c’est finalement son frère Jean-Marie qui accepte de servir à sa place. N’étant plus déserteur, il regagne Écully et, en 1812, il se présente au petit séminaire de Verrières puis au séminaire Saint-Irénée de Lyon. Il est ordonné prêtre le 13 août 1815 et est nommé chapelain d’Ars en 1818 où il restera quarante et un ans. Il décède le 4 août 1859 à Ars-sur-Fromans (Ain).


Un imam chez les Tartares lituaniens

Venus de la lointaine Crimée au xive siècle, les Tartares, de confession musulmane, s’installent dans cette partie nord de l’Europe, qu’est la Lituanie. Il y aura seulement un escadron de mis sur pied, alors que Napoléon désirait un régiment ; il est commandé par le capitaine Samuel Murza Ulan. Ils sont parfois appelés cosaques polonais. Du fait de la confession musulmane de l’unité, un imam, du nom d’Aslan Abey, est présent avec le grade de lieutenant en second. Ils font campagne en Russie en 1812 et en Saxe en 1813. Après l'abdication de Napoléon, les Tartares rejoindront leur patrie.

Comments


bottom of page