Dans les années 1860, Napoléon III, auréolé de sa victoire italienne, entend afficher ses ambitions sur le plan diplomatique international. Se sent-t-il animé par une soudaine vocation messianique qui lui vaudrait aujourd’hui le qualificatif de « mondialiste », de champion des peuples opprimés au point d’envisager la création d’un grand empire latin à la porte des États-Unis ? (1) En contrepoint de la « Civil War », la guerre du Mexique qui en résulte, contribuera à ruiner les projets de l’Empire sur le continent américain.
Jean-Bernard Paillisser / journaliste et historien
Quelques mois à peine après le déclenchement de la guerre de Sécession (1861-1865), Napoléon III proclame officiellement la neutralité de la France dans ce conflit, même s’il avoue, en privé, ses préférences pour les Sudistes. Pour faire bonne mesure, il interdit à tout Français résidant aux États-Unis de participer au conflit. Il ne sera que partiellement entendu sur ce point puisque sur les 53 989 Français recensés aux États-Unis en 1860, 40 % prennent les armes dans le Nord, contre environ 60 % dans le Sud soit 12 000 combattants. Certains régiments français s’illustrent dans les deux camps.
Genèse d’une affaire franco-américaine
En fait, l’Empereur obéit par sa conduite à des motifs plus terre à terre. L’économie d’abord car les États-Unis représentent une menace (blocus des ports sudistes et donc de l’approvisionnement du coton dont la demande internationale s’accroît) pour les intérêts français si l’on tient compte du dynamisme et du développement de leur capital industriel. Sur le plan politique, l’expansionnisme de Washington (affaire mexicaine) et ses droits douaniers croissants exaspèrent aussi les agents économiques européens.
Après épuisement militaire des deux parties dû à une guerre totale, il est temps de jouer le médiateur pour Napoléon III qui propose ses services à deux reprises. Les deux belligérants conscients des ambiguïtés impériales le désavoueront en déclinant son offre. Cette tragique guerre civile ne parvient pas à affaiblir l’expansion d’une puissance mondiale en cours de développement et dont l’Europe allait payer le prix fort de ses crises de croissance.
Sur le plan interne, Napoléon III libéralise le régime et notamment la presse. Au plan extérieur, il propose ses bons offices aux belligérants du nord et du sud des États-Unis tout en faisant preuve de « suivisme » vis-à-vis de la Grande-Bretagne devenue son alliée de poids voire son « poisson pilote » dans les diverses crises mondiales. Le refus sans appel qu’il essuie des Nordistes le surprend. Par dépit et/ou calcul personnel, cette fin de non-recevoir l’oriente vers le souhait d’une victoire des Sudistes auxquels il ne pourra pas accorder l’aide demandée. Il s’investit dans la guerre du Mexique, aux effets dévastateurs pour les intérêts français.
Il s’efforce de légitimer cette guerre dans une lettre adressée au général Forey, commandant du corps expéditionnaire pour le Mexique : « Nous avons intérêt à ce que la République des États-Unis soit puissante et prospère, mais nous n’en avons aucun à ce qu’elle s’empare du golfe du Mexique et soit la dispensatrice des produits du Nouveau Monde. »
Mettant à profit l’enlisement américain du fait de la guerre civile, l’objectif est clair : absorber le Mexique en invoquant une raison financière transformée en raison d’État, une dette financière de l’État mexicain.
Origines et causes de l’implantation française
Depuis le début du xixe siècle au moins, les atouts réels et imaginaires des États-Unis attirent suffisamment nos compatriotes pour qu’ils s’y établissent.
Les soubresauts déstabilisants de la vie politique française – de la royauté à la Révolution puis à Empire – et leurs retombées économiques et sociales expliquent ce tropisme américain.
On compte ceux qui, par devoir, entreprennent leurs parcours professionnel (diplomates, militaires) ou par aventure entendent trouver mieux que ce que la France est en capacité de leur offrir. À la tentation des grands espaces et de l’exploitation des gigantesques ressources naturelles, ils succombent aussi volontiers aux mille opportunités économiques et sociales offertes par un pays audacieux en expansion. Un pays qui repousse toujours de plus en plus loin ses frontières vers l’Ouest et les Caraïbes quitte à bousculer ses voisins (Mexique en particulier) mais qui force l’admiration par sa confiance en lui-même et un dynamisme perdu par la Vieille Europe.
La découverte de l’or en Californie ne fera qu’accentuer le mouvement migratoire puisque 40 000 à 50 000 Français franchiront l’Atlantique pour tenter l’aventure du « rêve américain » et faire fortune.
S’il semble à l’observateur impossible d’établir une typologie de ces expatriés (2), quelques études nous rappellent l’origine des groupes sociaux et professionnels composant la diaspora française. On y trouve des aristocrates (un aller sans retour) ayant fui la Révolution de 1789 et la Terreur, des diplomates qui, au fil des ans deviennent vite au contact de la société américaine des affairistes et ont leurs entrées chez les élites locales et dans les milieux d’affaires. Des marchands, des investisseurs, des spéculateurs en quête du dernier « tuyau » boursier, des réfugiés « politiques », des missionnaires souhaitant exporter le modèle religieux français et enfin des inclassables dont les itinéraires ne répondent à aucune pression politique ou sociale mais à des choix personnels.
Ce qui caractérise le plus la colonie française est donc sa grande diversité économique, sociale et politique.
Un seuil démographique faible mais actif
On a pu estimer qu’en 1850, à la veille de la « Civil War », 54 069 Français vivent aux États-Unis (3). Ce chiffre doublera en 1860 avec la ruée vers l’or californien (109 870). Une population numériquement faible en quantité mais active en qualité… et en diversité. Elle s’établit principalement dans l’État de New York, la Californie et la Louisiane où l’usage du français facilite le quotidien. Car cette population contrairement à d’autres catégories d’immigrés, est formée, éduquée et privilégie les activités de service à celles de l’industrie. Hormis la barrière de la langue anglaise, elle sait s’intégrer et travailler dur pour atteindre ses objectifs économiques ou familiaux.
Au début de la guerre civile, Napoléon III qui prône la neutralité de la communauté française aura bien du mal à se faire entendre d’elle. À plusieurs titres. De fait, les Français sont équitablement répartis dans les deux camps : le Nord industriel et/ou le Sud cotonnier au hasard de leur installation dans le pays. Ils prendront part aux combats, selon leurs convictions, dans l’un des deux camps et épouseront selon leur environnement, leurs valeurs qu’ils défendront au péril de leur vie : abolition et/ou maintien de l’esclavage et création d’un État sudiste qui peine à se faire reconnaître par les grandes nations européennes. Dans le nord, Régis de Trobriand commande les gardes Lafayette de New York. L’avocat de la cause sudiste est Édouard Lacouture qui tente vainement de convaincre Napoléon III de soutenir le Sud.
Sur le terrain des combats, on note la présence de nombreux Français tels le général Beauregard, l’amiral Farragut, John Frémont, commandant en chef des troupes fédérales de l’Ouest. Cette participation leur vaudra à la fin de la guerre, les sympathies des deux camps et leur reconnaissance en tant qu’Américains à part entière. C’est dans ce contexte agité que la Marseillaise a pu être chantée à maintes reprises dans les villes américaines. Un témoignage situe l’attachement porté à la France : « L’attachement que le peuple américain porte à la France diffère de ses sympathies envers les autres pays. Il honore et aime la France parce que les deux nations se souviennent avec fierté du temps où elles étaient alliées. »
Une crise « Nord-Sud » lointaine et durable
Les historiens qui s’interrogent sur les raisons du déclenchement de la guerre de Sécession butent souvent sur l’une de ses principales causes. Ainsi, l’abolition de l’esclavage apparaît généralement comme le moteur principal de ce conflit particulièrement meurtrier (600 000 victimes) et est mis régulièrement en avant… Pourtant c’est bien la sécession de la plupart des États du sud qui a eu un effet déclencheur et plus déterminant que l’abolition de l’esclavage.
Or, même dans les États du Sud, la cause de l’esclavage ne faisait pas toujours l’unanimité. Certains planteurs ont pu considérer que le travail libre était beaucoup plus productif que celui des esclaves.
Bien d’autres sujets de discorde s’étaient manifestés entre le Nord et le Sud depuis l’Indépendance des États-Unis et la rupture s’annonçait inévitable tant les tensions étaient vives.
Les premiers conflits concernent la question fédérale entre les fédéralistes partisans de la Constitution constitués par les gros propriétaires et les républicains (fermiers, boutiquiers) souvent critiques et rebelles à l’autorité de la fédération. L’esclavage pour des questions de sauvegarde de l’Union n’est pas en cause. Il symbolise, comme le bétail et les terres, l’appartenance à une classe économique supérieure. Au fur et à mesure de l’avancée vers l’Ouest, les républicains refusent de se soumettre à la « tyrannie » des planteurs du Sud et des fermiers de l’Ouest et l’idée de sécession commence à faire du chemin dans les esprits.
Cette inclination pour l’autonomie va devenir un rituel. Chaque fois qu’un État du Nord ou du Sud se déclare mécontent du traitement qu’il subit, il invoque la sécession et tente de regrouper l’appui de ses voisins sur ce thème.
En 1814, une résolution du parlement du Massachusetts s’indigne « d’être réduit à un conseil municipal ». L’année suivante, c’est au tour du Connecticut de déclarer : « En cas d’infractions délibérées, dangereuses et évidentes de la constitution affectant la souveraineté d’un État et les libertés du peuple […] ce n’est pas seulement le droit, mais le devoir de cet État d’interposer son autorité pour les protéger. »
Mais toutes ces tentatives d’autonomie se révèlent vouées à l’échec faute d’organisation et d’intérêts économiques assez puissants pour tenter l’aventure.
L’esclavage en 1860 – date de l’élection du républicain Abraham Lincoln – est en vigueur dans onze États sur dix-neuf. Cette main-d’œuvre bon marché qui ne dispose d’aucun droit civil, souvent maltraitée, rarement émancipée, représente pour les propriétaires du sud un investissement inépuisable car si la traite des esclaves est interdite aux États-Unis depuis 1808, l’esclavage y demeure autorisé.
Comme outil de production, il va de pair avec le progrès technique – l’invention en 1793 de la machine de Withney – qui enlève les graines de coton brut dans des zones produisant du coton réputé médiocre. Du fait de la demande internationale, le coton réclame des terres et de plus en plus de bras, l’esclavage s’avère donc une solution économique rentable pour les États à coton : la Caroline du Sud, la Géorgie, la Floride, l’Alabama, la Louisiane, le Mississippi et le Tennessee.
A priori, le Nord et le Sud semblent au point de vue économique à la fois différents et complémentaires en dépit de leurs caractéristiques géographiques. Le capitalisme industriel a choisi le Nord pour y installer usines, établissements commerciaux, banques. Le Sud s’est spécialisé dans la culture et l’exploitation du coton. Les valeurs sont aussi différentes : au Nord, l’esprit d’entreprise, le dynamisme patronal, le souci d’échanger avec le plan international et au sud, une culture plus méditerranéenne épousant le climat local privilégiant le statu quo social.
Conséquences économiques
Entre 1798 et 1800, la quasi-guerre oppose la République française et les États-Unis. C’est une guerre maritime au cours de laquelle chaque camp capture soit des navires – les Américains en confisquent quatre-vingt-cinq –, soit des bateaux marchands – deux mille d’entre eux sont saisis du côté français. Durant ces affrontements, les produits français subissent un embargo américain.
Ce conflit a pour origine des soupçons de malversation d’agents de l’administration française aux dépens d’armateurs américains. Il présente des effets négatifs pour le commerce maritime international qui voit ses primes d’assurances commerciales augmentées considérablement et sur le plan diplomatique puisque les deux pays rompent leur alliance et retrouvent d’un commun accord leur neutralité… C’est le traité de Mortefontaine le 30 septembre 1800 qui mettra fin à ce conflit méconnu.
Le conflit entre le Nord et le Sud et le blocus des ports sudistes qui en résulte aux termes de l’application du plan Anaconda (19 avril 1861) expose l’Europe à une « faim de coton ». Certaines régions françaises vont en souffrir par manque d’approvisionnement : l’Alsace, le Nord, la Normandie. La puissance de l’industrie cotonnière en France comme en Angleterre, se mesure à ses effectifs. Elle emploie 350 000 ouvriers en France presqu’autant en Angleterre. Conséquence directe : la pénurie entraîne le déclin des ventes et leurs prix se fixent au prix de la matière première qui double en 1862.
La question vitale qui se pose alors à l’Empire est de quelle manière rompre le blocus des côtes sudistes qui porte sur 5 000 km à surveiller. Emploi de la force ? La France n’y est pas décidée. La négociation ? Elle est par avance vouée à l’échec tant la méfiance à l’égard de Napoléon III est grande compte tenu de ses visées sur le Mexique.
Le camp impérial se divise. Ses ministres (Morny, Walewski et Rouher) approuvent une démarche d’information avant toute initiative. Thouvenel s’y oppose.
La crainte de l’expansionnisme américain
Cette crainte est bien fondée. Les États-Unis sont en train de devenir, depuis leur fondation, une véritable puissance continentale ce que confirment la vente de la Louisiane (1803), l’annexion du Texas et la guerre du Mexique (1846-1848) qui s’ensuit. Ce pays doit céder pour mettre fin aux hostilités avec son puissant voisin – « cession mexicaine » – le Texas, le Nouveau Mexique et la Californie (traité du 2 février 1848), soit en comptant ces trois États 1 435 367 km2, soit plus de deux fois la superficie de la France.
Cette expansion arrogante commence à indisposer les chancelleries et à inquiéter les puissances européennes qui recherchent le contre- feu. Les États-Unis ne manqueront pas, par la suite, de s’ingérer dans les affaires mexicaines pour chasser la France de ce pays. La preuve la plus éclatante est celle de la non-reconnaissance de Maximilien d’Autriche par le gouvernement de Washington et l’appui armé à son adversaire…
Elle use quand ses intérêts sont en jeu de la doctrine Monroe selon laquelle toute intervention européenne dans les affaires du continent américain est perçue comme une menace pour la sécurité et la paix et ainsi éloigner les convoitises européennes.
Jouer les bons offices
Au nom de Napoléon III, son ministre des Affaires étrangères Drouyn de Lhuys publie un texte daté du 15 novembre 1862 transmis aux ambassadeurs anglais et russe. Ce document concerne une proposition de médiation qui se veut commune aux puissances maritimes de l’époque.
Il propose un armistice sans combats, d’une durée de six mois, accompagné de la création de deux États. Concession inacceptable pour les Nordistes. Sont, tour à tour, alléguées les souffrances des populations, l’importance des retombées de la guerre pour l’économie européenne qui entre dans un cycle de crise affectant les pays destinataires de la note.
Cette main tendue sera finalement rejetée par les Nordistes. Napoléon III passe, selon l’expression d’un auteur, pour un« brouilleur de cartes » en intervenant au Mexique. La France est désireuse d’obtenir l’assentiment de l’Angleterre et de la Russie qui se désistent finalement. C’est en janvier 1863 que Napoléon III décide de faire cavalier seul et de se proposer, une nouvelle fois, comme médiateur aux parties belligérantes.
Avec l’annonce des succès nordistes, la position diplomatique de l’Empire va peu à peu s’infléchir et s’évertuer à trouver une autre opportunité. L’intervention au Mexique fera l’affaire.
De fait, la neutralité stricte devient la règle car toute intervention serait un sujet de guerre entre les États-Unis et la France.
Les illusions sudistes
Pour autant, les Sudistes ne renoncent pas à faire partager leur cause à la France impériale dont ils espèrent l’engagement à leur côté. Un envoyé spécial des Confédérés, John Slidell, rend visite pour cela à Napoléon III qui lui accorde deux audiences. Celle du 28 octobre 1862 le déçoit puisque l’Empereur lui annonce qu’aucun soutien public n’est envisageable. Pour ce dernier, les intérêts vitaux de la France ne se situent pas en Amérique.
La doxa favorable à l’esclavage a perdu du terrain en France depuis son abolition dans les colonies (décret du 27 avril 1848 de Victor Schoelcher) et en Angleterre. C’est aussi sur un plan moral que se jouent le sort et les enjeux de la « Civil War ». Les promesses des sudistes succèdent alors aux tergiversations impériales : offre du Texas en particulier et du coton contre des fournitures d’armes, un emprunt financier et la reconnaissance de facto de l’État sudiste. Le camp nordiste se déclare hostile à ces approches qui obtiennent un début de réalisation du côté français et de ses manquements à la neutralité. Il le manifeste par son ambassadeur à Paris, Dayton, qui rend public un rapport à charge remettant en cause la neutralité de Paris dans l’affaire américaine.
En fait, Napoléon III apprécie peu en son for intérieur l’Amérique et ses habitants. Lors de son séjour forcé de deux mois à New York où il débarque le 30 mars 1837 à la suite de son coup d’État avorté, il s’en ouvre dans ses lettres à sa mère et à son ami Vieillard. Il reconnaît certes au pays « une immense force matérielle mais il lui dénie toute force morale ». Il trouve sur place une population dynamique mais inculte et « occupée par la frénésie du gain ». Il y retrouve sans conviction quelques-uns des siens tels Pierre Bonaparte, Gricourt, le fidèle Arese. Il y fréquente les salons où il rencontre Hamilton, Levingstone, Dewitt-Roosevelt, l’écrivain Washington Irving. Ce pays ne représente pas la panacée pour lui quand il considère le sort des cousins Murat, émigrés de longue date dont l’un est devenu employé des postes et l’autre responsable d’une pension de jeunes filles.
En mai 1837, l’Européen qu’il est, se sent « choqué, froissé, vexé, mortifié, dépaysé… » Ses saillies sont dures mais réalistes : « Peuple de marchands. Il n’y a pas un homme qui ne spécule » ou encore « les États-Unis, terre de liberté avec ses 3 millions d’exclus » évoquant ainsi l’esclavage des Noirs. Un long périple à travers les États-Unis est programmé qu’il n’aura pas le loisir d’accomplir, les nouvelles de la santé de sa mère étant mauvaises et le réclamant à son chevet.
Méfiance des visées françaises sur le Mexique
C’est sur le Mexique que Napoléon III a jeté son dévolu. Afin de résister à l’expansionnisme américain sur le continent du même nom et faire contrepoids, Napoléon III parvient à convaincre Maximilien d’Autriche, le frère de François-Joseph, de devenir l’empereur du Mexique et de destituer le président en fonction, Juarez.
Dans les plans de l’Empereur, il sera soutenu, à ce titre, par l’armée française et les libéraux. L’expédition du Mexique (1861-1862) comprend, outre la France, des contingents d’Espagne et du Royaume-Uni, ces deux dernières puissances se retirant en avril 1862.
Cette aventure militaire qui dure cinq ans se terminera par un repli sans gloire doublé d’une lourde faute donnant raison à Saligny, son ambassadeur à Mexico : « Mais ce monarque [Maximilien] n’aura rien pour le soutenir le jour où l’appui de Votre Majesté viendra à lui manquer. »
Ne pas partager son influence sur le continent américain
L’enjeu est de taille : en souhaitant établir en Amérique latine, un empire latin et catholique s’adossant à un pays protestant comme celui des États-Unis, Napoléon III prend le risque de défier un pays englué et paralysé par une terrible guerre civile mais toujours prompt à défendre ses intérêts vitaux.
La première phase du plan répond au projet impérial. L’Empire mexicain qui durea trois ans est reconnu par les puissances européennes. La conquête du Mexique achevée, la couronne d’Empereur du Mexique échoit à l’archiduc Maximilien (10 avril 1864). Ce dernier a mis de longs mois à réfléchir à la promesse de couronne impériale faite le 3 octobre 1863. Il demande avant d’accepter des garanties financières et militaires. Il va se retrouver très vite isolé car le soutien des conservateurs mexicains et une politique libérale ne suffisent pas à mettre fin aux désordres…
Sa chance ? C’est la paralysie – relative – des États-Unis dont la guerre de Sécession accapare toutes les ressources et les moyens humains. En 1864, avec les succès militaires sur le Sud, Washington a les mains plus libres pour condamner l’intervention de la France au Mexique. Le Congrès vote une résolution condamnant l’intervention française.
Le ton continue de monter entre les deux puissances à la fin de la guerre civile en 1865. Les États-Unis font savoir qu’ils considèrent désormais le gouvernement de Juarez comme légal, à l’inverse de celui de Maximilien. La rupture diplomatique menace car Napoléon III se révèle volontairement sourd aux menaces américaines et à la référence faite à la doctrine Monroe par le personnel diplomatique américain. Dans ces conditions de pressions, l’affrontement paraît inévitable.
Un contingent français se retrouve, fin 1865-début 1866, au contact direct des troupes américaines de l’Union dans le village de Bagdad proche du Rio Grande où un combat a lieu le 4 janvier 1866. Devant la forte résolution des États-Unis et l’aide militaire apportée à Benito Juarez, les troupes françaises vont quitter le Mexique en 1866 accompagnées par les contingents des autres nationalités abandonnant Maximilien à son triste sort. Capturé par les républicains mexicains, il est jugé puis fusillé en 1867 à Queretaro (Mexique).
Avec l’appui des États-Unis, la république mexicaine incarnée par le gouvernement juariste reprend du service. Aux yeux des Mexicains, Juarez est un héros. Il a su résister à l’intervention française sans quitter le pays. Avec cette victoire, les Américains entendent appliquer la doctrine Monroe à tout le Nouveau Monde. Par la suite, le Mexique retourne à ses vieux démons avec l’agitation des généraux vainqueurs et les dissensions internes qui opposaient les libéraux. À la mort de Juárez, en 1872, le Mexique est à nouveau au bord de la guerre civile.
Un instant décisif
Il serait erroné d’affirmer comme certains auteurs, que la guerre de Sécession a été celle de « l’indifférence européenne ». Bien au contraire, les puissances européennes ont souhaité intervenir diplomatiquement pour des raisons économiques essentiellement dans ce conflit Nord-Sud. Elles en ont été empêchées par l’administration américaine et son application stricte de la doctrine Monroe.
Cette guerre n’a pas non plus été qu’une guerre américo-américaine. Si sa fin conforte les milieux économiques européens, l’abolition de l’esclavage (18 décembre 1865) est accueillie par les puissances européennes comme une victoire morale à mettre à l’actif de la nouvelle puissance des États-Unis.
On frôle même la guerre entre la France et les États-Unis à propos de l’intervention mexicaine et de l’installation de Maximilien d’Autriche sur le trône mexicain. Seward, le ministre des Affaires étrangères américain, n’a de cesse de rappeler à l’ordre à plusieurs reprises Napoléon III qui n’en tient aucun compte. Ce dernier doit finalement retirer ses troupes en 1867 pour éviter le pire…
Mais le plus important reste qu’en dépit des accrochages et des démêlées internationales que suscite ce conflit, il ne parvient pas à instaurer un réel divorce entre les États-Unis et l’Europe. Jaloux de préserver leur zone d’influence et leurs intérêts, les États-Unis, après avoir sauvé l’Union, entendent rester maître chez eux en assignant à l’Europe la place d’un partenaire turbulent mais irremplaçable.
Bibliographie
Farid Ameur, La guerre de Sécession, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2018. I Georges Bordonove, Les grandes heures de l’Histoire de France. Napoléon III, Paris, Pygmalion, 1998. I André Kaspi, La guerre de Sécession. Les États désunis, Paris, Gallimard, 1992. I Léon Lemonnier, La guerre de Sécession, Paris, Gallimard, 1943. I Jo Saadé, « La guerre de Sécession vue par les journaux français », Bulletin de l’Institut Pierre de Renouvin, IRCE, n°39, 2014, p. 29-40. I Philippe Seguin, Louis Napoléon le Grand, Paris, Grasset, 1990. I Tangi Villerbu (dir.), Les Français et les États-Unis 1789-1815. Marchands, exilés, missionnaires et diplomates, Presses Universitaires de Rennes, 2017.
Une presse française en voie de libéralisation
La presse écrite connaît entre 1860 et 1868 de nombreuses évolutions sous le Second Empire jusqu’à devenir, sous la pression de l’opposition républicaine et orléaniste, un outil politique.
Une loi du 17 février 1852 organise la presse dans un sens plus libéral que la précédente législation qui déférait trop systématiquement aux tribunaux de police les délits commis par la presse (provocation ou tentative de provocation, calomnies ou injures à l’Empereur)… Toutefois, la presse demeure soumise à autorisation préalable et à avertissements, ce qui rend encore sa marge de manœuvre particulièrement étroite.
Durant le Second Empire, la victoire de la guerre d’Italie marque une évolution timide mais réelle vers un régime plus libéral. L’Empereur assouplit les méthodes de propagande gouvernementales en autorisant de nouveaux titres tels que L’Opinion publique, Le Monde ou encore Le Temps. La popularisation des journaux à 1 sou accroît leur lectorat. L’objectif de la censure étatique évolue aussi. Il s’agit pour elle de limiter dorénavant les dangers politiques potentiels dont sont porteurs certains journaux et non d’interdire ou de réprimer systématiquement.
Une nouvelle forme de journalisme, utilisée déjà lors de la guerre de Crimée dans laquelle s’illustre le reporter britannique Roger Fenton, apparaît. C’est celle du reporter pour lequel la seule vérité est celle qui émane du terrain, aussi cruelle soit-elle. De factuel, le métier d’informateur devient visuel et accessible pour tous.
Dans une étude citée en bibliographie, son auteur affirme que plus de quatre cents articles sont consacrés à la guerre civile américaine (A). Le public s’intéresse aux véritables raisons qui ont provoqué cet éclatement de l’Union, sur la durée des hostilités et ses conséquences directes sur l’industrie du coton mise à mal par l’embargo du Nord, sur les réactions des puissances européennes…
Mais c’est surtout les affiliations politiques des journaux qui guident leurs lignes éditoriales en faveur de l’Union ou de la Confédération sudiste. Le public suit passionnément les reportages de ce type de journalisme de terrain qui prend des risques physiques pour raconter le sort du monde et des armes à ses contemporains.
L’entrée de la France dans la modernité avec la révolution industrielle (machine à vapeur, chemin de fer, télégraphe…) se poursuit sous le Second Empire.
Après des années de répression (emprisonnement, déportation en Algérie, condamnation à des amendes), la presse se développe et plusieurs titres nouveaux traitant de domaines spécialisés (économique, juridique, féminine, enfantine, religion, artistique, littéraire, satirique) captivent leur public. Elle conquiert une indépendance croissante et relative vis-à-vis du pouvoir politique. Elle en use tout en abusant parfois en encourageant la satire comme art d’informer.
Jo Saadé, « La guerre de Sécession vue par les journaux français », Bulletin de l’Institut Pierre de Renouvin, IRCE, n°39, 2014, p. 29-40.
La vision des reporters américains
La guerre de Sécession fait naître le reportage de guerre aux États-Unis. Ainsi, Barnard, photographe de l’armée du Mississippi, publie ses travaux portant sur la campagne du Tennessee (1864-1865) grâce aux progrès techniques favorisant la prise de vue accélérée et la diffusion des épreuves. Gardner fait valoir son talent de portraitiste pour photographier les soldats partant au front. Il deviendra chef photographe de l’état-major du général MacClellan, commandant l’armée du Potomac.
Mathew B. Brady (1822-1892) est l’un des premiers Américains à mettre en valeur les atrocités et les absurdités de la guerre de Sécession. Sa rencontre avec Louis Daguerre, l’inventeur du daguerréotype (dispositif photographique fixant une image sur une plaque de cuivre argentée), le prédestine à la photographie. En 1862, il expose des photographies de la bataille d’Antietam, avec des détails crus (cadavres sanglants), une démarche novatrice aux États-Unis. Il est considéré comme l’un des meilleurs photographes de la guerre de Sécession et de ses batailles (Bull Run). Deux confrères, Alexander Gardner et Timothy O’Sullivan, réalisent A Harvest of Death, l’une des représentations les plus réalistes de cette guerre. On leur doit le Photographic Sketch Book of the War d’Alexander Gardner, en 1865, et une série de dix planches photographiques de la bataille de Gettysburg.
Œuvrant dans le même genre, on peut citer l’Américain Timothy H. O’Sullivan (1840-1882).
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