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La marche à l’Empire Bonaparte devient Napoléon

Quel processus et quel cheminement ont amené le fils de la Révolution et missionnaire de ses idées, général devenu Premier consul de la République, à gravir le dernier échelon d’un pouvoir absolutiste total et à s’asseoir sur le trône impérial ?



Paris, 2 décembre 1804, 9 h du matin. Cinq cent mille Français sont réunis pour accompagner le sacre, événement exceptionnel ayant pour théâtre la cathédrale Notre-Dame. Après des années de bouleversements, marqués notamment par la Terreur et un régicide, la France s’apprête ce jour à lier son destin au nouvel homme providentiel.

Bonaparte s'est pourtant toujours montré méfiant vis-à-vis d'un couronnement. En grand connaisseur de l’histoire antique (et de Plutarque particulièrement), il sait quel fut le châtiment infligé par certains patriciens à César pour avoir voulu s’élever comme souverain et trahir la République. Sa propre existence lui a prouvé l’instabilité des régimes établis depuis la chute de la monarchie et sa relation avec l’un des frères Robespierre lui a d’ailleurs valu d’être arrêté le 9 août 1794. Mais c’est avant tout l’épreuve du coup d’État de Brumaire (9-10 novembre 1799) qui occupe son esprit.


Un « sabre » pour achever la Révolution

Il se souvient de l’hostilité des députés lorsqu’il a pénétré dans la salle de l’Orangerie du château de Saint-Cloud pour précipiter la conclusion de l’affaire. Les cris résonnent encore dans sa tête : « Mort au tyran ! À bas le dictateur ! Vive la République et la Constitution de l’an III ! » Peu s’en est fallu que l’épisode ne tourne au désastre. Dans la nuit du 18 au 19 brumaire, il s'était couché avec un pistolet sous son oreiller. L’intervention habile de son frère Lucien, suivie par l’action de la troupe, ont transformé une situation incertaine en succès. Mais même vainqueur, il a confié à Talleyrand : « C’est un si grand malheur pour une nation de trente millions d’habitants et au xviiie siècle d’avoir recours aux baïonnettes pour sauver la patrie. » Sa seule présence, qu’il jugeait indispensable devant le conseil des Cinq-Cents, n’a pas suffi à intimider les députés. Enivré par ses succès en Italie et en Égypte, il croyait se rendre aisément maître de la France. Et c’est en tant que membre de l’Institut, en intellectuel et non en militaire qu’il voulait réussir.


Même si une apparence de légalité couvre la naissance du Consulat, Brumaire reste un « coup de force militaire » qu’il est obligé d’admettre. Son objectif était d’obtenir le consentement d’élus choisis par le peuple afin d’en devenir le représentant légal : « Ce n’est pas comme général que je gouverne, mais parce que la nation croit que j’ai les qualités civiles propres au gouvernement ». Son souhait a échoué. Bonaparte, génial stratège, tire donc leçon de ses erreurs passées et se les approprie pour concrétiser ses fins. Il a compris que pour exercer son pouvoir, il dispose de plusieurs leviers qu’il peut manier alternativement ou de conserve pour renforcer sa position et sa légitimité. Pour ce faire, Bonaparte a besoin avant tout de paix. Paix intérieure qu’il obtiendra par le rétablissement de l’ordre et la fin du chaos engendré par la Révolution ; paix extérieure en mettant un terme aux conflits qui opposent depuis près d’une décennie la France aux monarchies européennes. Alors la légitimité sera sienne et Bonaparte pourra se poser en homme providentiel, représentant de la volonté populaire.


Les « masses de granit »

Sa première démarche est de reconstruire une France profondément affaiblie par les crimes de la Terreur et la corruption du Directoire. Il veut poser les « masses de granit » pour la transformer en un État moderne et durable, dans lequel les citoyens pourront placer leur confiance. Tel Auguste trouvant « une Rome de briques pour la laisser en marbre », il juge cette situation égale à la sienne et présente un objectif en tout point similaire à celui du Princeps : « On a tout détruit, il s’agit de recréer. Il y a un gouvernement, des pouvoirs, mais qu’est-ce ? Des grains de sable. » Il définit clairement son intention de refonder la Nation de fond en comble, bien qu’il ait conscience que l’État n’est rien s’il n’est qu’apparence : « Croyez-vous que la République soit définitivement acquise ? Vous vous tromperiez fort. Nous sommes maîtres de le faire, mais nous ne l’aurons pas fait et nous ne l’aurons pas, si nous ne jetons pas sur le sol quelques masses de granit. » En outre, un État fort repose sur des structures solides.


Le Premier consul se présente en continuateur de la République par son soutien de la loi du 28 pluviôse an viii (17 février 1800). Sont ainsi conservés les départements hérités de l’ère révolutionnaire, mais Bonaparte les découpe en arrondissements communaux à la tête desquels sont placés des fonctionnaires, et notamment un préfet au sommet. Tous sont choisis par sa propre initiative, et ils ne se doivent en aucun cas d’avoir une liberté d’action. Ils sont les yeux, les oreilles et la bouche du chef de l'État. Un moyen efficace pour lui de centraliser administrativement le pouvoir tout en conservant les acquis de la Révolution.


Aussi, dans le but de fédérer et de s’assurer la fidélité du corps social jusqu’alors divisé en querelles fratricides, Bonaparte a l’idée de charpenter la société sous l’égide de lois et d’institutions dont il conserve le contrôle. Synthèse des droits de l’Ancien Régime et de la Révolution, le Code civil, mis en application le 21 mars 1804, est le triomphe de cette volonté qui marque encore aujourd’hui les sociétés contemporaines. Sa modernité première repose sur la reconnaissance des principes de 1789 : liberté individuelle, définition de la famille et partage égalitaire de l’héritage entre les enfants, inviolabilité de la propriété individuelle... Mais avant tout abolition de la féodalité et laïcité sont les pans de ce nouveau code. Retour de la liberté de culte grâce au Concordat d’avril 1802, constitution de la Légion d’honneur et des lycées en mai de la même année : toutes ces mesures visent à respecter l'héritage récent et à s’assurer la fidélité du peuple.


Résoudre la crise financière

Il sait que c'est par une bonne situation financière que s’obtient la confiance populaire et la solidité d’un État. La crise ayant précipité la chute de l'Ancien Régime, le Premier consul est attendu sur cette question et un échec peut lui être fatal. Le défi est de taille car il a pour tâche principale de remplir les caisses et de donner un nouvel élan au milieu des affaires. Il s’entoure de spécialistes, crée une Caisse de garantie dont la fonction première est de veiller à l’amortissement de la dette publique, donne à la France une monnaie efficace avec le franc germinal, empêche la pénurie monétaire et le trafic de papiers monnaies par les faussaires. Dans l’attente de la rentrée d’impôts, il assure les dépenses de l’État avec les avances fournies par la Banque de France, cette situation étant renforcée par la mesure du 27 mars 1803 qui lui confère le monopole d’émission des billets. Ainsi, par ces réformes, l’économie prend un nouvel élan et le chômage recule. « Bien conseillé, Bonaparte avait réussi là où ses prédécesseurs avaient échoué » note Thierry Lentz. En un temps record, il est parvenu à réconcilier la Nation tout en dotant la France de structures modernes et en lui garantissant une nouvelle prospérité.


Le « pacificateur » du monde

Reste son prestige extérieur, qu’il doit entretenir par une nouvelle victoire. Sa renommée étant essentiellement fondée sur son génie militaire, il lui faut un nouveau succès. Désormais aux commandes, ce n’est pas seulement une campagne qu’il joue, mais son avenir tout entier en tant que chef d’État et des armées. « Une victoire me laissera maître d’exécuter ce que je voudrai » écrit-il à Joseph. Malgré le traité de Campoformio (18 octobre 1797), l’Autriche, soutenue par l’Angleterre de Pitt, maintient sa lutte contre la France. Sa domination s’étend sur la majeure partie nord de la péninsule italienne et sur le royaume de Naples. Vienne ayant repoussé les offres de paix tout en souhaitant reprendre la main sur les territoires français de la rive gauche du Rhin, cette situation joue en faveur de la popularité et de l’image du Premier consul dont la générosité est refusée par l’adversaire. Talleyrand résume ces négociations : «[Elles] eurent une influence heureuse sur la paix intérieure, parce qu’elles annonçaient des dispositions qui devaient être agréables au peuple, en lui révélant un homme d’État habile dans le grand général devenu chef du gouvernement. » Par conséquent, pour jouer son rôle, Bonaparte se doit de prendre lui-même le commandement des trois armées lors de cette seconde campagne d’Italie, menaçant l'adversaire sur deux fronts : d’un côté le Rhin où les opérations seront conduites par Moreau ; puis l’Italie, théâtre qu’il connaît et qu’il atteindra comme Hannibal par le franchissement des Alpes. Même si Moreau refuse de se plier aux ordres et sera vainqueur à Hohenlinden le 3 décembre 1800, Bonaparte minimise le succès de son rival par son triomphe à Marengo le 14 juin précédent. Bien que passé près du désastre, le Premier consul fait de cette bataille une victoire de propagande largement magnifiée auprès du grand public.


Imposant la paix avec l’Autriche à Lunéville en février puis avec la Russie en octobre 1801, il légitime ainsi par son prestige sa position et sa notoriété en tant que sauveur de la patrie.Totalement isolée, l’Angleterre doit signer la paix à son tour à Amiens le 25 mars 1802. Partout en France règne l’enthousiasme. La popularité de Bonaparte, « auguste pacificateur du monde », est à son comble. En plus d’avoir relevé la France du chaos révolutionnaire, il lui a apporté la gloire d’une paix profitable qui la place au rang d’arbitre et de première puissance européenne. Dans ses Mémoires, Talleyrand rapporte qu’avec la « […] paix d’Amiens, la France jouissait au dehors d’une puissance, d’une gloire, d’une influence telles que l’esprit le plus ambitieux ne pouvait rien désirer au-delà de sa patrie. » Mais Bonaparte voit grand, et rien ne semble désormais le freiner dans sa marche vers le pouvoir absolu.


La fin des royalistes

« Il avait plus de pouvoirs que Louis XVI en 1791, mais moins que le même en 1789 » note Jean Tulard, qui ajoute qu’«[…] en 1802, l’autorité de Bonaparte était moins assurée qu’il ne le paraissait en dépit d’une incontestable popularité ». Le Consulat amorce l’Empire. Cependant, cette dictature de Salut public ne fait pas l’unanimité. Les jacobins, fervents défenseurs des acquis de la Révolution, comparent Bonaparte à Monck, cet homme qui, après la mort de Cromwell en 1658, changea de cap en facilitant la montée au pouvoir du roi Charles II. Tout est perdu si Bonaparte reproduit ce revirement en s’alliant à Louis XVIII. Devant les injonctions du frère de Louis XVI, le Premier consul prend position : il lui faudrait « marcher sur cent mille cadavres » s’il envisageait son retour en France. Toute forme de rétablissement monarchique en faveur des Bourbons est donc exclue. Mais à son propre profit, est-ce envisageable ?


La question est posée pose : comment être à la fois héritier de la Révolution et souverain absolu ? L’idée semble paradoxale. Pöurtant, la réponse est simple: il faut favoriser un parti au détriment de l’autre, donc s’attirer la sympathie des républicains en frappant les monarchistes en plein cœur. Bien qu’il n’en soit pas responsable, les événements se déclenchent et Bonaparte, là encore, se les approprie et les adapte en sa faveur. L’occasion lui est donnée en octobre 1803. L’Angleterre ayant repris la guerre, l’arrestation de chouans à Paris conduit à révéler que Georges Cadoudal, royaliste convaincu et allié des Britanniques, est présent dans la capitale avec pour intention d’assassiner le Premier consul. La police obtient deux noms : le premier est Pichegru, général et agent royaliste, le second Moreau. Stupeur ! Pichegru et Cadoudal devaient enlever Bonaparte sur la route de Malmaison, et un prince de la maison des Bourbons le remplacerait. La popularité du vainqueur d’Hohenlinden est un atout de poids pour obtenir le soutien de l’armée. Aussi Bonaparte, qui ne connaît que trop bien la renommée de son rival, craint qu’une sentence trop ferme lors du procès qui s'ouvrira ne retourne cette célébrité contre lui. Moreau arrêté, la foule voit une manœuvre politique et se rassemble aussitôt pour manifester son soutien au détenu. Pour le Premier consul, cet affront des Parisiens est intolérable et sa réponse dans La Gazette de France est d’autant plus ferme. Menaçant un transfert du gouvernement à Lyon, il y qualifie le peuple d’« ingrat, inconstant, léger [qui] loin d’apprécier [les] services et de bénir la main qui avait cicatrisé ses blessures, cherchait à les tourner en ridicule ». Les dernières figures du complot sont appréhendées. Reste à trouver l’identité du prince qui devait retrouver Moreau. De mauvais renseignements portent alors l’attention sur Louis de Bourbon Condé, duc d’Enghien. Son arrestation puis sa mort laissent le champ libre à Bonaparte.


Dernière étape : l’adhésion du peuple

Avec la mort du prince de Condé, Bonaparte a dorénavant toutes les cartes en mains pour se présenter en nouveau monarque. Pourtant, un dernier obstacle se dresse entre le trône et lui : l’hérédité. Les actions perpétrées par les chouans lui prouvent que toute l’œuvre du Consulat repose sur sa seule personne et qu’il suffirait qu’il vienne à disparaître pour que tout son ouvrage s’effondre. La fragilité du pouvoir repose sur l'existence du chef de l'État. Sans hérédité, un pouvoir absolu ne peut être durable. Le Consulat à vie dévoile déjà cette intention. Grâce au traité d’Amiens et au nouvel élan donnée à la France, il obtient ce qui lui manquait en 1799 : l’adhésion populaire avec 3 600 000 oui contre 8 374 non. La première étape est franchie. Cela ne règle pas toutefois la question de l’hérédité. Joséphine est stérile. Comment y remédier ? Le Consulat s’inspire de la République romaine, la naissance du premier fils de Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais tombant à point nommé. Le Premier consul a un successeur et la constitution lui donne le droit d’adoption. La voie est libre. Le fruit est mûr et Bonaparte n’a plus qu’à le cueillir.


Mais quel régime donner à la France : une monarchie ? Ce serait rappeler les Bourbons et faire preuve de grande maladresse. La solution est apportée par Curée. Le 30 avril 1804, cet ancien membre de la Convention décrète au Tribunat qu’il « […] ne voit pour le chef du pouvoir national aucun titre plus digne de celui de la Nation que celui d’Empereur. » Le mot est lâché. Portée à son attention le 18 mai, la nouvelle constitution impériale n’apporte qu’avantages au nouveau souverain. Les deux premiers articles confient « le gouvernement de la République [à]Napoléon Bonaparte, Premier consul actuel de la République [qui devien] Empereur des français ». L’Empire n’est pas la monarchie. La nuance est d’autant plus belle que le chef de l'État obtient ce titre par la seule volonté de la République, et donc de la Révolution. Quoi de mieux pour légitimer cette décision que de demander l’approbation du premier concerné, à savoir le peuple français lui-même ? Ce nouveau plébiscite donne l’illusion d’être le principal responsable de l’établissement de l’Empire. Les 3 500 000 oui (contre 2 500 non) confortent le nouveau souverain car l’opinion est avec lui et l'a choisi. Cela clôt la Révolution, en conservant ses acquis et en apportant un ordre nouveau. Quant à l’hérédité, l’article 3 de la constitution rétablit la loi salique : « La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte, de mâle en mâle, par ordre de progéniture, et à l’exclusion perpétuelle des femmes et leur descendance. » Et si le fils d’Hortense et de Louis ne peut lui succéder, Joseph et Louis seront les derniers recours.


Le 18 mai à Saint-Cloud, là même où il s’empara du pouvoir, Bonaparte devient Napoléon. Son attitude et son langage se modifient. Le rideau tombe. Une nouvelle scène s’ouvre pour la France. Puis c’est au tour de Joséphine d’être congratulée par le Sénat. Désormais premier valet de chambre de l’Empereur, Constant décrira dans ses Mémoiresl’effervescence qui règne lors de cette journée : «Tout le monde était ivre de joie dans le château, chacun se faisait l’effet d’être monté subitement en grade. On s’embrassait, on se complimentait, on se faisait mutuellement part de ses espérances et de ses plans pour l’avenir… » À moins de trente-cinq ans, comme le qualifiera Stendhal dans sa Chartreuse de Parme, Napoléon devient le successeur d’Alexandre et de César.


Un nouveau Charlemagne

Les bases du nouvel Empire se mettent en place avec une rapidité fulgurante. Des titres sont donnés à la famille et aux proches, des maréchaux nommés. L’étiquette impériale est établie le 13 juillet ; la Légion d’honneur distribuée aux Invalides deux jours plus tard. Une grande cérémonie, respectant les anciennes traditions tout en intégrant les valeurs nouvelles de la Révolution et du Consulat, doit marquer les débuts du règne. C’est Fontanes, alors président du Corps législatif, qui propose en mai de recourir à la liturgie : « Une monarchie fortement constituée, entourée de l’appareil de la religion et des armes, résiste à l’action des siècles […]. En prenant le titre d’Empereur, il faut réveiller toutes les idées impériales. Ainsi le sceptre, la main de justice, le sacre, tout doit reparaître pour frapper vivement l’imagination des peuples et appeler la considération de l’Europe. » Pour lui, Napoléon est le nouveau Charlemagne qui, tout en conservant l’héritage du passé, apporte à la France et au monde la modernité.


Dans les pas de son modèle, l’Empereur se rend à Aix-la-Chapelle le 7 septembre. Le lieu du sacre change : le Champ de Mars paraît trop aéré, la cathédrale Saint-Louis es Invalides trop réduite… Ce sera Notre-Dame car la pompe s’y prête à merveille. Et surtout, ce choix permet l’intervention du pape. L’Empereur le fait venir à Paris à la fin novembre. Bien qu’agnostique, la superstition demeure en lui. Autant multiplier les signes par sûreté. Et malgré les protestations de la famille, Joséphine sera consacrée à ses côtés, surtout vis-à-vis de frères et sœurs par trop ambitieux. Viennent alors les derniers préparatifs. Les dessins et les poupées en bois d’Isabey permettent aux convives et aux participants une répétition générale dans la galerie de Diane aux Tuileries le 26 novembre. Un décret du 19 août précédent a fixé la codification des costumes et l’acteur principal de la cérémonie se doit d’en porter un à nul autre pareil. Le moment venu, il posera de son propre fait la couronne sur sa tête, consacrant derrière sa personne le peuple français qui l’a choisi pour empereur. Il est assurément le nouveau souverain de la France. Seuls son génie et sa renommée le permettent. Il ne l'oubliera jamais : « La conquête m’a fait ce que je suis. La conquête seule peut me maintenir. »


Le duc d’Enghien

Prince de sang, membre de la famille des Condé et époux fidèle, il est l’« idole de beaucoup de royalistes, qui, persévérant dans une cause jusque-là malheureuse, en imputaient toutes les humiliations et tous les revers au défaut de caractère, de courage et d’habileté dans Louis XVIII et son frère et pensaient qu’il fallait à cette cause un meilleur chef. » Sa culpabilité en tant que chef du complot paraît indiscutable à la lecture de sa correspondance placée entre les mains des agents de Fouché. Aux yeux de Bonaparte, le duc s’avère une cible d’autant plus rêvée qu’’il a eu l’imprudence de s’être établi à Ettenheim. Or cette cité du margrave de Bade s’avère particulièrement vulnérable car trop proche de la frontière française. Un conseil, rassemblant notamment Cambacérès et Murat, décide de l’enlèvement. En dépit du droit international, Enghien est arrêté le 15 mars. Deux jours plus tard, il quitte Strasbourg pour Paris sous la conduite de Caulaincourt. Il comparaît devant une commission militaire le 21 à 0h30, heure pour le moins inhabituelle. Bien que le duc reconnaisse sa culpabilité contre la République, la sentence semble jouée d’avance. Le prince est fusillé le jour même. Joséphine fond en larmes. Talleyrand prétend désapprouver l’exécution. Fouché aurait prononcé cette phrase restée célèbre : « C’est plus qu’un crime, c’est une faute. » Pour Bonaparte, la mort d’Enghien est un sacrifice politique nécessaire et justifié. Les royalistes ont attenté à sa vie, il est légitime qu’il se défende : « J’ai fait arrêter et juger le duc d’Enghien parce que cela était nécessaire à la sûreté, à l’intérêt et à l’honneur du peuple français… » déclarera-t-il dans son testament en 1821. Bonaparte et la France révolutionnaire ne font qu’un. Tuer le chef de l'État, c’est abattre la Révolution elle-même et le peuple français. Aussi, comme le souligne Jean Paul Bertaud, « par ces actes, Napoléon Bonaparte indiqua à tous que la Révolution, si elle était finie, était irréversible, qu’il l’incarnait… »


Napoléon, héritier des Césars ?

Si Carnot, pour s’opposer à la naissance de l’Empire le 3 mai 1804, s’exclame que « l’Empire romain n’a pas été de plus longue durée que la République […] que de troubles, que de crimes sous son règne et, à la place de la vertu républicaine, que de vices », curieusement Napoléon présente un avis similaire en 1809. Il décrit la Rome des Césars comme un « horrible souvenir » dans lequel « tous les princes qui régnèrent sans lois légitimes, sans transmission d’hérédité et pour des raisons inutiles à définir, commirent tous des crimes et firent peser tant de maux sur Rome ».Pourtant, la Rome antique occupe une place proéminente au sein de l’Empire. Son influence semble omnisciente : sur Napoléon lui-même (portant le jour du sacre la couronne de lauriers des imperators ou se représentant en Empereur romain sur bien des supports), dans l’architecture, dans les arts… Sans oublier le choix de l’aigle comme emblème de prestige, en particulier pour la Grande Armée laquelle succède ainsi aux légions romaines.

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