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La tentative de libération de Napoleon organisée en Louisiane

C’est une maison située dans le quartier français de la Nouvelle-Orléans. Elle a gardé tout son cachet d’époque. Transformée depuis en restaurant typique de la Louisiane, peu de gens savent qu’entre ces murs s’est tramé un complot orchestré par le maire bonapartiste de cette célèbre ville des États-Unis : la tentative de libération de Napoléon retenu prisonnier à Sainte-Hélène.

Frédéric de Natal / historien et journaliste


Après son second acte d’abdication le 22 juin 1815, Napoléon souhaite négocier et fait savoir qu’il entend partir aux États-Unis afin de jouir d’une retraite bien méritée. «Ma carrière politique est terminée», confie-t-il à son entourage. Dans les faits, la France a un nouvel Empereur, son fils Napoléon II, âgé de quatre ans. Mais l’Aiglon est en Autriche et le Congrès de Vienne n’entend pas le laisser monter sur le trône d’une monarchie qu’elle ne reconnaît pas.


Direction l’Amérique

Napoléon déchu a désormais d’autres projets qu’il entend réaliser outre-Atlantique. Il fait préparer ses affaires, meubles, livres en vue d’un départ vers les États-Unis, en attendant d’avoir des sauf-conduits qui lui permettront de quitter la France. Fouché affirme se démener pour les obtenir mais parallèlement avertit les délégués du Congrès. Il s’agit plus pour le ministre de la Police de sécuriser son avenir que de trahir réellement Napoléon. Il a du sang sur les mains et ses exactions sous la Révolution française sont connues. Notamment à Lyon où il a reçu le surnom de « mitrailleur ». Ses ennemis sont nombreux et ses révélations vont lui permettre d’échapper à cette guillotine dont il a été un de ceux qui ont envoyé sur l’échafaud l’infortuné Louis XVI en 1793. Napoléon a tout de même fait réaliser de faux papiers d’identité. Il portera le nom de colonel Muiron. Il ronge son frein, passe ses journées à consulter des cartes en attendant que le Congrès ne décide de son destin et s’entretient avec Gaspard Monge. Le comte de Péluse est un scientifique réputé dont l’œuvre est considérable, notamment en matière de géométrie, celle de prédilection du savant. Les deux hommes se sont rencontrés en 1796, durant la campagne d’Italie, et ne se sont plus quittés. Malgré ses convictions républicaines, Monge reste proche de Napoléon lorsque celui-ci se couronne empereur en décembre 1804. Une amitié intacte qui ne faillit pas après Waterloo. « Le désœuvrement serait pour moi la plus cruelle des tortures. Désormais, sans armées et sans empire, je ne vois que les sciences qui puissent s’imposer fortement à mon âme. Mais apprendre ce que les autres ont fait ne saurait me suffire. Je veux faire une nouvelle carrière, laisser des travaux, des découvertes dignes de moi. Il me faut un compagnon qui me mette d’abord et rapidement au courant de l’état actuel des sciences. Ensuite, nous parcourrons ensemble le Nouveau Continent depuis le Canada jusqu’au Cap Horn, et dans cet immense voyage nous étudierons tous les phénomènes de la physique et du globe » lui explique le héros d’Arcole.


Son projet de départ divise pourtant les officiers qui demeurent autour de lui. Le plus enthousiaste reste le général Lallemand qui entrevoit un nouveau destin pour Napoléon. Pourquoi pas un autre royaume à se tailler, une colonie dont l’ex-Empereur serait le souverain ? Comme au Texas qui offre toutes les promesses dont un homme peut rêver. Napoléon part le 29 juin vers Rochefort où l’attendent deux frégates, la Saale et la Méduse. Cette dernière restera dans les annales de l’histoire maritime pour son naufrage en 1816, immortalisé par le génie du peintre Géricault. À Londres, ordre est donné d’empêcher Napoléon de quitter le pays et on fait mine de négocier avec lui un séjour temporaire au Royaume-Uni avant de lui promettre qu’il rejoindra par la suite sa destination finale. Le 15 juillet 1815, il est prié de rejoindre le navire HMS Bellerophon qui mouille non loin de là. Une fois à bord, il a la surprise d’apprendre qu’il est l’hôte du capitaine Maitland. L’Empereur comprend qu’il a été dupé par son ministre et par Albion qui « confirme sa réputation de perfidie ». À défaut d’Amérique du Nord, ce sera un caillou au large de l’Afrique du Sud, l’île de Sainte-Hélène. Revenu au pouvoir, Louis XVIII s’est également assuré que le « général Buonaparte » sera loin de la France. La paix et la réconciliation sont à ce prix.


Une relation de longue date

Entre Napoléon et la jeune République des États-Unis, c’est une histoire de passion et d’incompréhension. Très tôt, le fils de Charles Napoléon et de Letizia Ramolino s’est enthousiasmé pour la guerre d’indépendance des colonies américaines contre le Royaume-Uni. Du général George Washington, voici ce qu’il dit à ses quinze ans : « Nous partageons les travaux de Washington ; nous nous réjouissons de ses triomphes ; nous le suivons à distance. Sa cause est celle de l’humanité. » C’est alors un jeune homme qui rêve de donner à la Corse, son île natale, sa propre indépendance. À l’école militaire de Paris où il étudie (1784-1785), il écoute avec intérêt les récits d’un officier, Louis Silvestre de Valfort, qui a accompagné le marquis de Lafayette aux Amériques. Napoléon, qui dévore les livres portant sur les grands héros de l’Antiquité, laisse vagabonder son imagination sans savoir quel destin l’Histoire lui réserve. Il rédige même des notes, parfois enjouées, parfois critiques, sur certains événements qui lient la France aux Amériques. On retrouve par exemple celle sur la réception de Benjamin Franklin à Versailles, la reconnaissance de l’indépendance américaine par la monarchie française (laquelle a joué un grand rôle dans la guerre qui a opposé insurgés aux aux Anglais), le départ de la flotte royale sous les ordres de l’amiral-comte Jean-Baptiste d’Estaing (dont la tête « particulée » sera promptement guillotinée en 1794) ou encore les batailles navales entre France et Angleterre près des côtés antillaises. Rien d’étonnant si c’est Bonaparte, Premier consul, qui décide de rétablir les liens rompus entre la France et les États-Unis en 1800. Quelques jours après le coup d’État de Brumaire, il apprend le décès de George Washington et ordonne la mise en berne des drapeaux pendant dix jours. Parallèlement, il négocie pour le retour de la Louisiane et de la Floride dans le giron français. Si les Espagnols acceptent de rétrocéder la Louisiane (qu’ils détiennent depuis 1762), ils ne ménagent pas vraiment les intérêts américains (traité de San Idelfonso). Dans la foulée, Bonaparte va rétablir l’esclavage afin de contenter les colons de Saint-Domingue. Dans les Caraïbes, le Premier consul bénéficie désormais d’une force militaire lui permettant de poser le pied aux Amériques, éviter que la Louisiane ne soit conquise par l’Angleterre et tenter d’agrandir l’Empire français outre-Atlantique. La révolte des esclaves d’Haïti et de Saint- Domingue (1802), devenue bientôt une lutte pour l’indépendance, va ralentir les projets de Bonaparte qui craint que les Anglais ne profitent de la situation pour reprendre le chemin de la guerre. Le Premier consul se résout à l’inéluctable : vendre la Louisiane aux États-Unis en dépit de l’opposition acharnée de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, son ministre des Affaires étrangères. L’idée est proposée au président Thomas Jefferson qui se méfie des intentions de Bonaparte. Racheter cette partie du continent américain reviendrait à reconnaitre la primauté française sur l’ouest. Il est quand même séduit par le projet qui lui permettra d’augmenter son potentiel électoral et surtout développer le commerce et l’industrie américaine. Les tractations vont connaître de nombreux couacs et des tensions y compris dans le camp américain où le nord (notamment chez les fédéralistes) craint déjà que les planteurs du sud ne soient favorisés. Cette vente signe les prémices de la guerre de Sécession. Si, au début, la France a songé ne vendre que la Nouvelle-Orléans, c’est désormais toute la Louisiane qu’elle entend céder. Mais au prix fort. À Paris, Lucien et Joseph Bonaparte, ses frères, tentent de raisonner Napoléon. En vain. Le futur Empereur est sujet à de fortes colères dès lors qu’on tente de le convaincre de renoncer à cette folie pour laquelle les Louisianais ne sont pas vraiment consultés. Pour le Premier consul, cette vente est avant tout pragmatique. L’accord sera finalisé le 8 mai 1803 et le territoire français cédé « à toujours et en pleine souveraineté » pour 60 millions de francs, au mépris des accords pourtant passés avec les Espagnols.


L'admiration de la Louisiane

Les Louisianais sont devenus américains mais gardent leur cœur en France. Ils n’en voudront pas à Napoléon qui conserve pléthore d’admirateurs. Parmi eux, Nicolas Girod. Il est né en 1747 (ou peut-être en 1751) en Savoie. C’est dans sa vingtaine, avec ses frères Claude François et Jean-François, qu’il décide d’émigrer en Amérique du Nord. Ils débarquent à la Nouvelle-Orléans. La ville est aux mains des Espagnols et accueille une forte communauté de Français. Ils ont la bosse du commerce et ne vont pas tarder à se développer, se faire un nom.

En septembre 1812, Nicolas Girod est élu maire de la Nouvelle-Orléans. Il s’inspire des réalisations du génie français pour améliorer la ville. Les pavés sont installés dans les rues de la Nouvelle-Orléans et on crée même des canaux d’évacuation des eaux. Celle-ci a augmenté sa population francophone après l’indépendance de Saint-Domingue. Les planteurs sont venus s’installer dans cette partie des États-Unis et vont s’ajouter aux Créoles et aux Acadiens, faisant de la Louisiane, l’État le plus français de l’Union.

À la Nouvelle-Orléans, on s’enflamme à chaque victoire de l’Empereur, on prie à chaque défaite. Lors de la guerre contre les Britanniques, Nicolas Girod organise les milices de la ville et va jouer un rôle non négligeable dans la victoire du général Andrew Jackson (futur président des États-Unis de 1829 à 1837). Les Américains ont été avertis des intentions anglaises par le pirate Jean Lafitte qui a été contacté pour servir dans leur armée. Mais ce qu’ignorent les soldats du roi George IV, c’est que l’homme est un passionné de Napoléon. Girod a la charge de recruter des contingents qui se portent au combat contre l’ennemi. Le 8 janvier 1815, les Anglais sont défaits. Girod a le sentiment du devoir accompli.

Il a hérité de ses frères. Le maire de la Nouvelle-Orléans fait construire une magnifique maison d’inspiration créole. Le bas de la demeure sera consacré à ses activités commerciales, le haut à ses appartements privés qu’il habille de portraits et de bustes de l’Empereur. C’est à partir de ce moment que va naître cette légende tenace qui affirme que le maire a fait construire cette demeure pour y accueillir Napoléon. Lorsqu’il apprend le mauvais tour joué par les Anglais, son sang de Français ne fait qu’un tour. Il démissionne de son poste de maire le 4 septembre suivant et met en place un plan de sauvetage de l’Empereur.

 

La dernière tentative

Ce complot est rapporté par le New York Tribune, qui revient en 1920 sur l’audacieuse aventure. « La nouvelle de l’exil de Napoléon attrista profondément M’sieur Girod. Peut-être que respirer l’air du pays des libres avait enhardi son audacieux cœur gaulois, et peut-être que le contact avec les pionniers du Nouveau Monde augmenta son audace. Quoi qu’il en soit, il se mit à flâner le soir dans la rue de Chartres, et au coin de la rue Saint- Philippe il tombait dans la forge tenue par Jean et Pierre Lafitte, un couple de pirates à la retraite, qui, bien que maintenant apparemment des hommes de paix, aimait toujours toute aventure qui promettait une chance raisonnable de tuer ou d’être tué », peut-on lire dans les colonnes de ce journal réputé, aujourd’hui disparu. « Lafitte avait d’ailleurs lui-même tenté de sauver Napoléon mais son expédition avait été balayée par un cyclone. À Sainte-Hélène, Sir Hudson Lowe, mandaté pour surveiller “l’Ogre corse” se méfie de ces complots dont on lui évoque la teneur. Il sait Napoléon très populaire aux États-Unis. Girod a été informé que l’illustre prisonnier est gardé par 4 000 hommes et 4 bâtiments de guerre qui quadrillent Sainte-Hélène. Mais pour le maire de la Nouvelle-Orléans, il suffit de faire construire un clipper rapide répondant au doux nom de la Séraphine, d’assommer les gardes et d’enlever l’Empereur. Tout est prêt très rapidement et l’équipage recruté à qui il confie le commandement à un certain Boissière. Le plan n’ira pas à terme. L’expédition était prête à démarrer lorsqu’un beau matin de (mai) 1821, un voilier sortit langoureusement du golfe et remonta le Mississippi avant de jeter l’ancre devant la ville. Il était porteur d’une terrible nouvelle. Le captif, Terreur d’Europe, venait de mourir dans sa prison insulaire. » Avec l’arrivée de ce bateau, Nicolas Girod voit tous ses espoirs s’envoler. Il meurt en septembre 1840, laissant à la Nouvelle-Orléans un héritage conséquent.


Une marque indélébile

Si Napoléon n’a pu réaliser son rêve américain, il a laissé un souvenir qui se perpétue encore outre-Atlantique. Deux villes, dans l’Ohio et le Dakota, portent le nom de l’Empereur ainsi que deux généraux lors de la guerre de Sécession. Les États-Unis ont attiré un certain nombre de Bonaparte. Joseph s’y est réfugié en 1816 et y restera presque deux décennies dans le New Jersey.

Le nom de Napoléon va inspirer les guerres d’indépendance en Amérique latine et celui du frère de l’Empereur va même être proposé pour un trône mexicain. En 1803, Jérôme Bonaparte, rebelle de la famille, sur le chemin de retour de Saint-Domingue, débarque à Baltimore et s’amourache d’Elizabeth Patterson. Il l’épouse en décembre de la même année sans le consentement de ses parents. L’annonce de ce mariage rend furieux Napoléon qui ordonne à Jérôme de rentrer. Il refuse et il faut attendre 1804 pour que le couple s’exécute. L’Empereur multiplie les humiliations envers « Betsy » qui ne peut débarquer en ville, aux côtés de son époux, alors qu’elle est enceinte. Le mariage sera cassé et Elizabeth accouchera d’un fils, Jérôme-Napoléon Bonaparte (1805-1870), fondateur de la dynastie américaine des Bonaparte (dont la lignée s’éteindra en 1945) et dont le fils Charles Joseph (1851-1921) sera à l’origine de la création du FBI. Reste le général Lallemand. Il réalise son rêve américain. Afin d’échapper à une peine de mort votée contre lui, il débarque sur le continent en 1816 accueilli par le pirate Lafitte. Avec plusieurs bonapartistes, il fonde une colonie au Texas, le Champ d’Asile, qui aura une durée de vie éphémère, à peine deux ans, avant que les Espagnols ne se décident finalement à intervenir et détruire les forts qui avaient été construits, mettant fin à tout rêve de royaume napoléonien aux États-Unis.

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