Le traité de Tilsit, le 7 juillet 1807, marque l’apogée de l’Empire français et pour Napoléon « le jour le plus heureux de sa vie », comme il le déclarera au général Gourgaud à Sainte-Hélène. L’accord entre Napoléon et Alexandre Ier de Russie est supposé mettre fin à « l’effusion de sang contraire à l’humanité » qui a dévasté l’Europe depuis 1805. Les rencontres des deux empereurs se déroulent sur un radeau ancré au milieu du Niémen et les signes apparents de l’amitié qui serait alors née entre les deux hommes ont permis le développement de toute une légende (1). Cette paix éternelle, mais déséquilibrée, va durer cinq ans.
Napoléon est le grand vainqueur de la négociation en étendant sa domination sur l’Europe occidentale : Autriche et Confédération du Rhin sous son contrôle, Prusse laminée, son frère Joseph confirmé roi de Naples et son frère Jérôme roi du nouveau royaume de Westphalie, création du grand-duché de Varsovie, renforcement de l’Empire ottoman face à la Russie. Cette dernière s’engage à respecter le blocus continental et à déclarer la guerre à la Grande-Bretagne si celle-ci ne signe pas dans les six mois une paix avec la France, ce qui est fort improbable.
Vaincu et dupe de l’accord, le tsar Alexandre y voit cependant la possibilité de s’emparer de la Finlande en l’arrachant à la Suède, elle-même soutenue par la Grande-Bretagne et sa flotte. Une situation d’affrontement demeure d’ailleurs en Poméranie suédoise où une force anglaise occupe l’île de Rugen et la place forte de Stralsund, assiégée depuis plusieurs mois par les Français. Il y a là le germe d’un nouveau conflit, ayant cette fois pour centre la mer Baltique. Et, sur la voie maritime pour accéder à celle-ci, le Danemark occupe une position stratégique.
La situation danoise
Contrôlant avec les moyens du camp de Boulogne le Channel, Napoléon craint une attaque de la Royal Navy sur le Hanovre, possession de la dynastie britannique occupée par la France depuis la rupture de la paix d’Amiens en 1803, et sur les villes hanséatiques (Hambourg, Lübeck, Brême). Pour cela, après avoir contourné la presqu’île du Jutland, les navires anglais doivent traverser le Danemark par le Grand Belt, entre les îles de Seeland et de Fionie, ou le Petit Belt entre la Fionie et le Jutland, ou encore par le Sund, entre la Seeland et la Scanie (Suède). Dans tous les cas, le Danemark se trouve directement concerné. Son roi Christian VII, qui réside à Copenhague, étant très malade, le royaume est dirigé depuis Kiel, sur la côte du Holstein, par son fils le prince royal Frédéric.
Par Königsberg et Dresde, Napoléon est revenu dès le 27 juillet à Paris, où son premier soin est de régler le conflit entre Murat et Junot (pour les beaux yeux, et plus, de Caroline Murat) avant de s’occuper du mariage de son frère Jérôme avec Catherine de Wurtemberg. Puis, conscient que le Danemark n’est pas en capacité de résister à une invasion anglaise, l’Empereur décide d’affecter à son soutien un corps d’armée rassemblé à Hambourg sous les ordres du maréchal Bernadotte, prince de Ponte-Corvo, corps dont « les Espagnols formeront le noyau » (2).
Des troupes espagnoles au Danemark
Le corps d’armée de Bernadotte doit être en fait constitué, outre quelques Français, de 15 000 Hollandais et de 15 000 Espagnols. Que viennent faire là des Espagnols ? Pour le comprendre, il faut se reporter en 1792 et au traité de Sainte-Ildefonse en 1796.
En 1792, Charles IV, arrière-arrière-petit-fils de Louis XIV, est sur le trône d’Espagne, et son frère Ferdinand, dont l’épouse est la sœur de la reine de France Marie-Antoinette, règne à Naples et en Sicile. Aussi vivent-ils fort mal la déposition puis l’exécution du roi de France. La guerre entre l’Espagne, alliée au Portugal et soutenue par la Grande-Bretagne, et la République française éclate en mars 1793. Les forces espagnoles envahissent le Roussillon jusqu’aux abords de Perpignan puis, repoussées par les généraux Dugommier et Pérignon, sont vaincues le 1er mai 1794 au Boulou. Elles sont également repoussées à l’autre extrémité des Pyrénées au Pays basque.
Très réaliste, Manuel Godoy, chef du gouvernement espagnol, signe le 22 juillet 1795 la paix de Bâle et reconnaît la République française. Il se voit attribuer par le roi le titre de prince de la Paix (3). La situation est confortée le 19 août 1796 par le traité de Sainte-Ildefonse établissant une « alliance offensive et défensive entre la République française et S.M. C[atholique] » le roi d’Espagne. En cas d’attaque extérieure de l’une des parties, celle-ci pourra requérir de l’autre la mise à sa disposition de forces terrestres de 20 000 à 25 000 hommes ou de forces de mer. Jusqu’en 1806, le traité n’a été appliqué qu’au plan naval et a entraîné le désastre de la marine espagnole à Trafalgar.
En janvier 1807, à la demande de Napoléon, Talleyrand presse le prince de la Paix de mettre des forces à la disposition de l’Empire français. Godoy fait traîner les choses mais finalement accepte de fournir un contingent de 14 000 hommes, dont 6 000 provenant d’un corps espagnol stationné en Toscane. En effet, la Toscane, conquise par Bonaparte en 1800, est devenue le royaume d’Étrurie, gouverné par un Bourbon-Parme puis, à la mort de celui-ci, par son épouse la reine Marie-Louise d’Étrurie, qui n’est autre qu’une fille du roi d’Espagne Charles IV. Celle-ci a bénéficié du soutien de troupes espagnoles envoyées par son père. Comme Napoléon souhaite récupérer l’Étrurie pour en faire le grand-duché de Toscane confié à sa sœur Élisa, l’envoi de ces troupes espagnoles au Danemark constitue une solution satisfaisante pour les deux parties.
Le corps expéditionnaire espagnol au Danemark va donc être constitué de deux divisions : la 1re division, en provenance d’Italie (deux régiments et un bataillon d’infanterie et deux régiments de cavalerie), soit 6 130 hommes sous les ordres du maréchal de camp Kindelan (4) ; la 2e division, en provenance d’Espagne (deux régiments d’infanterie, un de cavalerie et deux de dragons, un détachement d’artillerie), soit 8 679 hommes sous les ordres du lieutenant-général don Pedro Caro y Sureda, marquis de La Romana (1761-1811), le héros de notre récit.
La 1re division part dès le mois de mai de Florence, de Pise, de Vérone pour, par Trieste, Innsbruck et Augsbourg, rejoindre Hanovre vers le 10 juin ; elle est alors affectée au corps d’observation du maréchal Brune. Elle participe au siège de la forteresse de Stralsund qui tombe le 18 août 1807. Les colonnes de la 2e division se mettent en route au mois de juin et traversent la France par Bayonne, Bordeaux (5), Lyon, puis par Mayence rejoignent Hambourg, accompagnées de convois de femmes, d’enfants et de bagages. Leurs visages farouches et bronzés, leurs uniformes chatoyants, leurs soirées de danses accompagnées à la guitare et leurs offices religieux impressionnent fortement les populations traversées.
Les deux divisions sont regroupées sous le commandement du marquis de La Romana, ayant Kindelan pour chef d’état-major, et intégrées au corps du prince de Ponte-Corvo, gouverneur des villes hanséatiques – comprenant également des troupes françaises et hollandaises – en soutien de l’armée danoise. Le Palois (Bernadotte) et le Catalan (Romana) ne peuvent que bien s’entendre.
En août 1807, les Anglais occupent Copenhague, la Seeland et, le 7 septembre, l’armée danoise signe une capitulation remettant la flotte danoise à la Grande-Bretagne : seize vaisseaux et une vingtaine de bricks et frégates. Puis la flotte anglaise se replie avant l’hiver et ses glaces.
Après l’accalmie hivernale, la proche fonte des glaces au printemps 1808 fait craindre à nouveau une offensive anglaise et Napoléon décide d’occuper militairement le Danemark avec l’accord du roi Frédérick VI (6). Pour soutenir son allié Alexandre Ier qui envahit la Finlande, il monte un projet de débarquement du corps de Bernadotte en Scanie (Suède) dans lequel les troupes espagnoles occupent une place essentielle (7). Mais, dès les premiers jours d’avril, ce beau projet est abandonné, Napoléon quittant Paris pour Bayonne et une autre aventure.
L’affaire de Bayonne
Napoléon ordonne le 27 octobre 1807 à Junot d’envahir le Portugal qui, allié à la Grande-Bretagne, ne respecte pas le blocus continental. Le passage des troupes françaises en Espagne provoque une telle crise entre le roi Charles IV et son fils Ferdinand que le premier, déposé par le second à Aranjuez, demande le soutien de Napoléon. Ce dernier envoie Murat occuper Madrid avant de se rendre à Bayonne, le 14 avril 1808, pour régler lui-même l’affaire. Ne pouvant être partout, il abandonne le projet d’invasion de la Suède, demandant seulement à Bernadotte de laisser deux régiments espagnols en Seeland pour assurer la défense de cette île et de Copenhague, et de répartir les autres dans des garnisons de Fionie, de l’île de Langeland et des principales places du Jutland. La Romana établit son quartier général à Nyborg, en Fionie.
Avant même son départ pour Bayonne, Napoléon comprend que les événements d’Aranjuez pourraient avoir des conséquences sur l’état d’esprit de « ses soldats espagnols », partagés entre partisans de Charles IV et de Ferdinand VII, voire soutiens de Godoy. Il demande à Bernadotte de filtrer les informations diffusées à la troupe, et à Lavalette de retarder les correspondances privées (8).
Dès le 6 avril, Bernadotte signale « avoir observé quelque agitation parmi les troupes espagnoles et appris qu’elle était causée par des lettres particulières récemment arrivées d’Espagne » mais il déclare faire entièrement confiance à La Romana, « dont il n’avait qu’à se louer », pour maintenir l’ordre et contrôler la diffusion des nouvelles venant d’Espagne. Cependant, les informations sur la manière dont Murat a réprimé l’insurrection madrilène des 2 et 3 mai, connues par des gazettes débarquées et répandues par la Royal Navy, vont susciter un trouble encore plus grand parmi les troupes espagnoles.
La Romana carte
Le serment à José Ier
L’affaire se complique encore davantage quand on apprend la déposition aussi bien de Ferdinand VII que de Charles IV et la nomination de Joseph Bonaparte – qui n’a rien demandé et est très heureux à Naples – comme roi d’Espagne. Mais le prince de Ponte-Corvo ne manifeste aucune inquiétude sur la fidélité de ses troupes espagnoles, étant chargé de transmettre à l’Empereur un message de La Romana ainsi rédigé : « La division espagnole dans le Danemark, que j’ai l’honneur de commander, s’empresse de témoigner à V.M., par mon organe, la grande satisfaction de savoir qu’un frère du Grand Napoléon, du héros incomparable qu’à produit la France, a été reconnu roi d’Espagne. Son émotion a été vive, etc. » En parallèle, La Romana reçoit en secret la visite de Don Vicente Colo, représentant de la junte de Séville et porteur de lettres faisant appel à son honneur d’Espagnol, ainsi que celle d’un prêtre catholique écossais du nom de James Robertson qui, au nom de Lord Canning, secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, l’assure que la flotte du contre-amiral Keats est prête à embarquer les troupes espagnoles pour les ramener en Galice.
Le 10 juillet, Napoléon, toujours à Bayonne, écrit à Berthier en lui prescrivant de demander à Bernadotte « de faire prêter serment par les troupes espagnoles au [nouveau] roi, en choisissant le moment favorable » (9). Le 22 juillet, le prince de Ponte-Corvo transmet la demande au marquis de La Romana, sans aucune inquiétude. Ce dernier ne lui a-t-il pas assuré qu’il le rejoindra à Hambourg le 15 août pour célébrer ensemble la fête de l’Empereur ?
L’évasion
Premiers informés du serment exigé, les régiments des Asturies et de Guadalajara, stationnés à Roskilde, ancienne capitale du Danemark sur l’île de Seeland, sous le commandement du général français Fririon, se mutinent et assassinent le 1er août un lieutenant français d’état-major. L’armée danoise encercle et entreprend de désarmer les mutins. La Romana, qui a tergiversé en proposant à ses officiers des formules de serment contournées, décide alors de franchir le Rubicon, écrivant aux colonels mutins : « Les Juntes d’Asturies et de Galice nous ont adressé des lettres pour me prier, en qualité de général en chef, de nous hâter de rentrer dans notre patrie pour la sauver et la venger. Toute l’Espagne a pris les armes pour repousser ses oppresseurs… qui, même par la menace, veulent nous lier par un serment, comme si nous n’étions pas les fils de la patrie qui nous appelle ». La Romana entre en contact avec le contre-amiral Keats à bord du vaisseau HMS Superb stationné dans le Grand Belt avec son escadre. Ils décident de rassembler les régiments espagnols sur l’île de Langeland, au sud-est de la Fionie, où des moyens d’embarquement ont été rassemblés en vue de l’expédition en Suède. Cependant les régiments espagnols stationnés au Jutland sont commandés par le général Kindelan, très francophile et favorable à l’Empereur. Sous prétexte de s’opposer à un débarquement anglais, La Romana réunit à Nyborg les régiments stationnés en Fionie et ordonne aux régiments du Jutland de passer en Fionie. Kindelan découvre l’opération trop tard et ne peut s’y opposer. Le 10 août, tous ces régiments embarquent sur les chaloupes canonnières danoises confisquées, sous la protection de navires anglais, et se regroupent sur l’île de Langeland.
Bernadotte en reçoit l’information à Travemünde où il passe l’été en famille au bord de la Baltique et, complétement abasourdi, fait une proclamation dénonçant « le misérable dont la perfidie n’a pas même d’exemple chez les Tartares ». Il monte une expédition franco-danoise pour reprendre la Fionie mais elle arrivera trop tard.
À partit du 17 août, les vaisseaux anglais Victory, Superb, Brunswick, Gorgone, Devastation et Hound se rassemblent devant Langeland et, dans la journée du 20, embarquent à leur bord ou sur des chaloupes canonnières danoises 8 600 hommes et 395 officiers espagnols, sans compter les femmes et les enfants. Après rassemblement à Gothembourg (Suède) et escale en Angleterre, une escadre anglaise conduit le 2 octobre les régiments espagnols à Santander et à La Corogne. La Romana, qui s’est attardé à Londres, les rejoint pour participer avec eux le 11 novembre à la bataille d’Espinoza où l’armée des Asturies subit une lourde défaite, devant les maréchaux Lefebvre et Victor.
Nous connaissons la réaction de Napoléon à l’évasion des Espagnols par une lettre qu’il adresse le 26 août à Caulaincourt, son ambassadeur à Saint-Pétersbourg, pour donner la position officielle à transmettre au tsar : « La division espagnole qui était dans le Nord s’est embarquée pour l’Espagne, grâce à l’extrême imprévoyance du prince de Ponte-Corvo, quoique je lui ai répété plusieurs fois qu’il devait placer ces troupes de manière à en être sûr. Mais La Romana et d’autres généraux espagnols lui avaient tourné la tête. Vous pouvez parler de cette affaire, comme ne voulant pas désarmer ces troupes : dites que je préfère les vaincre en Espagne à désarmer des soldats passés à mon service, mais que cette trahison m’a révolté et que les traîtres seront punis » (10).
Ce n’est que le 3 septembre, alors que Paris bruissait depuis dix jours de la défection des Espagnols au Danemark, que Le Moniteur relate les événements à sa façon en citant des dépêches en provenance de Copenhague : « La nation danoise apprendra avec l’étonnement le plus vif et l’indignation la plus juste que les troupes espagnoles qu’elle avait reçues avec une hospitalité cordiale viennent de démentir la réputation de loyauté et de fidélité qui les avait précédées, de trahir leurs devoirs envers leurs frères d’armes les Français et de compromettre les intérêts et la sureté du Danemark… Le marquis de La Romana a entretenu des intelligences avec les Anglais ; il a réuni en Fionie quatre bataillons et cinq escadrons espagnols formant à peu près quatre mille hommes. Il a répandu les bruits les plus mensongers pour séduire ses troupes et il est allé jusqu’à supposer des ordres du prince de Ponte-Corvo pour se mettre en possession de la forteresse de Nyborg et livrer cette place aux Anglais… Bientôt il parut que l’intention des Espagnols était de s’embarquer sous la protection des bâtiments de guerre anglais qu’ils avaient appelés, et de quitter le Danemark… Les régiments espagnols dans le Jutland se sont également mis en marche à l’improviste sur un ordre du marquis de La Romana… Les autres corps espagnols ont été arrêtés à temps, désarmés et constitués prisonniers. Ainsi, c’est le tiers des deux divisions espagnoles (11) que la trahison du marquis de La Romana a livré aux ennemis… Au moment même où il communiquait avec les Anglais, il protestait encore de sa fidélité. »
Environ 3 500 Espagnols, désarmés par les Danois et prisonniers, demeurent en Seeland. D’Erfurt le 28 septembre, Napoléon ordonne de les transférer et de les disséminer dans des places fortes de France « car ils ne méritent aucun ménagement : ce sont des traîtres ».
Les suites
Nommé par la junte centrale de Cadix commandant des Provinces septentrionales, La Romana dissout la junte de Galice, prend le commandement de la province et oblige Soult et Ney à l’évacuer. Il réclame et obtient décorations et avancements pour ses officiers et soldats du Danemark. En septembre 1809, il est appelé à la junte de Cadix. La trouvant trop démocratique, il tente de la réorganiser et se déclare sans succès partisan d’un renforcement des pouvoirs du Suprême Conseil de Régence. En 1810, à l’annonce du mariage de Napoléon avec une Autrichienne, il craint un rapprochement de l’Empereur avec les Bourbons de Sicile (la reine de Sicile est la grand-mère de Marie-Louise !) : on trouve alors La Romana au centre d’une machination politique dans le but de semer la zizanie entre Napoléon et les Habsbourg, par diffusion d’une lettre apocryphe de Napoléon (12). Il apprend fin août que le maréchal qu’il avait berné devient prince héritier de Suède ! Puis il reprend du service dans l’armée en décembre 1810 et se rend au Portugal où il est appelé auprès de Wellington, mais décède après une courte maladie le 23 janvier 1811.
Les soldats espagnols, qui n’ont pu s’embarquer et ont été faits prisonniers au Danemark, sont dispersés et utilisés à des travaux de génie civil dans des places du sud-est de la France. Napoléon se méfie d’eux mais, comme ce sont de bons combattants, il souhaite les utiliser en les plaçant sous le commandement du général Kindelan, resté fidèle à l’Empire français. On y adjoint des prisonniers espagnols acceptant de changer de camp. On constitue donc à Avignon un régiment étranger à cinq bataillons qui prend le nom de Joseph-Napoléon. Bien que le roi Joseph le réclame, ce régiment n’est pas envoyé en Espagne mais en Allemagne, puis quatre de ses bataillons participent à la campagne de Russie dont deux cents hommes et dix officiers seulement reviennent. Il sera dissous en 1813, comme la plupart des régiments étrangers.
Le marquis de La Romana est décédé à l’âge de quarante-neuf ans alors qu’un avenir brillant s’ouvrait devant lui dans la nouvelle offensive anglo-espagnole qui allait chasser l’envahisseur de son pays. En 1814, auréolé du prestige de son évasion du Danemark, il aurait certainement partagé la popularité du roi Ferdinand VII revenu dans ses états et, par ses talents militaires et politiques, sa grande culture, il aurait pu être un conseiller influent, ou ministre, du souverain, évitant à celui-ci les erreurs qui allaient enfoncer l’Espagne dans le désordre tout au long du xixe siècle, et encore dans le suivant.
(1) Scène reconstituée sur l’étang de Saint-Cucufa lors du Jubilé impérial de Rueil-Malmaison en 2018.
(2) Correspondance générale de Napoléon Bonaparte, Fayard / Fondation Napoléon, t. vii, lettre n° 16046, 22 juillet 1807.
(3) Tout en étant l’amant de la reine.
(4) Juan Kindelan (1759-1822), espagnol d’origine irlandaise, ancien élève du collège de Sorèze (Tarn).
(5) Correspondance générale, lettre 15 929, 26 juin 1807.
(6) Qui avait succédé à son père Christian VII, décédé le 13 mars 1808.
(7) Correspondance générale, t. viii, lettre 17 456, 25 mars 1808.
(8) Correspondance générale, lettres 17 512 et 17 521, 29 mars 1808.
(9) Correspondance générale, lettre 18 519, 10 juillet 1808.
(10) Correspondance générale, lettre 18 760, 26 août 1808.
(11) Les deux tiers en fait.
(12) Jacques Macé, « Une machination politique à l’occasion du mariage de Napoléon et Marie-Louise », Revue du Souvenir napoléonien, n° 448, août-octobre 2003, pp. 25-33.
Le marquis de La Romana
Don Pedro Caro y Sureda, 3e marquis de La Romana, fils d’un officier général, naît à Palma de Majorque le 3 octobre 1761. Il débute ses études à Lyon, chez les Oratoriens, et les poursuit à l’université de Salamanque. Il devient officier de marine et participe aux conflits entre l’Espagne et la Grande-Bretagne, notamment au siège de Gibraltar de 1779 à 1783. Il quitte ensuite la marine pour voyager à travers l’Europe et acquérir une vaste culture dans des domaines aussi variés que la peinture, la sculpture, la poésie grecque, les langues étrangères. Monarchiste convaincu, il rejoint l’armée de terre en 1793 et, tant sur la Bidassoa qu’en Catalogne, participe activement à la lutte contre la République française. Il est nommé maréchal de camp, capitaine général de la Catalogne en 1802, puis chef du corps des ingénieurs militaires en 1805. En 1807, il est préféré à O’Farill, trop pro-français, et à Castanos, le futur vainqueur de Bailén, pour commander la division envoyée en Allemagne, puis au Danemark.
Les troupes espagnoles au Danemark
1re division, venant d’Italie :
• régiment des Asturies, 3 bataillons, 2 176 hommes, colonel Dellevielleuze ;
• régiment de la Princesse, 3 bataillons, 2 016 hommes, colonel de Saint-Roman ;
• bataillon léger de Barcelone, 1 313 hommes, commandant Borrellas ;
• régiment du Roi, cavalerie, 5 escadrons, 671 hommes, 551 chevaux, colonel Gamba ;
• régiment de l’Infante, cavalerie, 5 escadrons, 682 hommes, 593 chevaux, colonel
Marianno.
2e division, venant d’Espagne :
• régiment de Zamora, 3 bataillons, 1 973 hommes, colonel de Salcedo ;
• régiment de Guadalazara, 3 bataillons, 2 021 hommes, colonel Martorell ;
• bataillon léger de Catalogne, 1 170 hommes, commandant Viver ;
• régiment d’Algarve, cavalerie, 5 escadrons, 646 hommes, 539 chevaux, colonel Yebra ;
• régiment d’Almanza, dragons, 5 escadrons, 633 hommes, 575 chevaux, colonel Caballero ;
• régiment de Villaviciosa, dragons, 5 escadrons, 659 hommes, 558 chevaux, colonel d’Armandariz ;
• artillerie à pied, 3 compagnies, 233 hommes, capitaine Lamor ;
• artillerie à cheval, 1 compagnie, 93 hommes, 72 chevaux, capitaine Lopez ;
• train d’artillerie/sapeurs, 176 hommes, 292 chevaux (effectifs présents au 15 novembre 1807).
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