« Vous devez avoir pour principe que la guerre doit nourrir la guerre », recommande Napoléon au maréchal Soult lors de sa nomination, le 14 juillet 1810, alors qu’il est général en chef de l'armée du Midi en Espagne. Or, « si la guerre devait nourrir la guerre, la paix devait, après la victoire, fournir la récompense ». Cette récompense, l'Empereur des Français la puise, à sa guise et sans aucun contrôle autre que sa volonté, dans une caisse que l'on appelle le Domaine extraordinaire. Cette caisse est l'essence même du système napoléonien : alimentée par les victoires militaires françaises, elle vise à récompenser, sur la base du mérite, militaires et civils ayant fait preuve de courage ou de dévotion envers la patrie.
Le sénatus-consulte du 30 janvier 1810 donne au Domaine extraordinaire un cadre juridique et en précise l'ensemble des objectifs. Ainsi, « il se compose des domaines et des biens mobiliers et immobiliers que l’Empereur, exerçant les droits de la paix et de la guerre, acquiert par des conquêtes ou des traités, soit publics, soit secrets. Ce domaine doit subvenir aux dépenses de l'armée, permettre à l'Empereur de récompenser ses soldats et les grands services civils et militaires rendus à l’État, élever des monuments à la gloire de la France, faire des travaux publics, encourager les arts et ajouter à la splendeur de l'Empire ».
Jusqu'en 1810, cette caisse de l'armée est sans doute une des principales raisons des victoires françaises. Après la campagne de 1809, Napoléon lui donne un cadre juridique, auquel il lui rajoute un aspect plus politique. Après avoir montré aux Français sa supériorité militaire, il veut à présent prouver que, sous son règne, la France rayonne et se montre digne de devenir la capitale d'une Europe dominée par la France, à travers de grands travaux, magnifiant la puissance politique et économique du pays.
Cependant, si ces objectifs sont louables, le système, lui, est pervers. En effet, le Domaine extraordinaire est avant tout financé par des contributions exigées par la France lors de traités diplomatiques. Elles deviennent de véritables fléaux dans les relations qu'entretient la France avec les autres puissances européennes. Souvent brutale, la diplomatie napoléonienne écrase et humilie les vaincus, alors que les alliés sont contraints de détourner une partie de leurs finances vers les troupes françaises à entretenir, sur ordre de l'Empereur. En réalité, si le Domaine extraordinaire est un instrument politique pour Napoléon, c'est un véritable fardeau pour le reste de l'Europe, souvent écrasé sous les contraintes qu'il impose.
Aux origines, la caisse de l'armée
L’idée selon laquelle une armée en campagne doit se subvenir à elle-même n'est pas nouvelle. Le pillage et les réquisitions marquent les limites des États, dont les dépenses militaires, toujours en augmentation, ne permettent pas de pallier aux besoins des soldats. Or, si le fait n'est pas nouveau, le contexte économique et militaire de la France sous la Révolution, permet de mieux comprendre la nécessité de créer une caisse capable de rendre l'armée financièrement autonome.
En effet, il convient de rappeler le problème lié à la chute de la valeur de l'assignat. Bien loin de se discréditer en augmentant les recettes, tout en baissant les dépenses, l’État s'en remet à ce chiffon de papier, ce qui entraîne une chute de sa valeur, exacerbée par le contexte de guerre aux frontières. 98 % des dépenses militaires sont financées par l’émission d'assignats qui ne font que proliférer : 5 milliards fin 1793, 27 milliards fin 1795 (2). La dépréciation s’amplifie. 100 livres d'assignats valent 38 livres en or à la fin de l’année 1793, pour arriver à 0,6 fin 1795 – valeur si faible que le papier servant à les créer a plus de valeur que l'assignat lui-même.
Si le Directoire abandonne l'assignat le 19 février 1796, il crée les mandats territoriaux sur le même principe, avec les mêmes conséquences : une baisse de 74 % de leur valeur en seulement quelques jours. Le Directoire doit chercher de nouveaux revenus et soutenir une guerre contre la puissance autrichienne sur deux fronts, ne pouvant compter que sur des soldats délaissés et prêts à tourner leurs armes contre lui. Il confie à un jeune général, Bonaparte, une armée de 30 000 hommes avec une feuille de route précise, visant à piller l'Italie de ses richesses pour soutenir les finances françaises. Bien loin d’exécuter les ordres, celui-ci va utiliser les fruits des pillages pour fidéliser l’armée, et ainsi se soustraire aux directives de Paris.
Mise en place pendant la campagne d'Italie
Aux yeux des directeurs, l'Italie se positionne comme une base avancée devant fournir les richesses capables de relancer la machine économique française. Pour atteindre cet objectif, il faut compter sur une armée en manque de tout. Pour sauver la situation, Bonaparte est obligé d'appliquer le concept de l'autofinancement d'une armée en campagne : la guerre nourrit la guerre. Et afin de maintenir cette armée et remplir la mission du Directoire, il doit imposer aux régions des contributions de guerre. Les victoires de Lodi, d'Arcole et de Rivoli le lui permettent. Ainsi, chaque ville ou village est imposé d'une taxe de guerre, allant de 20 000 livres pour Lodi, à 250 000 livres pour les villes plus importantes.
Le 10 thermidor an iv, la France impose l'Italie à près de 62 millions de livres (3), dont l'immense majorité est consommée sur place, servant à payer la solde et le ravitaillement des soldats. Plus encore, Bonaparte récompense par des dons d'argent les soldats les plus méritants. Comme les Imperatores romains, il se constitue une clientèle, qu'il récompense pour ses efforts. Alors que les autres armées sont payées en assignats, l'armée d'Italie devient, de fait, une sorte d'armée de mercenaires dévouée à Bonaparte, et obligée de rester en Italie, tant que la France ne peut pas la payer elle-même. Le sentiment de reconnaissance des soldats pour le général est d'autant plus visible que l'armée n'aime pas le régime du Directoire.
Si Bonaparte réussit à rendre autonome près de 50 000 soldats à la fin de la campagne d'Italie, Napoléon devra gérer la solde de 150 000 soldats prêts à partir pour la campagne d'Allemagne, sans que cela ne pèse trop sur le Trésor public.
Une réponse au pari de Napoléon
Dès son accession au pouvoir, l'Empereur a un grand dessein, celui d'imposer une paix perpétuelle en Europe. En effet, dans le Mémorial, il parle d'une « confédération européenne », régie par les mêmes principes incarnés dans un code européen, une Cour de cassation européenne, une monnaie commune…
Les intérêts dynastiques des rois et leur diplomatie secrète sont supplantés par les intérêts collectifs et économiques (4).Or, les intérêts dynastiques priment sur les intérêts communs, d'où les guerres pour une domination en Europe. Ainsi, Napoléon veut fédérer par une domination exclusive du continent. Pour ce faire, il doit contraindre militairement les grandes puissances. Une telle vision requiert une explosion des dépenses militaires, ne pouvant être financées que par l’impôt. En effet l'entretien des troupes est un véritable fardeau financier pour les Etats. L'Empereur, ne pouvant se permettre de délégitimer son pouvoir, décide d'appliquer son expérience de l'Italie à une armée forte de plusieurs centaines de milliers de soldats. Les troupes, en France, seront équipées par les contribuables, mais devront pourvoir à leurs besoins dès que la frontière sera franchie. Seule la solde sera payée par le Trésor.
Pour limiter le poids de la guerre sur les Français, la Grande Armée frappe de contributions de guerre toutes les localités, alliées ou ennemies. L'ensemble des campagnes napoléoniennes rapporte plus de 1,2 milliards de francs en contributions de guerre. Les campagnes éclairs de 1805 et 1806 permettent, comme en Italie, de rendre l'armée complètement autosuffisante. Le rôle de Daru est primordial. Il passe des marchés avec les villes pour acheter des vivres, des munitions, directement sur les fonds de la caisse de l'armée. Mieux, il crée des manufactures dans les pays conquis. Du 1er octobre 1806 au 15 octobre 1808, il fournit 142 343 habits, 206 977 vestes et gilets, 247 623 culottes et pantalons, 254 536 capotes, 173 068 gibernes, 347 000 chemises, 20 000 paires de bottes, 1 250 000 souliers. De plus, ce sont aussi quotidiennement 215 000 rations de pain, 90 000 de liquide, 54 000 de riz et de légumes, 125 000 de viande et 30 000 d'orge et d'avoine qui sont collectées (5).
Après la signature du traité de Presbourg, il reste dans la caisse 3 millions de francs, ce qui prouve que la campagne de 1805 n'a rien coûté aux Français. Napoléon écrit à Barbé-Marbois : « Vous pouvez ne plus envoyer d'argent à cette armée-ci, même pour la solde. » Fin 1808, les comptes du payeur général font état d'un reliquat de la campagne de Prusse de 35 millions de francs.
De la caisse de l'armée au Domaine extraordinaire
C'est le 30 janvier 1810 qu'est instauré le Domaine extraordinaire. Ses objectifs sont de subvenir aux besoins des soldats et de récompenser les grands serviteurs de l’État. La caisse de l'armée le faisait déjà. Dans ce cas présent, la caisse du Domaine extraordinaire en est l’héritière.
Cependant, d'autres tâches y sont adjointes comme la construction de grands bâtiments ou de grands travaux. Pourquoi avoir rajouter de tels objectifs ? Une des raisons est géopolitique. En 1810, il n'existe tout simplement plus d'ennemis sur le continent. La défaite de l'Autriche et la signature du traité de Schönbrunn le 14 octobre 1809 mettent fin à la cinquième coalition. Le seul ennemi capable de tenir tête à l'Empereur est écrasé. En d'autres termes, les grandes puissances sont soit dirigées par l'entourage proche de Napoléon (les napoléonides) ,soit alliées à la France du fait de leurs défaites passées (la Prusse, l'Autriche). Ainsi, dans ce contexte de domination quasi totale de la France, la caisse de l'armée peut se permettre de limiter les dépenses liées à la guerre et se tourner vers l'économie intérieure, puisqu'à part dans la Péninsule ibérique, la paix règne partout.
La très grande majorité des revenus du Domaine extraordinaire se compose des contributions des troisième, quatrième et cinquième coalitions, payées sous forme d'obligations à 5 % d’intérêts. Les fonds sont avant tout issus des contributions de guerre, mais aussi des traités diplomatiques passés avec les alliés et les ennemis concernant les cessations de terres. En effet, la cession des territoires acquis par la France et remis à ses alliés, est effectuée contre un dédommagement. Pour récompenser ses soldats, Napoléon se réserve dans les pays alliés un certain nombre de domaines allodiaux, lui rapportant des millions de francs par an.
En d'autres termes, la cession de territoires par la France à ses alliés peut être assimilée à un cadeau empoisonné, puisque chacun des territoires nouvellement acquis doit être payé à l'Empereur, à un montant équivalent à sa valeur. Par exemple, la cession du margraviat de Bayreuth, de Salzbourg et de l'Innviertel à la Bavière se fait en échange de 15 millions de francs le 28 février 1810.
Le Domaine extraordinaire peut également compter sur d'autres ressources, comme des obligations dont la caisse est grevée, notamment sur les canaux du Midi, du Loing et d'Orléans, mais aussi des prêts aux villes françaises. Au 31 janvier 1810, les recettes des trois canaux rapportent 943 000 francs au Domaine extraordinaire (6). Il ne faut pas non plus oublier divers prêts de plusieurs millions de francs, que le Domaine extraordinaire accorde aux puissances étrangères, et notamment allemandes, pour les aider à payer leurs contributions de guerre. À cela s'ajoutent enfin les divers revenus issus des domaines allodiaux d'Espagne, et surtout d'Allemagne, appartenant à l'Empereur, d'une valeur de plus de 15 millions de francs.
Pour brièvement résumer, le Domaine extraordinaire est une caisse servant à investir de l'argent reçu des vaincus dans l'économie française. Bien sûr, il n'a pas pour but de voir ses fonds diminuer et disparaître. En effet, chaque action financière, du simple prêt à des pays, comme la Westphalie, aux prêts aux institutions françaises, comme la caisse d’amortissement, ne peut se faire que par le remboursement d’intérêts. Ainsi, la caisse s'autofinance en permanence, et récupère le fruit de ses investissements, plus ses intérêts. Au 31 janvier 1810, le Domaine extraordinaire compte plus de 205 millions de francs, soit pratiquement l'équivalent des dépenses civiles de l’État en 1805 (7).
Les objectifs
Le premier objectif du Domaine extraordinaire est avant tout de rendre autonomes les armées en campagne. Or, après la campagne, Napoléon doit récompenser ses soldats. Les domaines à l'étranger sont sans nul doute les récompenses les plus prestigieuses réservées à l'élite de l'armée. Ainsi, dans le dictionnaire des donataires de Westphalie, sur les 913 militaires récompensés, tous sont des officiers généraux ou supérieurs. Parmi les mieux dotés, on trouve les maréchaux. Berthier, par exemple peut compter sur des revenus s'élevant à plus d'un million de francs. Les revenus issus des domaines étrangers sont tirés des biens productifs, comme les moulins, les salines, les manufactures, auxquels il faut ajouter les droits seigneuriaux qui pèsent sur les résidents. Outre les domaines à l'étranger, les soldats peuvent compter sur d'autres types de récompenses comme des actions sur les canaux, d'une valeur de 10 000 francs, rapportant 5 % par an. Au total, les 1 400 actions sur les canaux du Loing et d'Orléans sont réparties entre 780 personnes de noms différents. Ce chiffre prend également en compte les changements de propriétaire en cas de mort de l'actionnaire, entre 1809 et 1815. Pour finir, les dons en argent représentent de loin les récompenses les plus courantes, souvent d'une valeur de 250 francs. Ils sont réservés aux simples soldats.
Pendant toute la durée de l'Empire, Napoléon récompense 5 866 civils et militaires sur les fonds du Domaine extraordinaire, pour une valeur de plusieurs dizaines de millions de francs. Chaque année, il distribue entre 15 et 30 millions de francs à titre de gratification (8). Outre la récompense des soldats, les fonds du Domaine extraordinaire sont utilisés comme des soutiens à l'économie française sous forme de prêts. À Paris, Napoléon ordonne d'assainir la ville. Les créations d’abattoirs, de cimetières et de nouvelles fontaines, sont les fruits du Conseil de salubrité de la ville de Paris. Napoléon reconstruit la Halle aux blés et des marchés pour subvenir aux besoins des Parisiens. Enfin, les prêts à la ville de Paris permettent de l'embellir et de la rendre plus accessible. On trouve le pont des Arts, le pont d'Austerlitz, le pont d'léna. Dans ses Mémoires, le baron Fain estime l'ensemble des travaux parisiens entre 1804 et 1813 à 212 millions de francs, dont 50 millions viennent du Domaine extraordinaire.
Les fonds du Domaine extraordinaire servent aussi à magnifier le pouvoir de l'Empereur, par de grands travaux de restauration ou de construction des palais impériaux. Cinq fonds spéciaux provenant directement du Domaine extraordinaire, sont spécialement créés. On compte parmi ces derniers des fonds destinés à rénover le Louvre, Versailles et la machine de Marly, alors que d'autres le sont à construire la Galerie Napoléon, l'église Saint-Napoléon, et son palais pour le roi de Rome. Ainsi, sur les 119 830 000 de francs prévus pour les divers projets relatifs aux palais et bâtiments impériaux, 62 millions ont été dépensés en 1813, dont 32 millions par le Domaine extraordinaire, sans compter les 22 millions destinés à acquérir des domaines de la Couronne, et 30 autres millions destinés à l'achat de diamants, de bijoux ou de tableaux (9).
Les limites
Le principe de la caisse de l'armée est par essence pervers. En effet, il s'agit bien d'une caisse du pillage officiel, alimentée par les victoires militaires. Son fonctionnement repose donc sur trois éléments indispensables : la victoire des troupes françaises, une campagne courte pour éviter des dépenses supplémentaires et la nécessité de faire la guerre à des puissances suffisamment puissantes et riches, pour pouvoir les imposer. Or, force est de constater que la guerre n'a pas toujours nourri la guerre.
La première campagne « décevante » sur le plan financier est celle du Portugal en 1807. En effet, Junot est incapable de lever les 100 millions de francs de contributions voulus par Napoléon. En Espagne, les finances sont si mauvaises que l'Empereur demande à la Banque de France de prêter 25 millions de francs à Joseph. Finalement, ces 25 millions seront versés par la caisse de l'armée. L'armée victorieuse prête au vaincu les ressources nécessaires à sa survie.
Pour la caisse de l'armée, la guerre d'Espagne est une défaite. Pour subvenir aux besoins des 350 000 soldats stationnés dans la Péninsule, le Trésor public est contraint de faire parvenir des fonds en Espagne, sous peine de voir l'armée mourir de faim. Entre janvier 1810 et juin 1811, 50 millions de francs sont directement tirés du Trésor. D'après une estimation de Mollien, le conflit espagnol aurait coûté 350 millions de francs à la France, tandis que la même somme aurait été prélevée dans la Péninsule au profit de l'armée. Entre 1810 et 1814, Suchet administre les provinces d'Aragon, de Valence et de Catalogne. En quatre années, sur les 73 millions de recettes qu'il perçoit, seuls 7 millions sont envoyés à Madrid, le reste ayant été utilisé pour l'armée française.
La campagne de 1809 est également décevante pour Napoléon. Il écrit à Mollien : « Cette campagne ne m'a pas rendu autant que la précédente. » (10) Après 1810, les dépenses ne font que s’accroître. Si le Domaine extraordinaire dispose de plusieurs centaines de millions de francs, il ne faut jamais oublier que l'immense majorité de ses fonds sont des obligations venant de toute l'Europe. Ainsi, les centaines de millions ne correspondent pas réellement aux fonds disponibles. Bien au contraire, la majorité sont des titres financiers, dont le Domaine ne perçoit que les intérêts. Cette richesse est en réalité assez peu mobilisable et ne représente qu'un capital financier. L'augmentation du nombre de soldats et les dépenses liées aux nouvelles fonctions de la caisse de l'armée diminuent les fonds de la caisse, passant de 205 millions de francs fin 1810 à 150 millions fin 1811. Les campagnes suivantes, du fait des retraites et des défaites militaires, sont, quant à elles, complètement déficitaires. En absence de preuves, il y a fort à penser que pendant la campagne de Saxe, la caisse de l'armée est complètement vide.
De plus, si pour survivre, le Domaine extraordinaire doit compter sur la guerre, son utilisation par Napoléon comme arme politique permet d'expliquer une des raisons de l'effondrement de l'Empire. En effet, entre 1810 et 1812, l’absence de grandes victoires militaires fait fondre les ressources de la caisse. Pour y remédier, l'Empereur développe une politique brutale et humiliante vis-à-vis des puissances européennes. Il préserve les fonds du Domaine extraordinaire en ordonnant aux puissances européennes d'entretenir une partie de son armée. En moyenne, les 300 000 soldats français stationnés à l'étranger représentent une économie de près de quarante millions de francs, permettant à Napoléon de garder sous les drapeaux 750 000 hommes. D'une manière plus générale, le montant total des sommes payées par les pays alliés pour le casernement des troupes françaises sur leur sol, entre 1803 et 1813, s'élève à près de 130 millions de francs.
Les alliés ne sont pas mieux lotis. Les demandes de l'Empereur font exploser les budgets militaires. Outre le casernement, Napoléon exige que des troupes soient levées dans tous les pays alliés. Or, ces levées de troupe sont au-dessus des capacités réelles des États. Il ne faut jamais oublier que Napoléon s'est réservé des domaines dans presque toute l'Europe, ce qui ampute les États de centaines de milliers de francs, si ce n'est de millions. L'exemple le plus célèbre est celui du royaume de Westphalie. Dans les faits, la grande partie des richesses de ce royaume provient des produits issus des domaines, dont la moitié aurait dû revenir au frère de Napoléon. La situation financière de Jérôme est d'autant plus préoccupante que ses terres avaient été frappées de contributions de guerre en 1806 et que les domaines réservés par Napoléon pour récompenser ses soldats sont les plus riches du royaume. De plus, ces terres ne sont pas imposables, ce qui ampute les revenus de la Westphalie de plusieurs millions de francs par an. Pour certains États, les exigences françaises liées à ses soldats représentent jusqu'à 50 % de leurs dépenses.
Alliés ou ennemis, les exigences de l'Empereur plongent les États dans une politique de rejet de la vision d'une Europe napoléonienne, exacerbée par un éveil des nationalismes. En France, la situation est similaire. Si la caisse de l'armée a préservé les Français de levées d’impôts supplémentaires au début de l'Empire, l’absence de victoires contraint Napoléon à lever des nouvelles contributions indirectes, notamment sur les alcools et le tabac, pourtant très impopulaires. Les coûts supplémentaires engendrés par les campagnes militaires n'ont été couverts qu'à hauteur de 48 % par la guerre. Le reste a été financé par la fiscalité française, devenant écrasante après 1812.
Le pari d'épargner les finances françaises est perdu et explique; en partie, la désaffection non seulement de l'armée, qui n'est plus récompensée faute de moyens, mais plus généralement des Français à la cause impériale.
Comentarios