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Le Premier consul signant le Concordat

Une esquisse, récemment acquise par le musée Napoléon Ier du château de Fontainebleau, offre un nouveau regard sur l'accord conclu avec l’Église catholique aux Tuileries le 15 juillet 1801.



Christophe Beyeler / conservateur général du patrimoine chargé du musée Napoléon Ier et du cabinet napoléonien des arts graphiques du château de Fontainebleau.


Si, tant attendue après une décennie de guerre, la paix signée à Amiens avec l’Angleterre le 25 mars 1802 est ratifiée sans anicroche, le Concordat est fortement débattu au Tribunat, où il rencontre l’opposition des Idéologues, et n'est promulgué par la République française que le 18 avril 1802. La paix religieuse et la réconciliation intérieure qu’elle permettait représentaient un enjeu capital pour le régime consulaire soucieux de s’enraciner. 


Un concours organisé par le ministre de l’Intérieur

Par un arrêté du 26 germinal an x (soit dès le 16 avril 1802), le ministre de l’Intérieur Chaptal, de qui relèvent les arts, se hâte d’organiser un concours pour « célébrer les deux époques de la paix d’Amiens et de la loi sur les cultes », selon les termes de l’« Appel à tous les artistes de la République française », graveurs, sculpteurs, peintres et architectes. Les peintres doivent fournir « une esquisse peinte, de treize décimètres ». Le vainqueur recvra 12 000 livres pour l'exécution d'un tableau fini de grandes dimensions, rien moins que 5,85 m de large et 4 m de haut.


Un nombre considérable de concurrents se présente à ce concours dit « de l’an x », où figurent  52 tableaux ou esquisses peintes, 19 sculptures, plâtres ou terres cuites, 14 projets de médailles dessinés ou modèles, enfin 27 projets ou esquisses d'architecture.

En peinture, la plupart des artistes, qui peuvent choisir entre « les deux époques de la paix d’Amiens et de la loi sur les cultes », traitent le second thème. Un visiteur de l’exposition le remarque nettement dans son article « Coup d'œil d'un amateur des beaux-arts », paru dans le Journal des bâtiments civils, monuments et arts : « Tous ou presque tous les concurrents ont représenté le triomphe de la religion, ou son rappel et son rétablissement en France. Mais la religion n'était ni bannie, ni renversée, seulement son culte n'était plus extérieur. » En tant que critique lié au milieu des Idéologues, il avance l’explication de la facilité : « Avec des anges, des nuages, de la fumée, des encensoirs, des autels, on est toujours à peu près sûr de produire des effets, et souvent des effets agréables. Mais cela ne suffit pas, il faut y joindre des pensées ».


Une œuvre d’esprit ossianesque

Prendre détail 1 en haut à gauche de Concordat1

L’auteur de l’esquisse récemment acquise s’y essaie à sa façon. La tâche n’est certes pas facile. Exprimer un propos complexe, impliquant plusieurs acteurs d’essence différente, suppose de combiner harmonieusement deux mondes de nature différente. C’est un défi auquel se confrontent plusieurs contemporains. François Gérard, qui reçoit commande en 1800 pour le salon de compagnie du château de Malmaison d’un Ossian évoquant les fantômes au son de la harpe sur les bords du Lora, de format presque carré, étage sa composition sur deux plans, celui terrestre du barde, et celui onirique des « fantômes ». Jean-Pierre Franque, qui présente au salon de 1810 une Allégorie de la France attendant le retour d’Égypte du général Bonaparte (musée du Louvre), de format horizontal, opte pour une distribution en deux angles opposés, correspondant aux deux continents séparés par les flots, l’Europe où la France est assaillie, et l’Afrique où Bonaparte entend son appel. Quant à Jean-Dominique Ingres, chargé d’un plafond pour la chambre de l’Empereur au palais impérial de Monte Cavallo à Rome, il exécute en 1813 un monumental Songe d’Ossian (aujourd’hui conservé au musée Ingres à Montauban), de format vertical, où il distingue deux plans partiellement compénétrés, le barde assoupi sur un rocher étant environné par des nuées supportant les êtres oniriques nés de son sommeil.


À l’instar de ces contemporains mais en mobilisant un référentiel chrétien, l’auteur de l’esquisse, dont il est difficile de percer l’anonymat, a juxtaposé à dessein plusieurs mondes, terrestre et céleste, auquel il ajoute même le monde infernal en bas à gauche. Une grande diagonale structure la composition et forme une coulée de lumière, depuis l’angle supérieur gauche d’où elle irradie, jusqu’à l’angle inférieur droit, en passant par le bras tendu d’un ange et le bras maniant la plume du Premier consul. Au premier plan, le peintre a placé au milieu un groupe triangulaire, composé d’une figure de la Justice tenant balance et main de justice et d’une figure ailée brandissant un glaive à la lame flamboyante, démarquée d’un saint Michel de Jugement dernier. Sur le côté droit, une table, recouverte d’un tapis vert frangé d’or, supporte une lampe bouillote, un globe, des livres et un document que signe le Premier consul. Bonaparte, vêtu de son habit de fonction, est comme inspiré par l’ange vêtu de blanc qui lui montre un monde supérieur.


Un encodage iconographique complexe

Ce registre supérieur, qui occupe le plan médian de l’œuvre, associe de très nombreuses références. À gauche apparaissent successivement une sorte de chœur céleste, puis un premier groupe composé des trois vertus théologales : la Foi croisant les bras sur la poitrine, la Charité allaitant deux nourrissons, et l’Espérance tenant son ancre. Ce premier groupe ternaire, disposé en frise, en surplombe un second, formant un triangle : le Temps barbu et ailé, armé de sa faux, regarde le miroir que lui tend la Vérité à l’innocente nudité, tandis qu’une figure féminine inspirée joue de la lyre.


Au centre de la composition apparaît un autre groupe, représenté avec une légère différence d’échelle. Ces quatre figures assises sont puisées dans le répertoire des Saintes Écritures, Ancien comme Nouveau Testament. Moïse barbu tient de son bras droit les tables de la Loi et tend l’index gauche vers le registre inférieur. Un prophète barbu tient un texte de sa main gauche, montre le Ciel de l’index droit, et par-delà l’apôtre Paul reconnaissable à sa calvitie, échange un regard avec saint Jean qui tient l’Apocalypse. Accosté d’un aigle et vêtu de rouge et bleu, saint Jean tend son bras droit en direction d’un ange de blanc vêtu. Cet ange, par son bras droit montrant la cour céleste et sa main gauche posée sur l’épaule de Bonaparte signant le Concordat, fait le lien entre les deux mondes.


À l’arrière-plan de ces figures aux couleurs tranchées se massent deux groupes complémentaires, plus évanescents. À gauche, se pressent des guerriers tendant le bras, certains en armure (renvoyant à des temps antérieurs, peut-être aux croisés des Gesta Dei per Francos), d’autres en uniforme contemporain, rehaussé d’un panache tricolore, dans un esprit proche des généraux peints par Anne-Louis Girodet dans son Apothéose des héros français morts pour la patrie pendant la guerre de la Liberté, œuvre commandée par l’architecte Fontaine en 1800 pour le salon de compagnie du château de Malmaison et exposée au Salon de l’an X (1802). À droite, sont figés des hommes vêtus en toge antique, probablement des martyrs chrétiens, graves et statiques.


En dehors de toute question esthétique, cette œuvre, saturée de références chrétiennes et campant une sorte de vision de Bonaparte signant le Concordat sous le coup de l’inspiration, unissant l’Histoire en train de s’écrire avec une vision quasi eschatologique, a donc peu de chances de retenir l’attention favorable du jury, en large part issu du monde des Lumières.

Les prix ne sont pas in fine décernés aux artistes (sauf pour l’art de la médaille, où est distingué le graveur Rambert Dumarest), mais l’article VI du règlement du concours est appliqué, qui prévoit qu'« une somme de 25 000 livres sera répartie, à titre d’encouragement, entre ceux des concurrents qui, sans obtenir de prix, auront fait preuve de talens ». Johann-Friedrich Reichardt, un perspicace observateur prussien très introduit dans les milieux intellectuels parisiens, note dans une lettre datée du 8 février 1803 : « Contre l’attente générale, le gouvernement vient de distribuer des prix de cent à cinquante louis à quelques artistes qui ont pris part au concours ouvert pour des monuments commémoratifs du Concordat et de la paix d’Amiens. Les projets exposés au Muséum, dans la salle des dessins, étaient plus que médiocres ; aucun artiste en renom ne s’était mis sur les rangs ; la lenteur de l’administration à payer les prix décernés dans des expositions précédentes a dû les faire hésiter. Le gouvernement paraît au surplus concentrer ses ressources sur les services civils et militaires. »


Bibliographie

Bruno  Foucart, « Les iconographies du Concordat, laboratoire d’une nouvelle politique de l’image », Le Concordat et le retour de la paix religieuse, sous la direction de Jacques-Olivier Boudon, actes du colloque organisé par l’Institut Napoléon et la bibliothèque Marmottan le 13 octobre 2001, Paris, SPM, 2008, pp. 151-167.


Christophe Beyeler, « Concurrence entre Rome et Paris. Mises en image rivales du Concordat », Pie VII face à Napoléon. La tiare dans les serres de l’Aigle. Rome-Paris-Fontainebleau, 1796-1814, catalogue d’exposition sous la direction de Christophe Beyeler, château de Fontainebleau et Réunion des musées nationaux, 2015, pp. 53-57.


Au cœur du parcours muséal

Cette esquisse a été acquise avec le concours d’un couple de collectionneurs raffinés, Guy et Hélena Motais de Narbonne, en mémoire du professeur Bruno Foucart (1938-2018), spécialiste de peinture religieuse du xixe siècle, directeur scientifique de la bibliothèque Marmottan et secrétaire général de l’Institut Napoléon. D’une importance cardinale, elle donne la clé concordataire de la salle « Napoléon en nouveau Constantin » du futur grand musée Napoléon Ier. Cette salle thématique, dont l’appellation reprend une comparaison prisée des contemporains, traitera de la volonté personnelle de Bonaparte de redonner une armature religieuse au pays, des deux personnages clés que furent le pape Pie VII et le cardinal Fesch, de la Grande Aumônerie relevant de la Maison de l’Empereur, et plus largement du thème de l’État et des religions.

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