Opposant Français et Prussiens, le siège de Givet a eu peu d’incidences sur les événements suivant la bataille de Waterloo, mis à part donner quelques cartes à la diplomatie royale et sauvegarder l’honneur. Néanmoins, le rapport du lieutenant-général Bourk, « gouverneur des places de Givet et Charlemont », au duc de Richelieu permet de saisir la réalité d’une cité assiégée entre deux changements politiques, offrant une vision moins romantique et plus pragmatique que l’image du chevaleresque général Daumesnil au château de Vincennes.
Suite aux combats de Wavre et Namur, Grouchy entre avec son armée à Givet le 21 juin, transportant 1 800 blessés dont certains seront soignés chez l’habitant. Les blessés rétablis fourniront un appoint précieux quand la poudre parlera. Le maréchal réquisitionne de l’eau de vie et du pain pour deux jours afin de nourrir 20 000 hommes puis écrit une proclamation félicitant ses hommes pour l'exécution de la retraite, leur demandant d’être les « défenseurs notre chère patrie ». L’Empereur n’ayant pas abdiqué, la poursuite de la lutte reste une évidence. L’arrivée d’une armée en retraite en plus d’avoir un impact négatif sur le moral d’une population désorientée a des effets matériels qualifiés de « calamité pour le pays qui dut fournir à leurs besoins » selon le rapport écrit par le préfet du Nord, de Mézy, en mai 1816. Lui aussi est concerné par le reflux de l’armée impériale. Déjà éprouvé par ces événements, les habitants de Givet subissent d’autres épreuves.
Les moyens de défenses
Suite à la mise au ban de Napoléon, la France doit songer à défendre ses places septentrionales menacées par les Prussiens, les Hollando-Belges et les Britanniques. Dans les Ardennes, ce sont sept bataillons d’élites de la garde nationale qui assurent la garde des frontières sous les ordres du maréchal de camp baron de Leocour. L’argent nécessaire est collecté localement, 80 000 francs venant des communes, 100 000 francs du gouvernement et 20 000 francs de taxes de remplacement. Mais comme c'est insuffisant, il faut faire appel à la générosité des habitants compris dans les rôles de contributions directes tandis que des artisans travaillent à habiller, nourrir et vêtir la troupe.
En moins d’un mois, le département est en état de défense. Néanmoins, Bourk paraît très pessimiste dès le départ de Vandamme qui commande l’arrière-garde de Grouchy. Il se plaint d’une « place d’un développement énorme et qui n’avait pour garnison que 4 000 gardes nationaux ». De plus, il juge ses hommes « peu exercés et sur l’esprit desquels, le passage d’une armée en retraite avait fait le plus mauvais effet ; la désertion commençait d’une manière effrayante ». Malgré l'effort du département, les moyens financiers semblent manquer, ce qui sera un souci persistant : « Le payeur de la Guerre n’avait plus que 1 700 francs en caisse et la dépense de la garnison excédait 80 000 francs par mois, pour la solde seulement. » Heureusement, 60 000 francs arrivent le 24 juin afin de pourvoir à ses besoins jusque mi-juillet.
Les opérations
Bourk aperçoit les premiers éclaireurs prussiens, le 26 juin. Trois jours plus tard, un parlementaire prussien vient demander la reddition de la place au nom du prince Auguste de Prusse (1). Bourk « répondit en envoyant copie des lettres par lesquelles le ministre de la Guerre après m’avoir donné connaissance de l’abdication de L’Empereur et de ce qui s’était passé à Paris jusqu’au 24, m’engageait à conclure un armistice avec les troupes alliées qui se trouvaient autour de Givet », sans livrer la ville. Pendant ce temps-là, d’autres corps prussiens assiègent Maubeuge, Landrecies, Mariembourg, Philippeville et Rocroi. Seul Givet résistera plus que quelques jours aux Prussiens du général Moritz von Prittwitz.
Le 7 juillet, un nouveau parlementaire demande à Bourk de remettre Givet au nom du prince Blücher qui accepte un retrait de la garnison au-delà de la Loire avec l’armée française conformément aux articles de la capitulation de Paris. Une offre qui entraîne un nouveau refus ! Les fonds venant à manquer pour payer la solde, Bourk va se faire percepteur : « Je frappai sur la ville un emprunt de 80 000 francs », puis buraliste : « À l’époque de l’évacuation de la Belgique on avait transporté à Givet, une certaine quantité de tabacs que le général en chef m’avait autorisé à vendre pour les besoins de la garnison en cas de blocus. » Après en avoir fait estimer la valeur à 60 000 francs par des négociants, « le produit de cette vente joint au montant des versements des Receveurs particuliers dans la Caisse du payeur de la Guerre servit à payer à la troupe la deuxième quinzaine de juillet, à mettre le génie et l’artillerie à même de continuer et de hâter leurs travaux et il resta de quoi faire ». Cette vente lui permet de recevoir plus sereinement un nouveau parlementaire le 14 juillet lui apprenant la reddition de Maubeuge et lui offrant les mêmes conditions (2).
Le 18 juillet, Bourk reçoit des nouvelles de Paris dont celle de la restauration de Louis XVIII. Réunissant alors le conseil de défense, « tous adhèrent à la proposition que je fis de faire prendre la cocarde blanche aux troupes et d’envoyer à Paris un officier porteur au roi de l’acte de soumission de Givet et Charlemont ». Le gouverneur propose donc au général prussien de cesser les hostilités dès le 21 à midi puisque les voici… alliés ! Toutefois, les Prussiens, excédés, ne souhaitent plus négocier avec leurs « alliés » et le prince Auguste fait répondre par « un refus formel d’avoir avec moi à l’avenir, aucunes relations, si ce n’est pour la reddition absolue de la place. Toutes négociations étant rompues… »
L’attaque prussienne devenant inévitable, les assiégés décident d’abattre quelques maisons gênant leur tir, ce qui est fait le 23 juillet lors d’une sortie de deux cents hommes. Les Prussiens ont quarante tués tandis que les Français perdent un grenadier et dix blessés. Malgré ce succès, Bourk relate : « Il ne me manquait qu’une garnison nombreuse et formée de meilleures troupes pour être en état d’attendre les événements avec une entière sécurité. »
Malgré l’attitude résolue du prince Auguste, celui-ci envoie encore un parlementaire, colonel du génie, demander la reddition de la place le 31 juillet. Bourk répond qu’il attend des ordres du roi mais le colonel lui répond que le roi de France ne peut rien décider sans les alliés. Les tractations sont au point mort. Le 8 août, Bourk entend une forte canonnade du côté de Philippeville, qui capitule. Il reçoit le jour même des ordres demandant de tout faire pour conserver la place au roi, mais la situation devient préoccupante : « Le soldat était nu ; il murmurait contre sa situation et contre sa durée indéterminée ; mes ressources étaient épuisées et je ne savais plus à quel moyen recourir pour continuer à payer la troupe. L’approvisionnement de siège en denrées n’était pas complet, beaucoup de départements n’avaient fourni qu’une partie du montant de leurs réquisitions. »
Le repli sur Charlemont
Le numéraire s’épuisant, Bourk devient cette fois grossiste en viande car le cheptel de la place est frappé par une épidémie. Il est donc décidé d’abattre un maximum d’animaux afin d’en vendre la viande, ce procédé permettant de récolter plus de 93 000 francs ce qui finance le mois d’août. Le 24 août, la tension baisse et Bourk croit déceler l’annonce d’une paix prochaine dans les rapports courtois qu’il entretient avec son homologue prussien. Cet espoir s’éteint vite puisque l’intraitable prince Auguste ayant fait tomber les places de Maubeuge, Mézières, Philippeville et Rocroi, « refusa des passeports aux députés qui devaient se rendre à Mézières, parla à ceux qui venaient de Rocroi, les effraya par la menace de bombarder et d’incendier prochainement la ville de Givet ; il leur fit voir ses camps, ses munitions, ses parcs d’artillerie ».
Le 3 septembre, l’affaire devient plus sérieuse puisqu'un véritable combat s’engage pour le contrôle du poste avancé des Faudes où se tiennent vingt-cinq douaniers le jour. Pendant la nuit, les Prussiens occupent le poste et s’y retranchent. Toute la journée, Bourk tente de reprendre le poste mais échoue, suite au peu d’entrain de ses soldats : « Je vis avec peine que je devais peu compter sur ma garnison puisqu’un détachement des meilleures troupes, avait mal répondu à ce que j’en attendais. » Ce jour-là, les Français comptent un tué et seize blessés tandis que Bourk évalue les pertes prussiennes à cent cinquante soldats du fait de l’artillerie de la place. Néanmoins, les Prussiens tiennent maintenant une position où leur artillerie pourra pilonner la ville de Givet.
« Considérant donc qu’en faisant brûler les Givets, je causais la ruine d’une foule d’individus sans que notre situation à venir s’en améliorât, j’assemblai secrètement mon Conseil de défense et tous les membres, un excepté, furent d’avis d’entrer en accommodement avec l’ennemi. » Bourk entre en discussion avec les Prussiens pour proposer son retrait sur Charlemont, « clef du système », en donnant en gage jusqu’à la paix, les « deux Givet ». Le prince Auguste se montre très difficile si bien qu’« après 3 heures de débâts aussi pénibles qu’inutiles, je fus obligé de me contenter de la capitulation ».
Une nouvelle phase
Le siège devient une guerre psychologique entre les retranchés de Charlemont et les Prussiens. « On faisait savoir aux gardes nationales que partout elles étaient licenciées, aux douaniers que leurs camarades étaient rentrés à leurs postes et étaient en fonctions sur toute la ligne, tant de tentatives ne pouvaient être sans succès. » Il reste, face aux Prussiens, le 10 septembre, « 168 officiers et de 3 443 sous-officiers et soldats ». Pendant ce temps, Bourk est moins isolé car les Prussiens laissent passer des officiers royaux lui remettant des avis et des liquidés, et il reçoit l’ordre de conserver Charlemont dans l’optique des négociations de paix. Le 21 septembre, le prince Auguste « vint ce jour-là établir son quartier général à Givet, il m’écrivit qu’ayant reçu officiellement l’annonce d’une paix prochaine il désirait que nous convinssions d’une suspension de toute hostilité, nous engageant par écrit à ne les recommencer qu’après nous être prévenu 24 heures d’avance ».
À partir de cet instant, les Français aperçoivent les barges descendre la Meuse avec de l’artillerie et des grains suite à la fin progressive des hostilités. Le 1er octobre, Bourk note dans son journal que la désertion s’amplifie, le soldat ne comprenant plus l’intérêt du combat. Il commence à licencier vingt gardes-nationaux par jour à partir du 16 pour calmer les esprits. Cette décision est aussi pragmatique car « une diminution quelconque était d’ailleurs devenue nécessaire. Il n’y avait plus de viande fraîche que pour un petit nombre de malades ; il ne restait plus que du lard salé en si petite proportion qu’on en distribuait plus à la troupe que tous les trois jours, les deux autres jours, elle recevait du riz et des légumes secs. » En novembre, il cesse le renvoi des gardes nationaux suite à un ordre venant de Paris mal interprété et la désertion recommence.
La fin du siège
Enfin, le 27 novembre, Bourk reçoit une lettre venant de Paris « annonçant que la place de Charlemont devrait être remise en dépôt aux commissaires nommés par Son Excellence le duc de Wellington, me prévenait que cette remise serait faite dans le terme de 10 jours à dater de la signature du traité ». Malgré l’insistance des Prussiens, c’est seulement le 16 décembre que les commissaires de Wellington arrivent pour prendre le commandement de la place de Charlemont, mettant ainsi fin officiellement aux opérations militaires. Bourk termine son rapport par ces mots : « Le 30 juillet, j’avais reçu du maréchal Gouvion Saint-Cyr, l’ordre de tout faire pour conserver cette place au Roi de France ; je m’estime trop heureux d’y être parvenu et d’avoir par-là donné à Sa Majesté une preuve de mon dévouement. Je prie Votre Excellence de vouloir bien solliciter ses bontés pour la garnison. »
L’occupation
Givet et d’autres places échapperont à l’annexion par les puissances grâce aux manœuvres du duc de Richelieu, à la pondération du duc de Wellington (qui s’occupe néanmoins de rectifier la frontière aux abords de Givet) et à l’appui du tsar Alexandre. Le traité de paix est signé entre Louis XVIII et les alliés, le 20 novembre 1815. L’article 4 prévoit l’occupation de la France par une armée de 150 000 hommes dont Givet, explicitement citée comme place occupée. L’article 5 de ce traité est l’objet d’une convention qui crée une commission franco-alliée désignant des commissaires qui feront l’état des lieux des places occupées.
D’abord occupée par les Prussiens, la place-forte de Givet sert de lieu d’emprisonnement des Français n’obéissant pas assez vite aux ordres tel le sous-préfet d’Avesne « enlevé par la force militaire et envoyé à Givet ». La région est ensuite occupée par les Russes, le 1er décembre 1815, commandés par le général Vorontsov. La troupe s’y comporte bien, le knout faisant réfléchir les soldats tentés par les excès de vainqueurs en terre étrangère. La résistance française est d’ailleurs quasi-inexistante. Les derniers soldats russes quittent la France, le 29 septembre 1818. Subsiste aujourd’hui la chapelle orthodoxe de Walcourt, loin des terres du tsar ainsi que quelques toponymes attestant de la présence des soldats d’outre-Niémen.
(1) Auguste de Prusse (1779-1843), neveu de Frédéric II, prisonnier à Auerstaedt, participe à la renaissance de l’armée prussienne et aux campagnes qui suivront l’entrée en guerre de la Prusse en 1813.
(2) Licenciement des gardes nationaux, évacuation de la troupe sur la Loire, les officiers et sous-officiers conservent l’épée.
Un point stratégique
L’intérêt de la ville bordant la Meuse est apparu dès 1555, puisque Charles-Quint fait fortifier ses hauteurs qu’il nomme Charlemont. Sous l’Ancien Régime, Vauban modernise les fortifications pour réaliser un complexe fortifié divisé en trois parts : Givet-Notre Dame et Givet Saint-Hilaire dominés par Charlemont. Cette place est équipée d’un hôpital et pourvue d’une garnison, suivant en cela une audacieuse politique de petites places venant combler les vides existant entre les grandes places.
Portrait d’un officier modèle
Le lieutenant-général Bourk descend de la famille irlandaise de Burgh qui suit en 1688 les Stuart en France. Né en 1772 à Lorient, il entre comme cadet-gentilhomme dans le régiment de Walsh (unité irlandaise au service du roi de France) en 1788. Il est envoyé à Saint-Domingue où il se distingue. Un temps arrêté en 1792, il est quitte de poursuites en 1793 et, après divers commandements, prend part à l’expédition d’Irlande où son navire sombre. Relâché par les anglais sur parole, il rentre en France. Suite à la paix d’Amiens, il est renvoyé à Saint-Domingue et devient aide de camp de Leclercq. Saint-Domingue étant perdue, il est choisi par Davout comme aide de camp pour l’armée des Côtes et de l’Océan. Il prend part ensuite à la bataille d’Austerlitz avec le 15e léger puis à celles d’Auerstaedt, Eylau et Friedland avant d’être élevé à la dignité de commandant de la Légion d’honneur, le 7 juillet 1807. Général de brigade à Wagram, il perd deux chevaux pour ensuite être envoyé à Walcheren afin de repousser le débarquement britannique de 1809. Bourk participe en Espagne aux opérations anti-guérilla. Atteint d’un coup de feu à la tête, le 5 mai 1812, il échappe à la campagne de Russie. Il reprend du service en 1813 lors de celle d’Allemagne et obtient le grade de général de division le 7 novembre puis le gouvernement de la place de Wesel le 17 novembre. Assiégé dans cette place, il s'y défend jusqu'au 18 avril 1814 et ramène en France toute sa garnison et quarante bouches à feu. Après 1815, il participera à la campagne d’Espagne de 1823 puis se retirera sur ces terres de Ploemeur où il s’éteindra le 29 août 1847.
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