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Les projets d’évasion de l’île de Sainte-Hélène

On compte une demi-douzaine de plans d’évasion de Napoléon de Sainte-Hélène – ou plutôt de projets d’enlèvement puisqu’ils ont tous été conçus à l’extérieur de l’île. Ils ont pour point commun de ne jamais s’être concrétisés...

Frédéric Couvert / Historien, adhérent du Souvenir napoléonien



Ces projets ont été échafaudés grâce à un contexte favorable. L’ordonnance royale (rédigée par Fouché) du 24 juillet 1815 recense cinquante-sept traîtres à la Nation, la plupart officiers coupables de s’être ralliés à Napoléon durant les Cent-Jours. De ce fait, la plupart des proscrits choisissent l’exil, seul moyen d’échapper à une mort certaine. En effet, treize condamnations à mort suivent (dont trois effectives : Ney, Lariboisière et Mouton-Duvernet). La plupart des exilés bonapartistes se retrouvent aux États-Unis où ils rejoignent Joseph Bonaparte, comte de Survilliers comme il se fait dorénavant appeler, près de Philadelphie (Point Breeze), tout comme Grouchy ou Carnot. D’autres choisissent la Nouvelle-Orléans, où les sympathisants bonapartistes comptent bientôt pour un tiers de la population de la ville ! Rappelons que la Nouvelle-Orléans est l’enjeu, jusqu’en janvier 1815 de la guerre anglo-américaine commencée en 1812 ; la ville est sauvée d’un ultime assaut anglais en janvier 1815 grâce à la détermination des milices francophones et des troupes du général américain Jackson (futur président des États-Unis). LA NOUVELLE-ORLÉANS EST L’ENJEU, JUSQU’EN JANVIER 1815, DE LA GUERRE ANGLO-AMÉRICAINE COMMENCÉE EN 1812. Autre élément de contexte: en 1815 les colonies espagnoles et portugaises d’Amérique sont en ébullition,les mouvements d’indépendance, consécutifs à l’occupation française de la péninsule Ibérique se multipliantet aboutissant en peu de temps à l’indépendance du Mexique (1821), de l’Argentine (1816) et du Brésil (1822). Ce climat de rébellion où les Français sont populaires permet d’envisager une reconversion pour beaucoup d’officiers bonapartistes. Rappelons aussi que, suite au second traité de Paris, le territoire français est occupé par les puissances étrangères jusqu’en 1818, ce qui rend tout retour bonapartiste en France même, impensable jusqu’à cette date.


La garde de l’Île de Sainte-Hélène

Hudson Lowe, le nouveau gouverneur de Sainte-Hélène, est arrivé sur l’île en avril 1816. D’un naturel anxieux, il sait que sa carrière dépend de la neutralisation de son illustre prisonnier, et n’a de cesse de vouloir prévenir toute tentative de liaison avec l’extérieur, ce qui conduit à l’expulsion de plusieurs des proches de Napoléon (dont Las Cases dès octobre 1816). Un autre « paranoïaque » mérite d’être cité: l’ambassadeur de France aux États-Unis entre 1816 et 1821, Hyde de Neuville (1776-1857), sans cesse sur le qui-vive et qui engage une armée d’espions chargée de surveiller les bonapartistes refugiés aux États-Unis, dont Joseph, soupçonnés d’entretenir des projets d’évasion de Napoléon. NAPOLÉON S’EST DÉJÀ DISTINGUÉ PAR SES RETOURS SURPRISES (D’ÉGYPTE EN 1799, DE RUSSIE EN 1812, ENFIN D’ELBE EN 1815). À la décharge de Hudson Lowe et de l’ambassadeur français en Amérique, il existe un précédent: l’évasion de l’île d’Elbe, même si le contexte est différent. Il est vrai que Napoléon s’est déjà distingué par ses retours surprises (d’Égypte en 1799, de Russie en 1812, enfin d’Elbe en 1815). Il passe pour être capable de tout : n’est-il pas celui qui a déclaré « impossible n’est pas français »? Thierry Lentz qualifie la surveillance de Napoléon à Sainte-Hélène par une formule incisive : « Les cinq cercles de la démesure. » En effet, il y a tout d’abord l’océan, immense, et les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’Afrique est à 1800 km, le Brésil à 3200km, l’Europe à 6 900 km. Les deux îlots les plus proches, Ascension à 1 100 km et Tristan da Cunha à 2 400 km, sont occupés par les Anglais en 1815 et 1816 respectivement avec une garnison permanente. La Royal Navy, ensuite, est présente en permanence autour de l’île avec un vaisseau, trois frégates et quatre bricks basés à Sainte-Hélène. L’île elle-même semble inexpugnable : ses côtes sont hérissées de rochers, récifs et de falaises à pic ; c’est une forteresse naturelle, qui interdit tout débarquement. La garnison, forte de sept cents soldats au départ, atteint jusqu’à trois mille hommes – ajoutons à cela cinq cents canons (batteries), ainsi qu’un système de télégraphes : Napoléon est sans conteste le prisonnier le mieux gardé de l’Histoire ! À Longwood même, situé à plus de 300 m d’altitude, quatre-vingt-dix soldats en permanence montent la garde autour de sa résidence, soumise au couvre-feu. Au sein de celle-ci, un officier d’ordonnance britannique est même affecté à demeure. En outre, la route menant au port est truffée de postes de garde exigeant un laissez- passer pour se rendre à Longwood... Ces dépenses militaires démesurées comptent ainsi pour environ 80% du coût de la captivité.

Ces conditions drastiques de surveillance, destinées à dissuader toute entreprise d’évasion ou de libération de l’illustre prisonnier, n’empêchent cependant pas des plans audacieux de voir le jour. On en recense au moins une demi-douzaine, à partir de 1817. Fondées ou pas, elles ont pour résultat d’affoler les Anglais et les monarchistes.


Le Pernambouc

Une province du Brésil (capitale : Recife), ayant proclamé son indépendance du Portugal, et la république en mars 1817. Son intérêt géographique pour d’éventuels libérateurs bonapartistes repose sur l’archipel Fernando de Noronha qui lui est rattaché, lequel peut servir de point d’appui proche pour une expédition vers Sainte-Hélène. Le colonel français Paul Latapie, exilé aux États-Unis, est pressenti comme chef d’une telle expédition. Il peut en outre compter sur les réseaux de Pauline Fourès (ex-maîtresse de Bonaparte en Égypte), elle-même refugiée au Brésil. L’expédition connaît un début d’exécution puisqu‘un vapeur, le brick Parangon, y conduit le colonel Latapie ainsi que le général Michel Brayer (1769-1840), lui-même réfugié aux États-Unis (condamné à mort par contumace en 1816) avec plusieurs dizaines de bonapartistes. La reprise en main de la province par les Portugais en mai 1817 met un terme précoce à l’expédition, dont la plupart des membres français sont arrêtés et expulsés vers le Portugal. Le général Brayer quant à lui échappe à l’arrestation et poursuit la lutte, mais contre les Espagnols en Argentine puis au Chili en 1817-1818. Toute cette affaire est suffisamment prise au sérieux par les Britanniques qu’elle conduit au triplement des sentinelles de Sainte-Hélène par Hudson Lowe. Quand il l’apprend en 1818, Napoléon juge lui-même cette expédition comme « une folie ».


Jacques Roul

Cet ex-officier d’ordonnance de Napoléon à l’île d’Elbe envisage un raid du même type depuis les États-Unis avec huit cents hommes, via le Brésil en 1817. En panne de financement, il se tourne vers Joseph, qui décline. À titre de représailles, Jacques Roul dénonce lui-même le soi-disant complot à Hyde de Neuville, en impliquant Joseph et Grouchy. Ceux-ci seront étroitement surveillés par les agents royalistes, sans que leur implication ne soit établie.


Thomas Johnstone (Smuggler)

Selon Walter Scott (Life of Napoleon, 1829), cet Irlandais, inspiré par les travaux de l’Américain Fulton qui a inventé un engin similaire (le Nautilus) au profit des Français sous le Consulat et testé sur la Seine, a réalisé à son tour un submersible (l’Eagle!) avec ballast, propulsé à la voile en surface et à la rame en immersion. Il prévoit des essais sur la Tamise quand la police anglaise saisit son sous-marin en 1817, soupçonnant un projet d’évasion de Sainte-Hélène. C’est pourtant faire fi des incroyables difficultés qui auraient sans aucun doute réduit à néant la faisabilité d’un tel projet, d’autant qu’il s’accompagne d’une chaise mécanique hissée par un cordage pour faire descendre Napoléon sur le rivage! Montholon rapporte que l’Empereur, apprenant cette affaire, aurait déclaré: « C’est une histoire bonne à amuser les enfants. »


Joseph Lakanal

Ex-conventionnel régicide en exil aux États-Unis, franc-maçon, soutient un projet visant à faire proclamer Joseph « roi du Mexique », alors en pleine ébullition antiespagnole, comme tremplin possible pour une expédition vers Sainte-Hélène en 1817. Il lève des fonds à cette fin grâce à la fondation de la « Wine and Olive Cie » sise en Alabama, comté de Marengo, Aigleville – ça ne s’invente pas! –, présidée par un général français proscrit lui-aussi, Lefebvre-Desnouettes (1773-1822). Là encore, la timidité de Joseph, qui a sans doute compris que sa tranquillité (voire sa vie) dépend de sa neutralité, ainsi que la reprise en main provisoire du Mexique par les Espagnols, contrarient ce projet.

 

Le Champ d’Asile

Le champ d’Asile (Texas) est une véritable colonie de peuplement fondée en 1818 par cent vingt officiers bonapartistes en exil, la plupart issus de la Wine & Olive Cie, installée dans un « no man’s land » encore vierge entre la Nouvelle-Espagne (Mexique) et les États-Unis. À sa tête se trouvent le général Antoine Rigault (1758-1820) exilé à New York en novembre 1817, ainsi que les deux frères Lallemand, Charles (1774-1839), qui a rejoint Boston en avril 1817 après s’être vu refuser l’accompagnement de l’Empereur à Sainte-Hélène par les Anglais en 1815, et Henri (1777-1823), banni lui-aussi et refugié à Philadelphie depuis 1817. La colonie de Champ d’Asile est soutenue militairement et économiquement par le flibustier Jean Lafitte à la tête d’une « république de Barataria ».


Position de Napoléon

Un constat s’impose d’emblée : aucun de ces projets n’a reçu l’assentiment de Napoléon. Outre leur faisabilité incertaine (l’Empereur lui-même estime à une chance sur deux cents la possibilité de s’échapper de Sainte- Hélène), ce dernier ne peut se résoudre à abandonner dans une telle tentative sa suite nombreuse (une trentaine de Français), qui aurait encouru sans doute la peine de mort pour complicité. En outre, tous ces projets manquent


Un dernier projet d’évasion en 1820

Nicolas Girod (1751-1840), un Savoyard né à Cluses, émigré à la Nouvelle-Orléans, alors française, bien avant la Révolution, et qui en a été le maire (américain) de 1812 à 1815. Il se distingue lors du siège de celle-ci par les Anglais en 1814-1815 avec l’aide décisive de Jean Lafitte. Singulièrement de panache, Napoléon ne pouvant se résoudre à s’enfuir en voleur, comme son attitude à l’ile d’Aix en 1815 l’a déjà démontré. Montholon rapporte dans ses Mémoires cette réflexion désabusée de l’Empereur : « On m’offre un projet d’évasion : tous ces projets sont absurdes et dégradants ; me voyez-vous déguisé en matelot ou en chinois, descendre sur la grève par une corde et là me cacher dans un baril de bière à fond de cale? » Son seul véritable espoir de quitter Sainte-Hélène dignement demeure celui d’une libération officielle, espoir auquel le congrès des Alliés à Aix-la-Chapelle en 1818 met un terme.

Malin plaisir à éprouver les nerfs de ses gardiens anglais concernant sa présence sur l’île, par exemple en se dérobant à la vue des sentinelles plusieurs jours durant, voire – coup de génie – en envoyant son aumônier l’abbé Vignali (qui lui ressemble) parcourir le domaine à cheval à bride abattue en 1819, laissant croire qu’il peut s’agir d’un subterfuge, ce qui met en alerte toute l’île... Enfin, la maladie qui affaiblit l’Empereur depuis 1816 le dissuade aussi de tenter tout projet d’évasion. Napoléon a en outre bien compris l’intérêt d’une mort lente à Sainte-Hélène. Pour la postérité, il vaut mieux être victime de l’oligarchie anglaise que se ridiculiser dans une entreprise d’évasion perdue d’avance.


L’ultime victoire

Le manque d’argent, de soutien, de rigueur, de discrétion, de réalisme (mais pas d’imagination !), constitue le trait commun de tous ces projets échafaudés à l’extérieur de l’ile. En définitive, ces complots avortés, arrivés aux oreilles des Anglais, ne font qu’accroître la surveillance autour de Napoléon, engendrant une démesure de moyens, prouvant la crainte qu’il inspire encore à ses ennemis ! Même fantaisistes, ces projets servent donc le grand dessein de l’Empereur qui veut mourir en martyr devant l’Histoire. Il confie ainsi à O’Meara : « Plus on me persécutera, mieux cela sera, et fera voir au monde de quelle rage de persécution sont capables les Anglais » ! Et Hudson Lowe finit par devenir le plus infâme geôlier de l’Histoire... En demeurant à Sainte-Hélène coûte que coûte, Napoléon y a en effet gagné sa bataille la plus importante, celle de la mémoire.

 

 

 

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