Consécutivement au coup d’État du 2 décembre 1851, le plébiscite organisé les 21 et 22 décembre suivants conduit à proposer au peuple français de déléguer les pouvoirs nécessaires au Président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, pour établir une nouvelle constitution. 7,5 millions d’électeurs votent en faveur du « oui » contre 640 000 bulletins « non ». Fort de ce succès, Louis-Napoléon Bonaparte confie l’élaboration d’une nouvelle constitution à une commission composée des juristes et Pairs de France Raymond-Théodore Troplong et Jacques-André Mesnard, du ministre de la Justice Eugène Rouher, du futur ministre Victor de Persigny et du diplomate Charles de Flahaut.
Mathieu Geagea / historien
Suivant les orientations impulsées par le Prince-Président, les cinq hommes rédigent extrêmement rapidement la nouvelle Constitution, laquelle est promulguée dès le 14 janvier 1852. Celle-ci prévoit que le gouvernement de la République est confié pour dix ans à Louis-Napoléon Bonaparte qui concentre l’essentiel des pouvoirs exécutif et législatif. En effet, en plus de ses prérogatives classiques de chef de l’État, Louis-Napoléon Bonaparte exerce également le rôle de chef de gouvernement puisqu’il nomme et révoque ses ministres, prend l’initiative exclusive des lois et dispose du pouvoir de les promulguer. Contrairement à l’Assemblée unique instituée en 1848, le Parlement se voit désormais diviser en deux chambres, avec le Corps législatif et le Sénat. Si les sénateurs sont nommés à vie par le chef de l’État et sont chargés de contrôler les lois votées par rapport à la Constitution et à certains principes fondamentaux, le Corps législatif, est, pour sa part, élu au suffrage universel.
Ce bicamérisme s’accompagne d’un redécoupage des circonscriptions législatives réduisant considérablement le nombre de députés pour le faire passer de 705 à 261 seulement. Ces derniers, élus pour une durée de six ans (contre trois ans pour leurs prédécesseurs), siègeront au sein d’un Corps législatif qui ne peut proposer ni amender les lois, pas plus qu’il ne peut contrôler l’action des ministres. Il ne dispose d’aucune autonomie puisque son président et ses vice-présidents sont nommés par le gouvernement qui fixe également son règlement. En outre, le Corps législatif peut être dissout sur décision du Prince-Président. En d’autres termes, ces deux nouvelles assemblées sont étroitement contrôlées et ne jouissent que de pouvoirs très réduits. À peine plus d’un mois après la promulgation de la nouvelle Constitution, des élections législatives sont organisées les 29 février et 14 mars 1852 afin d’élire les 261 premiers députés de ce nouveau Corps législatif.
Les élections législatives de 1852
Au matin du 2 décembre 1851, quelques heures après le déclenchement du coup d’État, Louis-Napoléon Bonaparte avait fait publier un décret annonçant la dissolution de l’Assemblée législative et le rétablissement du suffrage universel. Le nouveau régime électoral est précisé par deux décrets parus le 2 février 1852. Le premier accorde le droit d’être électeur à tout homme de vingt et un ans ayant été domicilié au moins six mois au même endroit. Le deuxième décret annonce que les élections législatives des 29 février et 14 mars suivants se dérouleront par arrondissement au scrutin uninominal majoritaire à deux tours en lieu et place du scrutin de liste en vigueur sous la IIe République. Parmi les dispositions les plus novatrices et remarquées figure celle qui établit les bureaux de vote dans chaque commune, et non plus au chef-lieu de canton, comme c’était le cas depuis 1848. L’historien Maurice Agulhon soulignera que cette innovation « en facilitant et familiarisant […] la pratique du vote, ne pouvait que contribuer à l’éducation civique de l’électeur, ce qui se produira en effet peu à peu au long du Second Empire ». Louis-Napoléon Bonaparte ne peut envisager une autre éventualité qu’un succès franc et massif à l’occasion de ces élections législatives. La précédente assemblée, élue sous la IIe République, s’était opposée à la révision de la Constitution que souhaitait le Président de la République pour pouvoir briguer un second mandat. C’est cette attitude des députés qui, en partie, avait motivé le coup d’État mené par Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851. En outre, et même si les pouvoirs de cette nouvelle Chambre basse sont pour le moins réduits, le Prince-Président a besoin d’un triomphe pour ouvrir ensuite plus aisément la voie au rétablissement de l’Empire. Autrement dit, le pouvoir exécutif a besoin de s’appuyer sur un Corps législatif docile.
À cet effet, la liberté de la presse est limitée. Si le gouvernement n’a pas officiellement recours à la censure, il envoie des « avertissements » lorsqu’un article lui déplaît, qui peuvent aboutir à la fin de la publication. Les journaux sont donc poussés à s’autocensurer. Pour ces élections, les préfets ont également reçu les consignes de mettre l’administration au service des candidats officiels, depuis les juges de paix jusqu’aux gardes-champêtres. Tous les moyens possibles sont ainsi déployés pour faciliter l’élection du candidat officiel, que ce soit par l’octroi de subventions, de faveurs, de décorations mais aussi de bourrage d’urnes, de menaces contre les candidats adverses et de pressions exercées par les notables sur les électeurs. Comme ne manquera pas de le spécifier le nouveau ministre de l’Intérieur, Victor de Persigny : « Chaque candidat officiel s’engage à appuyer le gouvernement, mais aussi à le contrôler loyalement, en ami fidèle qui éclaire et non en adversaire ardent qui critiquent et qui blâme. Il importe que le gouvernement éclaire les électeurs. » Les préfets mettent donc tout en œuvre pour que soient élus les candidats officiels, fidèles ou ralliés au régime, qui se distinguent par leurs affiches blanches. Ainsi, les réunions sont interdites et pas moins de quatre-vingt-deux départements français vont même être placés en état de siège.
Vers le rétablissement de l’Empire
À l’issue de ces élections législatives de 1852, sur un total de 6 222 983 bulletins exprimés, les candidats officiels obtiennent 5 218 602 voix, soit 86,55 %, contre 810 962 suffrages pour les divers candidats d’oppositions, soit seulement 13,45 %. En termes de représentation au sein du Corps législatif, c’est un véritable raz-de-marée puisque les bonapartistes remportent 253 sièges, soit près de 97 % de l’hémicycle, les huit sièges restant étant répartis entre cinq élus royalistes et trois députés républicains. La Revue des deux mondes, publication d’affinités orléanistes, commentera, dans son numéro paru le 14 mars 1852, les résultats de ces élections législatives non sans une ironie condescendante sous la plume de l’historien et journaliste Charles de Mazade : « Les populations se sont rangées de l’avis du gouvernement, non peut-être sans quelque étonnement de se voir tout à coup si bien disciplinées dans la pratique du suffrage universel. Quelques exceptions à peine viennent démentir cet unanime et merveilleux accord. […] Nous n’irons point, on le pense, nous livrer à de profonds calculs, supputer le chiffre du vote et le chiffre de l’abstention, dénombrer les opinions et les partis, remarquer ce qui eût pu paraître étrange autrefois et ce qui ne l’est plus. »
À y voir de plus près, il apparaît pourtant qu’au sein de cette majorité pléthorique les authentiques bonapartistes ne représentent qu’un tiers des députés élus, tandis qu’une bonne moitié est issue de l’orléanisme et que les autres sont d’origines et d’allégeances diverses, allant des conservateurs indépendants aux catholiques libéraux. Cela s’explique par le fait que les bonapartistes ne sont pas assez nombreux pour remplir à eux seuls le Corps législatif. Le gouvernement a donc été contraint de faire appel à du personnel politique déjà en place, orléaniste notamment, pour ses candidatures officielles. Un grand nombre de députés sortants a ainsi été réélu, ce qui permettait d’assurer une transition en douceur de la IIe République vers l’Empire. Plus de 36 % des électeurs se sont cependant abstenus d’aller voter et dans des villes comme Lille, Saint-Étienne ou Vierzon, le taux d’abstention atteint même plus de 75 %. Telle était ainsi finalement la seule arme des opposants au régime pour manifester leur désapprobation à ce simulacre de démocratie.
C’est à Paris qu’ont été élus deux des trois députés républicains : Lazare Hippolyte Carnot et Louis Eugène Cavaignac, et à Lyon qu’a été élu le troisième et plus méconnu d’entre eux : le docteur Jacques-Louis Hénon. Les trois hommes, fidèles à leurs convictions, refuseront cependant de prêter serment au chef de l’État et à la Constitution, condition indispensable pour être autorisés à siéger au sein du Corps législatif. Ils seront donc remplacés, pendant toute la durée de la législature, par leurs adversaires battus, mais soutenus par le pouvoir. Louis-Napoléon Bonaparte savoure son triomphe. Après le succès du « oui » au plébiscite de décembre 1851, cette nouvelle victoire conforte le chef de l’État dans sa volonté de rétablir l’Empire aussi rapidement que possible. Ce sera chose faite à peine huit mois plus tard. Le plébiscite des 21 et 22 novembre suivants conduit les Français à ratifier avec près de 97 % des suffrages la modification de la Constitution. Le 2 décembre 1852, le Second Empire est officiellement institué et Louis-Napoléon Bonaparte devient empereur des Français sous le nom de « Napoléon III ». Cette naissance du Second Empire conduit néanmoins trois des cinq députés royalistes élus en 1852 à se démettre de leurs mandats pour ne pas avoir à cautionner ce nouveau régime. Deux d’entre eux cesseront de siéger dès le mois de novembre, le troisième à partir du mois de mars 1853.
Les élections législatives de 1857
En 1856, la guerre de Crimée, débutée trois années auparavant, s’achève par une défaite de la Russie. La coalition formée de l’Empire ottoman, du Royaume-Uni, du royaume de Sardaigne et de la France est parvenue à enrayer l’expansionnisme russe. Le traité signé à Paris le 30 mars 1856 entérine la fin du conflit. Quatorze jours auparavant, le 16 mars, l’Impératrice Eugénie a mis au monde un garçon. L’avenir du régime impérial semble assuré. Ces succès, diplomatique et dynastique, encouragent l’Empereur à avancer les dates des élections législatives initialement prévues pour 1858. Appliquant son droit de dissolution du Corps législatif, Napoléon III convoque les élections pour les 21 juin et 5 juillet 1857.
Pour ce premier scrutin depuis la proclamation du Second Empire, un nouveau découpage des circonscriptions législatives est opéré à la demande de l’Empereur. Dix-neuf départements, surtout urbains, sont concernés, ce qui porte désormais à 283 le nombre de députés à élire, contre 261 précédemment. À travers ces élections, Napoléon III entend montrer à la France et à l’Europe son prestige personnel et l’immense popularité dont jouit son régime. Face aux candidats officiels, soutenus par les services du ministère de l’intérieur, comme ce fut le cas cinq années auparavant, l’opposition est morcelée, y compris au sein de chacune de ses formations politiques, qu’elle soit légitimiste, orléaniste ou républicaine. Les royalistes sont en effet peu actifs même si les légitimistes se prêtent au jeu électoral et présentent des candidats.
Durant la campagne électorale, certains préfets se distinguent avec zèle par leur ardeur répressive. Ainsi, le préfet de Saône-et-Loire interdit à tous les opposants de publier ou d’afficher leur profession de foi. Son collègue du département des Deux-Sèvres va même encore plus loin en supprimant ni plus ni moins toute campagne électorale. Le préfet de Dordogne, pour sa part, n’hésite pas à proclamer que le succès du candidat officiel, voulu par Dieu, marquera sans conteste « le triomphe du bien ». De cette fraude endémique, le poète et auteur dramatique François Ponsard, candidat de l’opposition dans la ville de Vienne, dans l’Isère, en apportera un témoignage saisissant : « Les maires, commissaires de police et gardes champêtres ont fait voter le bétail rustique comme ils ont voulu. On a arrêté les porteurs de mes bulletins et déchiré mes affiches ; on a pris mes bulletins dans la main et jusque dans les maisons des paysans en leur faisant toutes sortes de menaces ; on a promis aux maires des foires, des églises, des chemins et des secours pour les inondés de l’an dernier. »
Au soir du second tour des élections législatives, sur les 6 043 747 suffrages exprimés, les candidats officiels récoltent 5 471 888 bulletins, soit plus de 90 % des voix. Avec 276 députés élus, les bonapartistes occupent plus de 97% des sièges du Corps législatif. Si ce scrutin marque l’apogée électoral de l’Empire, les résultats méritent tout de même d’être nuancés. Comme aux précédentes élections législatives, l’abstention a été massive puisqu’elle s’élève à plus de 35 % des électeurs inscrits. Une majorité de ces abstentionnistes, qu’ils soient républicains ou orléanistes, a préféré ne pas participer à cette mascarade pour ne pas cautionner la politique du gouvernement ou pour manifester une certaine indifférence vis-à-vis d’un scrutin sans réel enjeu. Malgré cette forte abstention, les candidats républicains ont engrangé des voix supplémentaires, notamment dans les grandes villes. En dehors de la réélection du docteur Hénon à Lyon et de la victoire de l’ancien maire de Bordeaux, Gustave Curé, dans la première circonscription de Gironde, les républicains gagnent 15 000 voix de plus à Paris par rapport à 1852 et remportent cinq des dix circonscriptions électorales dans le centre et l’est de la capitale. Un autre candidat de l’opposition échoue de justesse à Lille.
Si les bonapartistes sont largement vainqueurs dans les campagnes, cette percée du vote républicain dans les grandes villes n’est pas sans inquiéter l’empereur. Au ministre d’État Achille Fould, Napoléon III ne dissimule pas son insatisfaction et reconnaît s’être « senti blessé dans son honneur ». Pourtant, à la suite de cette progression relative de l’opposition républicaine, l’Empereur refuse de remettre en cause le suffrage universel comme le lui suggère son entourage, en particulier Achille Fould. Selon Napoléon III, faire voter les campagnes apparaît comme le plus sûr moyen de contrer l’opposition républicaine majoritairement présente dans les villes, d’autant plus que les soutiens apportés aux candidats officiels permettent de biaiser nettement les résultats.
Les élections complémentaires de 1858
Fidèles à la tactique inaugurée en 1852, les députés républicains élus, à l’exception de Gustave Doré, refusent de prêter serment à l’Empereur et à la Constitution, en conséquence de quoi il leur est interdit de siéger au Corps législatif. Des élections partielles doivent donc se tenir dans les six circonscriptions remportées par les candidats de l’opposition. Ces élections dites « complémentaires » se dérouleront au mois d’avril 1858. Entre temps, le 14 janvier, l’Empereur échappe à une tentative d’assassinat lors d’un attentat à la bombe. Une répression active en découle avec un durcissement du régime de la presse et la suppression de plusieurs journaux, une mobilisation de l’armée appelée en renfort pour assurer l’ordre et une loi de sûreté générale votée par le Corps législatif au mois de février 1858. Une telle loi rend possible une nouvelle vague d’arrestations dans les milieux opposants, notamment chez les républicains.
C’est dans ce contexte que Napoléon III décide d’obliger les candidats aux élections législatives à prêter serment avant de passer devant les électeurs, de telle façon à empêcher le scrutin de se transformer en consultation plébiscitaire. Dès lors, à Paris, les députés républicains Lazare Hippolyte Carnot et Michel Goudchaux refusent de se porter candidats. Quelques mois auparavant, en octobre 1857, le député républicain Louis Eugène Cavaignac était brutalement décédé. Aussi les républicains décident-ils de présenter des candidats plus jeunes, lesquels jugent stériles la stratégie visant à refuser de prêter serment à l’Empereur et à la Constitution. Ayant remporté cinq des six sièges à pourvoir, les députés républicains élus à la faveur des élections complémentaires d’avril 1858 vont ainsi effectuer leur entrée au Corps législatif et se voir désigner leurs places sur la travée située à l’extrême gauche de l’hémicycle. Cet ostracisme en salle des séances ne va pas empêcher le fort activisme de ce « groupe des cinq », lequel plaide notamment en faveur de l’abandon des candidatures officielles et du rétablissement de la liberté de la presse. Son dessein n’étant pas de renverser l’Empire, mais d’exercer une influence sur un « gouvernement jaloux et ombrageux », comme le spécifiera l’un de ces cinq députés, Alfred Darimon. Le plus jeune d’entre eux se nomme Émile Ollivier. Âgé de seulement trente-deux ans, il s’affirme d’emblée comme le principal orateur de cette petite opposition au sein du Corps législatif. Défenseur des droits et des libertés individuels, il s’attache à faire évoluer le régime vers le parlementarisme, encouragé en cela par le duc Charles de Morny, le président du Corps législatif. Tout en ne cessant de réclamer des réformes, Émile Ollivier ne se cantonne cependant pas dans une opposition systématique. Ainsi, il n’hésite pas à approuver et à encourager le gouvernement lorsque celui-ci lui parait aller dans la direction qu’il juge la bonne.
Un frémissement de libéralisation
Après la répression qui suit l’attentat dont il a réchappé en 1858, l’Empereur profite de la fin de la guerre d’Italie, en 1859, pour procéder à une large amnistie à l’endroit des condamnés pour délits politiques. De nombreux prisonniers sont libérés, tandis que les exilés sont autorisés à rentrer en France, l’un des objectifs de Napoléon III étant de rallier à sa cause l’opinion républicaine, traditionnellement attachée au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et donc favorable à l’unité italienne.
C’est dans ce contexte que l’Empereur décide de conférer un peu plus de pouvoirs aux assemblées. Ainsi, le décret impérial du 24 novembre 1860 accorde au Sénat et au Corps législatif le droit d’adresse. Autrement dit, chaque année, à l’issue du discours prononcé par le souverain à l’ouverture de la session du Corps législatif, les parlementaires pourront discuter la politique générale de l’Empereur et élaborer une adresse. Un échange s’établit donc entre le gouvernement et les assemblées. C’est dans le même but que sont instaurés les ministres sans portefeuille, chargés spécifiquement d’expliquer la politique de l’exécutif devant les Chambres. Le 19 décembre 1860, une circulaire du ministre de l’Intérieur accorde à la presse une plus grande liberté. De fait, un certain nombre de restrictions sont levées. Les débats du Corps législatif deviennent publics et sont diffusés par la presse intégralement, et non plus sous la forme de simples résumés.
Le 31 décembre 1861, un sénatus-consulte (un texte émanant du Sénat) accroît les pouvoirs du Corps législatif en matière financière. Les députés voteront dorénavant le budget par section et non plus uniquement par ministère, ce qui renforce le rôle des députés sur le contrôle de l’État. Il s’agit, pour l’Empereur, de donner aux grands corps de l’État une participation plus directe à la politique générale du gouvernement, de telle façon à se rapprocher du fonctionnement d’une monarchie constitutionnelle. Un début de vie parlementaire commence donc à émerger, même si l’Empire est loin encore d’être un régime libéral.
À l’approche des élections législatives de 1863, Napoléon III décide, de nouveau, comme en 1857, de modifier le découpage des circonscriptions législatives. 38,5 % des circonscriptions sur vingt-neuf départements, surtout urbains, sont concernées, le but étant de fragmenter les fiefs républicains pour réduire autant que possible les succès de l’opposition. Au total, le nombre de députés passe de 283 à 298. Contrairement au découpage précédent, celui-ci fait l’objet de certaines critiques. Ces élections législatives, fixées aux 31 mai et 14 juin 1863, interviennent dans un contexte marqué par des difficultés économiques. Outre les mauvaises récoltes, l’industrie textile souffre d’une inquiétante pénurie de coton, notamment liée au blocus des côtes sudistes des États-Unis, dans le cadre de la Guerre de Sécession. Cette chute dramatique des importations provoque faillites et montée du chômage.
D’un côté, Napoléon III s’appuie essentiellement sur la bourgeoisie d’affaires et le clergé catholique pour gouverner. Parmi ses soutiens coexistent ceux qui se réclament d’un « bonapartisme de gauche », plutôt populaire et anticlérical, et ceux qui se réclament d’un « bonapartisme de droite » davantage conservateur et clérical. Cependant, à la suite des réformes constitutionnelles de 1860 et 1861, la majorité parlementaire montre aussi des signes d’indépendance. Ainsi, un certain nombre de députés se voit retirer l’appui du pouvoir exécutif. Deux années auparavant, en mars 1861, quatre-vingt-onze députés avaient proclamé, lors de la traditionnelle séance de l’Adresse, leur opposition à la politique italienne de l’Empereur et voté un amendement favorable au pape. Vingt-cinq d’entre eux ne feront pas partie des candidats officiels pour ces élections législatives. Les bonapartistes sont donc divisés et en proie à de vives dissensions. Si le ministre de l’Intérieur, Victor de Persigny, compte sur les candidatures officielles pour l’emporter dans les bourgs et villages, il ne dispose pas de marges de manœuvres dans les villes. À l’inverse, ce frémissement de libéralisation a réveillé l’opposition, qu’elle soit républicaine ou monarchiste. En 1861 a été formée une coalition hétéroclite rassemblant monarchistes libéraux et républicains modérés : « L’union libérale ». Son ambition vise à restaurer les libertés nécessaires, mais aussi à tenter de fournir une réelle opposition à l’Empereur.
Les élections législatives de 1863
La préparation des élections législatives de 1863, sur fonds d’ouverture libérale, signe l’opportunité d’alliances au demeurant singulières. Jusqu’alors, les légitimistes, suivant les consignes de leur prétendant, le comte de Chambord, s’étaient enfermés dans l’abstention. Les désillusions suscitées par la politique italienne de Napoléon III conduisent les responsables les plus influents à s’engager plus activement dans l’arène électorale, dans un rapprochement compliqué avec les orléanistes regroupés au sein de « L’union libérale », parmi lesquels des anticléricaux. La nature du régime, royauté ou république, passe pour secondaire, indifférence qui permet de se fédérer sous le dénominateur commun de l’anti-bonapartisme. Cependant, les légitimistes apparaissent aux autres membres de la coalition comme des partenaires manquant de fiabilité. Inversement, les républicains renâclent et n’assument pas davantage cette vaste alliance reposant sur des désistements mutuels. Ainsi, les tractations sur des candidatures communes dans les circonscriptions parisiennes, réciproquement acceptées par républicains et royalistes, se révèleront difficiles.
Alors même que, depuis 1858, le serment de fidélité à la Constitution et à l’Empereur est exigé de tous les candidats et non plus seulement de ceux qui sont élus, ce sont, au total, plus de 300 membres de l’opposition qui font acte de candidature pour les 298 sièges de députés à pourvoir, la plupart de ces candidats étant républicains. Au soir du second tour des élections, l’opposition, avec près de deux millions de suffrages, effectue une incontestable poussée. « L’union libérale » obtient ainsi trente-deux sièges, parmi lesquels dix-sept sont gagnés par des républicains et libéraux, et les quinze autres par des candidats indépendants. À l’extrémité opposée de l’échiquier politique, les royalistes remportent quinze circonscriptions. Avec un peu plus de 5 100 000 voix, la majorité gouvernementale dispose, quant à elle, de 251 députés, soit vingt-cinq de moins que dans la précédente législature. Désormais, les bonapartistes occuperont 84 % de l’hémicycle du Corps législatif, contre 97 % précédemment. La progression de l’opposition est d’autant plus significative que l’abstention a fortement reculé. Elle se situe à 27 % des électeurs inscrits contre plus de 35 % lors des deux élections législatives précédentes. Malgré les menaces de révocation ou de fermeture des débits de boissons, malgré les affiches électorales arrachées, les journaux censurés, malgré même les promesses de construire des routes, de créer des emplois ou d’exempter les jeunes gens du service militaire, les électeurs ont choisi de renforcer l’opposition.
À l’issue de ce scrutin, l’avocat et futur président du Conseil Jules Ferry recensera les pressions exercées sur les électeurs, appâtés par la promesse d’un chemin vicinal, d’une cloche pour l’église ou d’un bâtiment scolaire, dans une brochure à valeur accusatoire : « La Lutte électorale en 1863 ». Un pamphlet qui lui vaudra d’être condamné par le régime impérial. Victor de Persigny, dont les manœuvres pour « éclairer » les électeurs n’ont pas suffi, concède que si les campagnes et les villes inférieures à 40 000 habitants ont soutenu les candidats officiels, les suffrages des grandes villes sont allés majoritairement à l’opposition. Soutenus par la presse progressiste, avec l’appui de journaux comme Le siècle, Le Temps ou L’Opinion nationale, les candidats républicains ont notamment été plébiscités à Paris puisqu’ils ont raflé les neuf sièges à pourvoir. Parmi les vainqueurs, figurent notamment les noms d’Émile Ollivier, Jules Simon et d’Adolphe Thiers. À Lyon et à Marseille, les indépendants l’emportent largement. Seules les campagnes restent fidèles à l’Empereur.
Le relatif insuccès des bonapartistes aux élections législatives de 1863 entraîne, quelques jours plus tard, un profond remaniement ministériel. Napoléon III semble hésiter entre un retour à l’Empire autoritaire ou une poursuite vers le parlementarisme. Victor de Persigny, qui n’avait pourtant rien négligé pour appuyer les candidatures officielles, est tenu pour responsable du résultat décevant du scrutin. Il est remplacé au ministère de l’Intérieur par Paul Boudet, partisan d’une ligne politique plus conservatrice et qui appliquera avec zèle les mesures restreignant la liberté de la presse. À l’inverse, en signe d’ouverture, l’Empereur nomme, comme ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy, dont la réputation d’universitaire libéral doit être perçue comme un gage aux opposants.
La libéralisation du régime
La mandature qui s’ouvre au lendemain des élections législatives de 1863 s’avère plus animée que la précédente. L’opposition donne de la voix. Elle le prouve dès le 11 janvier 1864 lorsque le député de Paris, Adolphe Thiers, s’offre une rentrée fracassante à la tribune du Corps législatif. Cet orateur exceptionnel assène alors la harangue des « cinq libertés nécessaires », ces libertés « qu’un jour peut-être le peuple exigera » : la suppression de la loi de sûreté générale au nom de la liberté individuelle ; la liberté de la presse ; la liberté de vote pour que tout citoyen puisse voter, sans subir de pression, pour l’élu de son choix ; la liberté pour les élus de contrôler le gouvernement, d’en interpeller les membres et de mettre éventuellement en cause la responsabilité des ministres devant le Corps législatif et, enfin, conséquence logique, le rétablissement d’un véritable régime parlementaire. Ainsi, conclut Adolphe Thiers, « nous passerons peut-être du cap des tempêtes au cap de bonne espérance ».
Quelques mois plus tard, un premier assouplissement intervient. La loi du 25 mai 1864, dont Émile Ollivier se trouve être le rapporteur, abolit le délit de coalition et instaure le droit de grève. L’Empereur souhaite se concilier ainsi les faveurs de la classe populaire, même si le droit d’association n’est toutefois pas encore admis. Le 19 janvier 1867, Napoléon III annonce un nouveau train de réformes libérales, qu’il appelle des « réformes utiles » et une « extension nouvelle des libertés publiques ». Un décret du 31 janvier 1867 remplace le droit d’adresse par le droit d’interpellation. Autrement dit, les députés peuvent désormais critiquer la politique du gouvernement. La loi du 11 mai 1868 sur la presse abolit toutes les mesures préventives. Les délits ne seront dorénavant plus passibles que des tribunaux correctionnels. La loi du 6 juin suivant relative aux réunions publiques supprime les autorisations préalables, sauf celles où sont traitées les questions religieuses ou politiques. Néanmoins, la liberté des réunions électorales est reconnue.
Cette libéralisation du régime intervient au moment où la santé de Napoléon III – lequel est maintenant sexagénaire – s’avère de plus en plus mauvaise. À plusieurs reprises, il doit renoncer à présider le conseil des ministres et commence à parler d’abdication avec ses intimes alors que la prochaine législature doit être celle qui verra le Prince impérial, l’héritier du trône, atteindre sa majorité. Une fois n’est pas coutume, et comme cela a été le cas en amont des deux précédentes élections législatives, un redécoupage des circonscriptions électorales est opéré suivant les instructions de Napoléon III et publié par un décret en décembre 1867. Trente-trois départements et 37,3% des circonscriptions sont concernés. Cependant, et contrairement aux deux redécoupages antérieurs, le nombre de députés va diminuer de neuf sièges. Les critiques ne manquent pas pour fustiger cette nouvelle modification des circonscriptions électorales.
Une nouvelle forme de campagne électorale
Les élections législatives fixées aux 24 mai et 7 juin 1869 marquent la renaissance de la vie politique avec une presse libre et des réunions publiques dans les grandes villes, principalement à Paris. Les électeurs deviennent alors la proie d’un déchaînement de propagande tel qu’ils n’en avaient jamais vu. Tous les moyens d’expression de l’époque – l’édition, la presse, la tribune, le colportage – sont mis à contribution aussi bien par les bonapartistes que par l’opposition. L’organisation de réunions politiques engendre un engouement supérieur aux prévisions.
La campagne électorale, qui débute le 4 mai 1869, voit, en effet, se multiplier des réunions sans commune mesure avec celles, quasiment clandestines, qui avaient pu se tenir six ans plus tôt. D’après le journaliste Étienne Masseras, observateur de cette campagne, « il en a été tenu plus de deux cents à Paris, et probablement deux à trois mille dans toute la France ». Dans une gravure qui paraît dans le journal L’Illustration le 15 mai 1869, représentant une réunion électorale au gymnase Triat, à Paris, les participants sont tellement nombreux que certains d’entre eux apparaissent accrochés à toutes les échelles ou à tous les cordages trouvés dans la salle. Dans l’article qui l’accompagne, il est possible de lire : « Jamais, depuis vingt ans, la population de Paris […] n’avait mieux compris qu’en ce moment ses devoirs patriotiques. De toutes parts, on a organisé des réunions privées et publiques. On en trouve à toute rue. Personne ne veut rester étranger au mouvement. »
Ces élections législatives de 1869 témoignent du changement radical de la forme des campagnes électorales et ne ressemblent à aucune de celles tenues depuis 1852. Les réunions sont souvent contradictoires, c’est-à-dire qu’elles rassemblent dans une même salle des personnes d’opinions politiques diverses, à la tribune comme dans la salle. Cette intensification de la compétition entre les candidats conduit le journaliste Étienne Masseras à souligner : « Non seulement les candidats ont eu à s’expliquer devant un public mixte, inconnu par eux et souvent renouvelé, mais il leur a fallu répondre à mille questions posées à l’improviste par les assistants. Mieux encore : on a pu voir des rivaux, des adversaires politiques comparaître côte-à-côte devant les électeurs dont ils sollicitaient concurremment les suffrages, et développer à tour de rôle, dans la même séance, des professions de foi diamétralement opposées l’une à l’autre. » Les candidats multiplient alors les passages aux tribunes des assemblées et se rendent souvent dans la même soirée à plusieurs réunions.
Si la ruée vers les réunions électorales joue contre les candidats présentés par le gouvernement impérial, c’est d’abord parce qu’ils s’y font critiquer publiquement par leurs adversaires, même si ces attaques semblent se faire encore parfois à demi-mot, en raison de la présence systématique d’un fonctionnaire de police. En outre, les candidats officiels n’ont pas instantanément saisi l’apport des réunions électorales. « Beaucoup d’entre eux d’ailleurs n’ont réellement compris qu’après le dénouement, l’influence décisive du contact établi par les réunions publiques entre le candidat et ses électeurs. Ils ont persisté jusqu’au bout dans la tranquille propagande d’autrefois. Ainsi plus d’un a-t-il payé de sa défaite, au jour du scrutin, la faute de n’avoir pas deviné à temps la révolution qui était en train de s’accomplir dans nos mœurs et notre stratégie politiques », ajoutera Étienne Masseras.
Les réunions électorales ont, en effet, constitué, au moins dans les grandes villes, une menace nouvelle pour les notables habitués à se faire élire sans difficulté au premier tour des élections grâce au patronage gouvernemental. Toutefois, devant le constat de ce que la concurrence électorale est devenue plus intense et que leur élection est moins assurée, certains candidats officiels, avec le soutien du gouvernement, vont eux aussi se tourner vers l’organisation de réunions et donc modifier leur façon de faire campagne. Cependant, ce n’est pas dans les grandes réunions contradictoires que se rendent les candidats bonapartistes, qui s’y seraient à coup sûr fait chahuter, mais davantage vers des réunions privées de taille plus limitée. Dans les zones rurales, les comices agricoles vont être abondamment utilisés par l’administration pour promouvoir les candidats du gouvernement : « Les banquets qui suivent ces réunions sont aidés, encouragés et patronnés par le gouvernement », soulèvera le journal républicain La Presse. Les candidats officiels utilisent aussi la période de silence imposée à la campagne électorale pendant les cinq jours précédant le scrutin pour tenir des réunions sur lesquelles l’administration ferme les yeux, voire qu’elle organise.
Les progrès de l’opposition
Au fur et à mesure de la législature débutée en 1863, les républicains se sont affirmés tandis que les monarchistes ont décliné. Les républicains se détachent désormais très nettement des niveaux atteints par les autres opposants, et ils n’ont plus autant besoin de leur appui. C’est donc logiquement qu’en 1869, ils désertent « L’union libérale », qui avait été constituée en 1861, pour mener indépendamment le combat en vue des élections législatives. Le mouvement légitimiste, pour sa part, aborde les élections de mai-juin 1869 dans le désordre et la plus grande improvisation. Quelques mois auparavant, le 29 novembre 1868, le décès du chef de file des légitimistes, le député des Bouches-du-Rhône Pierre-Antoine Berryer, prive le mouvement de sa principale figure parlementaire. Pour autant, la fraction la plus intransigeante du légitimisme entend profiter de ces élections législatives pour supplanter les candidats orléanistes, mais aussi les légitimistes modérés. De manière assumée, elle n’hésite pas à mettre à mal les tentatives de réactivation de « L’union libérale », ce qui conforte encore davantage les républicains dans leur décision de s’en désolidariser pour ce scrutin à venir. Une telle stratégie autonomiste interdit aux candidats légitimistes toute perspective de victoire électorale, faute d’alliances d’envergure conclues au niveau national.
Au soir du second tour des élections législatives, le 7 juin 1869, les opposants de tout bord récoltent 3 355 000 suffrages contre 4 438 000 pour les candidats officiels. Comme pour les élections législatives précédentes, ce très net progrès de l’opposition s’accompagne d’une forte diminution de l’abstention qui ne se situe désormais plus qu’autour de 22 % des électeurs inscrits, contre 27 % auparavant. Dans l’hémicycle du Corps législatif, les républicains disposeront désormais de trente députés, tandis que les royalistes, composés très majoritairement d’élus orléanistes, en compteront quarante et un. Ces élections sont essentiellement marquées par le recul important des bonapartistes autoritaires qui ne dénombrent plus que quatre-vingt-dix-huit députés. Ils ne peuvent désormais constituer une majorité que grâce à la spectaculaire percée réalisée par le Tiers Parti. Avec l’appoint de ces Bonapartistes libéraux qui ont remporté 120 sièges, la nouvelle majorité regroupera 218 des 289 députés élus. Sans conteste, ces élections législatives apparaissent comme un nouveau camouflet pour Napoléon III. Les grandes villes ont principalement désavoué l’Empire. Paris s’illustre en la matière puisque huit des neuf sièges à pourvoir ont été gagnés par des candidats républicains, parmi lesquels figure le jeune Léon Gambetta. Les bonapartistes ne récoltent qu’un quart des suffrages exprimés dans la capitale. Une grande disparité se manifeste encore davantage entre l’électorat citadin et l’électorat rural. Le gouvernement avait d’ailleurs accentué ses efforts de propagande dans les campagnes, délaissant les grandes villes, au point même, parfois, de ne pas y faire concourir de candidats comme cela a été le cas, par exemple, dans les deux circonscriptions du Rhône qui se partagent Lyon.
Du régime parlementaire à la chute de l’Empire
Les conséquences de ces résultats électoraux ne vont pas se faire attendre. Dans une lettre publiée par le journal Le Constitutionnel, l’ancien ministre de l’Intérieur, Victor de Persigny, n’hésite pas à proclamer : « L’empereur n’a qu’à persévérer résolument dans les voies libérales qu’il a ouvertes, mais en appelant à lui toute une nouvelle génération, jeune, intelligente et surtout courageuse et convaincue. Quant aux hommes du deux décembre [en référence au coup d’État du 2 décembre 1851], […] leur rôle est fini. » Dès le 12 juillet suivant, affaibli par le verdict des urnes à l’issue des élections législatives, Eugène Rouher annonce au Corps législatif des réformes constitutionnelles avant de démissionner de ses fonctions de ministre de l’Intérieur. Malgré l’amitié et l’estime qu’il lui porte, Napoléon III se résout à sacrifier l’un de ses plus fidèles conseillers avant, cependant, de le nommer président du Sénat huit jours plus tard.
Le 8 septembre suivant, un sénatus-consulte institue les réformes annoncées. Le Corps législatif élira dorénavant son bureau et les députés se verront accorder l’initiative des lois et le droit d’amendement. Ainsi, s’instaure un régime semi-parlementaire. Le 2 janvier 1870, après bien des tergiversations, Napoléon III se résout à mettre en accord sa politique de réformes et les hommes chargés de la conduire. En nommant à la tête du gouvernement Émile Ollivier, ce républicain libéral qui, au fur et à mesure des années, s’est rapproché de l’Empire, Napoléon III conduit la France vers un régime parlementaire. Tenant compte des résultats des élections législatives de l’année précédente, et soutenu par une large majorité du Corps législatif, le nouveau chef du gouvernement recrute ses collaborateurs dans les rangs du centre gauche et du centre droit.
Le 21 mars 1870, l’Empereur annonce, en conseil des ministres, une réforme constitutionnelle. Le 20 avril suivant, le Conseil d’État adopte un sénatus-consulte qui stipule que la responsabilité des ministres s’exerce désormais devant le Corps législatif. Un système parlementaire bicaméral se met donc en place puisque le Sénat perd son pouvoir constituant pour devenir une seconde assemblée au même titre que le Corps législatif.
Le 8 mai 1870, un plébiscite est soumis aux électeurs français, lesquels se voient poser la question ainsi libellée : « Le peuple approuve les réformes libérales opérées par l’Empereur avec le concours des grands corps de l’État, et ratifie le sénatus-consulte du 20 avril 1870 ? » Il s’agit pour Napoléon III de réaffirmer son lien privilégié avec le peuple. De plus, il veut faire reconnaître que cette évolution libérale du régime impérial est le fruit de sa volonté. En adressant aux électeurs une telle question, l’Empereur divise aussi l’opposition libérale qui ne peut guère répondre par la négative à une évolution qu’elle a soutenue depuis dix ans. Par la même occasion, il affaiblit aussi les bonapartistes autoritaires qui, même s’ils hésitent à donner leur aval à un texte entérinant des réformes auxquelles ils sont hostiles, ne souhaitent pas désavouer l’Empereur. De leur côté, les monarchistes et les républicains se partagent entre le vote négatif et l’abstention. Le dilemme est en effet le même pour tous : faut-il approuver la libéralisation des institutions et ce faisant paraître cautionner le régime impérial, ou bien refuser cet habile stratagème de Napoléon III et prendre du coup le risque d’un retour au verrouillage généralisé du système politique, comme aux pires années de l’Empire autoritaire ? Quant au gouvernement Ollivier, il s’implique totalement dans la bataille.
Si la victoire du « oui » semble ne faire aucun doute, la question se pose de l’écart entre les deux camps et de la réaction des vaincus si la défaite du « non » est relative. Or, au soir du 8 mai, le « oui » l’emporte avec une large majorité de 7 350 142 suffrages contre 1 538 825 bulletins « non », dépassant les espérances des bonapartistes les plus confiants. C’est donc un grand succès pour l’Empire qui reprend trois millions de suffrages par rapport aux élections de 1869. En outre, jamais l’abstention ne se sera révélée aussi faible puisqu’elle n’est que de 18,2 %. Une fois encore, les grandes villes, telles que Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux et Toulouse n’ont pas adoubé l’Empire et se sont prononcées en faveur du « non ». Les Républicains sont atterrés, à l’image de Léon Gambetta qui ne pourra s’empêcher de dresser ce constat amer : « L’Empire est plus fort que jamais. »
Deux mois à peine s’écouleront avant que la France ne bascule dans la guerre déclarée contre la Prusse. Fort des pouvoirs dont il dispose désormais, le Corps législatif va alors s’affranchir du régime impérial. À l’annonce des premiers revers militaires essuyés par la France, les députés, à une écrasante majorité, décident de renverser le gouvernement d’Émile Ollivier le 9 août 1870. Moins d’un mois plus tard, le 4 septembre, à la suite de la capitulation de Napoléon III à Sedan survenue la veille, le Corps législatif, malgré le serment de fidélité prêté par ses élus à l’Empereur et à la Constitution, ne choisit pas de faire bloc derrière l’Impératrice Eugénie, alors régente de l’Empire. C’est depuis le Palais Bourbon que partiront les premiers appels à renverser la dynastie napoléonienne et à proclamer la République, ce qui adviendra quelques heures plus tard à l’Hôtel de ville de Paris. Le régime parlementaire n’aura vécu que le temps de quelques mois. Le Corps législatif disparaît avec la chute du Second Empire. Cinq mois plus tard, le 8 février 1871, se dérouleront les premières élections législatives de la toute jeune IIIe République. L’Assemblée nationale, devenue chambre unique du Parlement français, succède au Corps législatif.
Dans le prolongement de la IIe République, l’élection des 638 députés se déroulera au scrutin de liste majoritaire départemental à un tour. Les monarchistes en sortiront vainqueurs et disposeront d’une large majorité. Moins de deux ans après les élections législatives de 1869 et quelques mois seulement après la capitulation de Napoléon III, les bonapartistes n’obtiendront que 3 % des suffrages et seulement vingt députés dans cette nouvelle Assemblée nationale.
Une élection inattendue
À l’annonce du coup d’État du 2 décembre 1851, les républicains lyonnais ne dissimulent pas leur indignation. Mais, la ville de Lyon étant quadrillée par l’armée, toute sédition semble vouée à l’échec. Les 21 et 22 décembre, les résultats du plébiscite illustrent nettement l’opinion du peuple lyonnais : l’abstention atteint les 25 %, soit 6 % de plus que sur l’ensemble du pays, et les bulletins « non » s’élèvent à 35 % des suffrages exprimés, contre à peine 8 % à l’échelle nationale. Lorsque les élections législatives sont arrêtées aux dates des 29 février et 4 mars 1852, le docteur Jacques-Louis Hénon, âgé de quarante-neuf ans, membre de l’Académie des sciences, lettres et arts de Lyon, et républicain convaincu, décide de se porter candidat dans la seconde circonscription du Rhône (La Guillotière). L’intéressé avait déjà tenté sa chance, sans succès, lors des précédentes élections législatives du 23 avril 1848. Dans les ateliers, les ouvriers se mobilisent en faveur de la candidature de Jacques-Louis Hénon.
C’est un véritable chef-d’œuvre d’organisation qui se met en place. En l’absence de réunions publiques ou de publicité, des bulletins à son nom sont nuitamment glissés sous les portes. Consigne est également donnée aux sympathisants républicains de ne venir voter que lors de la dernière heure précédant la clôture de scrutin pour éviter ensuite un éventuel bourrage d’urnes. Enfin, des observateurs de confiance sont envoyés pour surveiller le dépouillement. Au soir du deuxième tour, à la surprise des autorités, le docteur Hénon sort vainqueur du scrutin avec 10 642 suffrages contre 9 623 pour son adversaire, Auguste Cabias, conseiller municipal et maire du 4e arrondissement de Lyon. Aux votes des ouvriers lyonnais, se sont également joints ceux des électeurs bourgeois que la modération du docteur Hénon n’effrayait pas. Face au refus du député élu de prêter serment de fidélité au chef de l’État et à la Constitution, c’est néanmoins Auguste Cabias qui siégera au Corps législatif lors de cette première mandature. Jacques-Louis Hénon sera cependant réélu à la faveur des élections législatives de 1857 et de 1863. Battu aux élections législatives de 1869, il sera élu maire de Lyon le 15 septembre 1870, onze jours après la proclamation de la IIIe République. Il exercera ses fonctions jusqu’à sa mort survenue le 28 mars 1872.
Le Tiers Parti
Le Tiers Parti émerge au sortir des élections législatives de 1863 et devient, au sein du Corps législatif, le groupe « des conservateurs libéraux ». À l’opposition systématique des républicains, les membres du Tiers Parti acceptent la dynastie impériale, mais rejettent l’Empire autoritaire. La quarantaine de députés qui y siège peut se diviser en quatre branches : des élus bonapartistes libéraux ; des élus qui gardent l’appui gouvernemental mais avec des idées cléricales et protectionnistes ; des élus indépendants de tendances orléanistes ; des élus indépendants de tendances républicaines comme Émile Ollivier. Le Tiers Parti souhaite un régime d’ordre, ce en quoi le régime impérial lui apporte satisfaction, mais il réclame aussi les libertés fondamentales. Dans la phase de libéralisation de l’Empire, ce parti s’organise et remporte un joli succès aux élections législatives de 1869. Quelques mois plus tard, Émile Ollivier – membre du Tiers Parti rallié au compromis d’un Empire libéral – est appelé par Napoléon III pour former un gouvernement, ce qui marque le triomphe du Tiers Parti.
Les quatre présidents du Corps législatif
Directement nommés par le pouvoir, quatre présidents se sont succédé à la tête du Corps législatif sous le Second Empire.
Adolphe Billault (du 9 mars 1852 au 12 novembre 1854)
Avocat, élu député de Loire-Inférieure en 1837, Adolphe Billault a été sous-secrétaire d’État à l’Agriculture et au Commerce sous la monarchie de Juillet. Après des positions politiques plutôt absconses sous la IIe République, il se rallie à la politique de Louis-Napoléon Bonaparte et devient, en 1851, un des familiers du palais de l’Élysée. Candidat officiel aux élections législatives de 1852 dans la 2e circonscription de l’Ariège, il est élu avec une majorité écrasante au Corps législatif le 29 février avant d’être nommé, à seulement quarante-six ans, président de cette assemblée par Louis-Napoléon Bonaparte, le 9 mars suivant. Dans son discours d’installation, il prononce, non sans un certain embarras (comme le relèveront quelques observateurs), l’oraison funèbre du régime parlementaire : « Nous n’aurons plus autour de l’urne législative les évolutions des partis tenant sans cesse le ministère en échec, le forçant de s’absorber en un soin unique, celui de sa défense, et n’aboutissant trop souvent qu’à énerver le pouvoir. » En sa qualité de président du Corps législatif, il est chargé, dans la soirée du 1er décembre 1852, de porter à Saint-Cloud le résultat officiel du plébiscite en faveur du rétablissement de la dignité impériale. Il sera, de fait, le premier à saluer Napoléon III du titre de « sire ». Adolphe Billault quitte la présidence du Corps législatif le 12 novembre 1854 après avoir été nommé ministre de l’Intérieur quatre mois auparavant.
Charles de Morny (du 12 novembre 1854 au 10 mars 1865)
Agé de quarante-trois ans, c’est le duc Charles de Morny, député du Puy-de-Dôme depuis 1842 et demi-frère de Napoléon III, qui succède à Adolphe Billault, dès le 12 novembre 1854, à la présidence du Corps législatif. A la tête de cette assemblée, il va contribuer à encourager et accompagner une inflexion dans l’évolution politique du régime impérial vers le parlementarisme. Particulièrement attentif aux revendications libérales d’une partie de l’opinion, Charles de Morny se rapproche du député républicain Émile Ollivier. Malgré l’hostilité qu’il suscite auprès des partisans de la fermeté au sein du gouvernement, Charles de Morny sera maintenu par Napoléon III à la présidence du Corps législatif après les élections de 1857 et de 1863. Lorsqu’il meurt, le 10 mars 1865, il aura occupé cette fonction pendant plus de dix ans.
Alexandre Colonna Walewski (du 29 août 1865 au 29 mars 1867)
Fils naturel de l’Empereur Napoléon Ier et de sa maîtresse Marie Walewska, Alexandre Colonna Walewski a été successivement ministre des Affaires étrangères et ministre d’État entre 1855 et 1863. Élu député dans la 2e circonscription des Landes à la faveur d’une élection législative partielle en août 1865, ce cousin de l’Empereur se voit aussitôt nommé par ce dernier président du Corps législatif, plus de cinq mois après le décès du duc de Morny. Une nomination qui intervient le 29 août 1865, alors même que l’élection d’Alexandre Colonna Walewski comme député n’a pas encore été validée. Après l’ouverture initiée par le duc de Morny, l’opposition ne manquera pas de souligner : « Chassez le naturel, il revient au galop ! » Pourtant, à l’instar de son prédécesseur, Alexandre Colonna Walewski s’incline vers le régime parlementaire et témoigne vis-à-vis de l’opposition une impartialité qui déplaît au Ministre d’État Eugène Rouher, représentant officiel de Napoléon III auprès du Sénat et du Corps législatif et chantre d’un régime autoritaire. Lors de débats dans l’hémicycle, sur son refus de rappeler à l’ordre le député de l’opposition Adolphe Thiers, Alexandre Colonna Walewski affronte le tumulte de la majorité et finit par remettre sa démission de la présidence le 29 mars 1867 et de son mandat de député le lendemain. Après un an et sept mois, il est celui qui sera resté le moins longtemps à la tête du Corps législatif sous le Second Empire.
Eugène Schneider (du 2 avril 1867 au 4 septembre 1870)
Député de Saône-et-Loire depuis plus de vingt ans et président du Conseil général de ce même département depuis quinze ans, Eugène Schneider est un puissant industriel qui exploite notamment, lors de l’avènement de la métallurgie et de sidérurgie, le bassin houiller du Creusot, ville dont il deviendra le maire en 1866. Ephémère ministre de l’Agriculture et du Commerce sous la IIe République, il est nommé par Napoléon III vice-président du Corps législatif en 1854. Il en devient même président par intérim lorsque le duc de Morny effectue un séjour en Russie entre 1856 et 1857. Trois jours après la démission d’Alexandre Colonna Walewski, il est nommé par l’Empereur pour lui succéder, le 2 avril 1867. C’est Eugène Schneider qui, le 3 septembre 1870, aura le triste privilège d’annoncer devant les élus du Corps législatif la défaite de Sedan et la capture de Napoléon III survenues la veille. Le lendemain, le 4 septembre, quelques heures avant la proclamation de la IIIe République, il est chassé du pouvoir aux cris de « À mort l’assassin du Creusot, l’exploiteur des ouvriers ! » Après trois ans et cinq mois à la présidence du Corps législatif, il s’exilera en Angleterre, à Brighton puis à Londres.
Bibliographie
Jacques-Olivier Boudon, Citoyenneté, République et démocratie en France (1789-1899), Paris, Armand Colin, 2014. I Louis Girard (dir.), Les élections de 1869, Paris, Marcel Rivière, 1960. I Léo Hamon, Les républicains sous le Second Empire, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1994. I Éric Anceau, Dictionnaire des députés du Second Empire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Carnot », 1999.
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