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Paul Féart

un préfet zélé sous le Second Empire

Comment, sous le Second Empire, un préfet, de par son action, pu marquer durablement un département tel que le Gers ? Féart, un nom aujourd’hui oublié, en tout cas méconnu. Il est en effet par moment surprenant de constater que la postérité peut quelquefois se montrer injuste, lorsqu’elle laisse tomber dans les abimes de l’Histoire des personnalités, qui marquèrent pourtant leur époque à leur façon et qui furent même incontournables…

Laurent Marsol / historien

S’il est justement un préfet parmi la cohorte de près d’une centaine de préfets du Gers qui contribua grandement par son action à marquer son passage au sein de ce département déjà très rural, c’est bien Paul Féart. Cependant, la venue et l’installation de cet homme d’action en Gascogne sont tout simplement dus au hasard incongru d’une nomination gouvernementale, qui plus est motivée dans le but de réprimer sans coup férir les suites dramatiques d’une insurrection républicaine. Mais avant d’en arriver-là, il est sans nul doute opportun d’évoquer les origines de ce digne représentant de l’État…


Premiers pas dans l’administration

Paul-Jules-Francisque Féart naît dans les Ardennes, à Sedan, en 1817. Ville de funeste réputation puisque c’est dans cette cité qu’un certain 2 septembre 1870 l’Empereur se rendra au roi Guillaume de Prusse et au chancelier Bismarck. C’est donc en la rue Saint-Michel de cette cité ardennaise que Féart voit le jour au sein d’une famille de notables bien établie, car le père est notaire de profession. On peut signaler que le futur préfet est le cadet d’une fratrie qui compte Adrien (1813-1880), artiste de son état… De plus, quand Paul Féart est né, le maire de Sedan n’est autre que son oncle Paul-Eustache Huet de Guerville (1777-1854). Ce militaire à la retraite, de tendance royaliste, se montre un édile actif et avisé, qui cherche à embellir Sedan et à en développer l’économie en relançant, notamment, l’industrie textile et en faisant construire le nouvel Hôtel de Ville. On ne peut que deviner qu’en présence d’un tel oncle, le futur préfet soit sensibilisé durablement et se trouve tout autant inspiré pour son engagement futur au service de l’État… D’ailleurs, dès sa majorité, Paul Féart se démarque de sa famille, de par sa détermination à intégrer l’administration préfectorale, en espérant ainsi devenir fonctionnaire d’État, pour servir légalement et avec tout le zèle requis la France, quel que soit le régime politique qui sera alors au pouvoir. C’est donc précocement, à peine âgé de vingt ans, et sous le règne de Louis-Philippe, qu’il embrasse une carrière dans l’administration, laquelle devait se clore trente ans plus tard lors de son décès.


De la sorte, à partir de 1837, il est d’abord engagé comme secrétaire d’un préfet de Loire-Atlantique, Maurice-Jean Duval (1778-1861), puis obtient le poste de chef de bureau au ministère de la Guerre et jusqu’à traverser la Méditerranée pour accéder au secrétariat de la commission de législation et du contentieux en Algérie en 1847. Ce n’est que deux ans plus tard qu’il parvient à être nommé sous-préfet, tour-à-tour d’Oloron, puis de Prades et jusqu’à aller à Reims en décembre 1849. Mais sa présence champenoise est de très courte durée, même s’il y épouse Marie-Louise Robillard (fille d’un ingénieur des Ponts et chaussées), puisqu’il est muté dans le Gers. C’est son premier poste de préfet. Le Gers est d’ailleurs longtemps synonyme (pour tout haut-fonctionnaire) de promotion dans la préfectorale…


Un préfet à poigne

Comme déjà évoqué plus haut, cette nomination a pour motif originel de réprimer, par des moyens légaux, l’insurrection républicaine du 4 décembre 1851. En effet, la répression a été quasi-immédiate. Dès le 9 mars 1852, soit un mois après l’arrivée de Féart dans le Gers, un premier convoi d’une série de cinq successifs entre mars et mai 1852 transporte depuis le port de Sète, vers les côtes algériennes (Blida), des Gersois dont le point commun est d’être tous républicains et insurgés de l’après 2 décembre 1851. Toutefois, il est à préciser que ces derniers sont convoyés après un procès tenu au tribunal d’Auch et qui implique leur bannissement du sol français. Finalement, 338 Gersois sont « déportés » mais plusieurs dizaines reviennent quelques mois après, en France métropolitaine, suite à une amnistie décrétée par décision de Napoléon III, au moment de son union avec Eugénie (janvier 1853). La soudaineté et la quantité d’hommes amenés de force dans les terres lointaines d’Algérie a-t-elle fait frémir la population gersoise demeurée dans le département ? Du moins, la rapidité de cette répression répond au souhait du préfet Féart de régler sans tarder cette question hautement sensible, afin de se consacrer pleinement à son action dans le département, pour convaincre et rassurer les Gersois quant au bon vouloir du gouvernement qu’il représente et prouver finalement au peuple gascon, réputé rebelle et contestataire, que le Second Empire n’est peut-être pas plus mal que la République et que toutes les franges d’une société peuvent bien vivre et en bonne entente… Tout autant, l’action à venir du préfet Féart est dû aussi au fait que son passage dans le Gers est à durée déterminée et que, ne sachant ni le jour ni l’heure de son départ, au gré d’une potentielle nomination, le temps lui est compté : il a, de la sorte, à démontrer au gouvernement et donc au pouvoir impérial, que celui-ci peut avoir toute confiance en lui, espérant ainsi une nouvelle promotion qui le rapprocherait de Paris.


À cette époque, les pouvoirs d’un préfet sont très étendus, ayant le triple pouvoir de nomination, révocation et classement. Le représentant de l’État se doit en effet de nommer par décret les facteurs, instituteurs, titulaires de débit de boissons et de tabac, mais aussi les gardes-champêtres et cantonniers, deux professions aujourd’hui disparues. De plus, les maires de toutes les communes, ainsi que leurs premier et deuxième adjoints sont également nommés par le préfet, car il n’y a pas d’élections municipales ; c’est donc aux maires et à leurs adjoints qu’émane la responsabilité de désigner les autres membres du conseil municipal. Si les préfets ont le pouvoir de nomination, ils ont aussi celui de révoquer dans le cas où le nommé devient plus que douteux politiquement, ou s’il faillit à ses fonctions. De même, il revient aux préfets de classer de simples chemins au rang de chemins vicinaux, de procéder s’il en éprouve la nécessité au changement du nom des communes… Dans le Gers, trois exemples sont célèbres : La Sauvetat, anciennement Lassauvetat, Saint-Orens-Pouy-Petit (ajout du complément Pouy-Petit) et La Romieu (Larroumieu).


Ayant pour ainsi dire tout pouvoir, Féart se doit cependant de composer avec les personnalités locales, détentrices, elles aussi, d’une certaine aura ou jouissant d’une notoriété indéniable. Inévitablement, le représentant de l’État ne peut donc que rencontrer, côtoyer ou fréquenter la classe politique gersoise dans sa totalité, invariablement dominée par un seul homme, Bernard-Adolphe Granier de Cassagnac (1806-1880), député du Gers pendant une trentaine d’années. Les rapports de respect qu’expriment mutuellement les deux hommes ne tendent pas à prouver que le député ait eu une influence sur le préfet Féart, contrairement à ses deux successeurs, moins charismatiques sous le règne de Napoléon III.


Outre les politiciens, un préfet tel que Féart se doit aussi de croiser et d’approcher les divers membres du clergé. À une époque où l’Église jouit d’une grande influence sur l’ensemble d’une population jusque dans l’instruction des enfants, un personnage comme l’évêque demeure incontournable. En six années passées dans le Gers, Paul Féart voit ainsi se succéder deux archevêques d’Auch, Nicolas de La Croix d’Azolette (1779-1861) et Antoine de Salinis (1798-1861). Avec le premier cité, les rapports sont plutôt rares, car lors de l’arrivée du préfet sur ses terres gasconnes, le prélat est déjà fort âgé et se sent tellement fatigué qu’il présente sa démission au pape Pie IX, à laquelle le successeur de Saint Pierre répond favorablement. Cela permet à l’archevêque démissionnaire de profiter d’une retraite bien méritée dans sa région natale, le Lyonnais. Toutefois, on peut supposer à juste titre que si le préfet Féart a dû s’inspirer de cet archevêque, cela se constate à ses visites à la population locale. En effet, Nicolas de La Croix d’Azolette est le premier archevêque d’Auch à inaugurer ce que l’on appelle encore « les visites pastorales » auprès des fidèles chrétiens. Paul Féart n’hésite donc pas, chaque fois que l’occasion se présente, à sortir des lambris ou des salons feutrés de l’hôtel de la Préfecture pour accomplir une fois l’an, de 1853 à 1858, une visite dans un secteur différent du Gers : l’Astarac, la Rivière-Basse, le Savès, la Lomagne, le Condomois ou le Bas-Armagnac. Après le départ du premier nommé, le préfet du Gers côtoie davantage Antoine de Salinis, même si c’est pour peu de temps, entre 1856 et 1858. C’est avec ce dernier archevêque qu’il lance un projet qui lui tient à cœur : les grands travaux de dégagement de la cathédrale d’Auch (1858-1863) laissant ainsi une œuvre considérable dans la capitale de la Gascogne et dont profitent toujours la population et les touristes de passage…


« Le préfet des agriculteurs »

Nommé dans un département majoritairement agricole, Féart ne peut qu’œuvrer en direction du monde paysan, qui représente une part considérable de l’électorat en ce milieu du xixe siècle. De fait, c’est à lui que l’on doit la création d’une Société d’agriculture laquelle, forte de plus de trois cents adhérents (dont les grands propriétaires terriens) favorise l’organisation de concours et de comices agricoles, primant en ces occasions le meilleur des races bovines, ovines, porcines, chevalines et volaillères du Gers. Le préfet a aussi quelques projets qu’il ne peut mener à bien mais ont le mérite d’avoir été pensés par un même homme… Il souhaite notamment reboiser le département et fait venir des pins laricio de Corse. Sous-espèce que l’on trouve souvent dans le milieu méditerranéen (Calabre, Sicile ou Corse), cette variété de pin se caractérise par un feuillage peu dense, parsemé d’aiguilles mesurant jusqu’à 15 cm de long, d’une couleur vert cendrées souples et non piquantes. Ce type de pin a pu être implanté en grand nombre dans le Bas-Armagnac (plus de 1 500 ha), en Astarac et dans le Haut-Armagnac (entre 1 066 et 831 ha), mais beaucoup moins en Savès (environ 489 ha) et quasiment inexistant en Rivière-Basse. Toujours dans le domaine agricole, Paul Féart a l’idée de développer dans le Gers la culture de la pomme de terre, afin de fournir cet aliment jugé nutritif auprès des populations les plus défavorisées. Ainsi sont convoyées par camions, en provenance de Bretagne mais aussi du Loir-et-Cher, près de 100 tonnes de patates à destination de la Gascogne et livrées à des paysans, qui se doivent de fournir la majorité de leur production au préfet, lequel les fait acheminer en direction des bureaux de bienfaisances locaux. Finalement, le précieux tubercule aboutit dans les assiettes d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards qui ont longtemps vécu dans l’indigence.


Toutefois, outre l’agriculture, Paul Féart s’intéresse à la couture, puisqu’il permet à des dames voire à des jeunes filles d’Auch de bénéficier d’un ouvroir dirigé par Mme Gary pour réaliser des travaux de dentelle et de broderie.


Bâtisseur et visionnaire

Durant ses six années passées dans le Gers, le préfet Féart a donc laissé une empreinte durable. Il a favorisé et autorisé des constructions, agrandissements ou embellissements en tout genre, tels les palais de justice de Lombez, Mirande et Condom et, pour le commerce, les halles de Samatan, Lupiac et Nogaro. Le siècle étant celui d’une grande campagne nationale de construction d’églises, le Gers ne fait pas exception à la règle : ainsi sont élevées les églises de Saint-Clar, Plaisance-du-Gers et Ricourt (non loin de Marciac). En sa présence est posée la première pierre du clocher de l’église de Monbrun (1857).


À l’image de son illustre prédécesseur, l’intendant d’Etigny − à la mémoire duquel il fait dire une messe tous les ans en la cathédrale d’Auch −, il souhaite marquer le siège de sa préfecture de projets divers, qui pour l’essentiel contribuent à un grand bouleversement urbain de la capitale de la Gascogne…


Réalisations auscitaines

Outre l’introduction de l’éclairage au gaz, le nivellement des places de l’hôtel de ville et de la cathédrale et l’agrandissement du Foirail, c’est sous l’impulsion de Féart qu’est achevé le prolongement du boulevard Sadi-Carnot (de la place du 14 juillet à l’avenue des Pyrénées), après la démolition du moulin à eau de Chélère. C’est également à lui que l’on doit le déplacement du cimetière de l’actuel terrain Michelet (situé à côté de l’hôpital psychiatrique) sur le plateau de Lescat, où il se trouve toujours. Pour Féart, la question de l’eau est aussi primordiale. Ainsi, après confirmation des vertus curatives de l’eau, il fait aménager au niveau des actuelles allées Lagarrasic une fontaine appelée « Fontaine Féart » (6), ainsi que d’autres sur la place Salinis et dans le quartier des Grisons (route de Toulouse).

Son œuvre la plus magistrale est la démolition de l’ancienne chanoinie en vue du dégagement de l’actuelle place Salinis et la construction de l’escalier monumental, qui entraînent la réalisation du palais de justice et de la prison (détruite dans les années 1970). Réalisations et aménagements urbains majeurs dont il ne voit pas l’achèvement puisqu’il esg muté en Ille-et-Vilaine dès le mois de juin 1858.

C’est aussi Féart qui songe le premier à une salle dans la préfecture avec des plaques en marbres rendant hommage à plusieurs dizaines de Gascons illustres, projet qui n’aboutit pas mais que reprendra le maire d’Auch Soullier avec l’établissement de l’actuelle salle des Illustres.


Des faveurs impériales à la disgrâce

Fort de sa réussite, le régime impérial nomma Féart préfet à Rennes afin de préparer la venue du couple impérial en Bretagne. C’est à lui que revient la responsabilité de gérer le déroulé de la visite officielle de l’Empereur et de l’Impératrice sur le territoire armoricain. Il fait ainsi construire pour l’occasion la Villa Eugénie et décide le percement du boulevard du Prince Impérial (actuel boulevard Féart), dans la cité balnéaire de Dinard. C’est aussi en Ille-et-Vilaine que le préfet souhaite influer politiquement sur le département, comme il l’a fait avec succès dans le Gers, en motivant les électeurs bretons de voter pour l’Empire au détriment du penchant habituel de ladite Bretagne à élire des représentants de tendance royaliste. Malheureusement, c’est sans compter avec l’opposition de l’évêque de Rennes, Godefroy Brossay-Saint-Marc (1803-1878), soutenu par Elisa-Napoleone Baciocchi (1806-1869), la propre cousine de Napoléon III, laquelle se plaint trop souvent à l’Empereur des agissements du préfet et finit par convaincre son impérial cousin de le disgracier.


Il est alors renvoyé dans le Sud-Ouest en 1864, en étant nommé préfet du Lot-et-Garonne. À peine arrivé, il doit malheureusement présider aux obsèques du poète Jasmin ce qui augure mal de son passage à Agen, comme la suite le prouvera. Déçu de cet éloignement forcé, Féart ne gère plus que les affaires courantes, car une lancinante neurasthénie le prend jusqu’à son décès brutal le 27 août 1867, âgé d’à peine cinquante ans. Ironie du sort, il s’éteint presque un siècle jour pour jour après son modèle, d’Etigny (mort le 24 août 1767).

On peut aisément deviner que, de toutes ses nominations, le territoire dont il conserva à n’en pas douter le meilleur souvenir fut assurément son passage dans le Gers. Ses réalisations le justifient amplement ; de plus, à titre personnel, Paul Féart peut se targuer d’être le seul préfet du Gers à avoir donné naissance, à Auch, à ses deux enfants : Louise-Marguerite (née en avril 1852) et Paul-Jules (né le 19 septembre 1856). À ce propos, le jour de la naissance de son fils, le préfet Féart offrit des bonbons à tous les écoliers de la ville d’Auch.

On peut ajouter enfin, suprême et éternel hommage, que c’est le seul préfet du Gers ayant donné autant son nom aux rues et places des communes du département, telles Lupiac, Manciet, Gondrin, Roquelaure, Saint-Puy, sans oublier la ville-préfecture d’Auch.


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