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Pape Pie VII de retour en son appartement à Fontainebleau

Le Concordat signé aux Tuileries le 15 juillet 1801 marqua la fin de la persécution menée par la France révolutionnaire contre l’Église catholique romaine, culminant dans la mort en 1799 de Pie VI déporté par le Directoire à Valence. Élu souverain pontife en 1800 par un conclave réfugié à Venise, son successeur prit le nom de Pie VII, et reçut des ouvertures du Premier consul. La paix religieuse fut un choix personnel de Bonaparte : « Le rétablissement du culte me donnera le cœur du peuple ».


Le temps de la concorde


L’année 1802 marqua la réconciliation officielle entre l’Église et l’État. Un Te Deum fut célébré à Notre-Dame de Paris, rendue au culte catholique, le 18 avril 1802, jour choisi par Chateaubriand pour publier son Génie du christianisme, apologie de la religion chrétienne érodée par les Lumières et tourmentée par la Révolution. En ce mois d’avril 1802 (an X du calendrier révolutionnaire), le ministre de l’Intérieur Chaptal lança un « Appel à tous les artistes de la République française » pour célébrer soit la paix générale, soit la loi sur les Cultes qui garantissait la paix religieuse. Cinquante-deux peintres envoyèrent des esquisses à ce concours. Pour le deuxième sujet, une proposition anonyme combine, tel un Jugement dernier, les deux mondes céleste et terrestre. Bonaparte écoute un ange et signe le Concordat. Une sorte de saint Michel brandissant un glaive flamboyant et la Justice chassent les réprouvés. Un chœur céleste surplombe le groupe ternaire des vertus théologales (Foi, Charité et Espérance). Des guerriers français en armure et en uniforme moderne et des hommes d’Église dominent le groupe des quatre évangélistes : saint Luc et son taureau, saint Marc et son lion, saint Mathieu sans attribut distinctif, enfin saint Jean accosté d’un aigle et tenant l’Apocalypse. Cette proposition était trop truffée de références religieuses pour remporter le concours.


Ce choix politique de réintégrer l’Église catholique dans l’État affermit le pouvoir du Premier consul et rencontra une vaste adhésion populaire, qui contribua à son élévation à l’Empire par sénatus-consulte du 18 mai 1804. Enjoint de participer à la cérémonie du « sacre et couronnement de Sa Majesté », le souverain pontife dut se mettre en route, et marqua du 25 au 28 novembre 1804 une halte au palais de Fontainebleau, un vieux palais de la Couronne remis en état à cette occasion. La rencontre des deux protagonistes fut singulière, et la scène appelait la commémoration par le pinceau. Y collaborèrent deux artistes, Demarne pour les figures et Dunouy pour le paysage.


La scène fut commandée par un décret impérial du 3 mars 1806 pour la galerie de Diane au palais impérial des Tuileries et exposée au Salon de 1808. Elle campe deux personnages aux prises le 25 novembre 1804, incarnant l’un le pouvoir spirituel et l’autre le pouvoir temporel. Le pape Pie VII, répondant à une insistante invitation, a dû venir tout exprès de Rome pour sacrer le jeune Empereur des Français à Notre-Dame de Paris. Il est représenté de profil, voûté, le chapeau à la main, déférent, tandis que Napoléon, vu de trois-quarts, occupe la place centrale et focalise les regards. Sous le prétexte d’une chasse, Napoléon, en habit de vénerie, rencontre le pape comme par hasard en forêt, au carrefour de la Croix de Saint-Hérem, d’une manière bien cavalière et désinvolte. Juchée sur un obélisque, une aigle domine la scène, indiquant qui est le maître des lieux. Éclatante d’or, elle semble dissiper les nuées et annoncer un règne radieux – c’était compter sans les orages que recelaient les ambiguïtés du présent.


Le pape séjourna cinq mois à Paris, et excita un grand intérêt de la part du peuple fidèle. David, ancien scénographe de la fête de l’Être suprême sous Robespierre, mué en « Premier peintre de Sa Majesté l’Empereur », s’employa à saisir ses traits. Lorsque l’artiste exposa en mars 1805 à la galerie du Sénat conservateur sis au palais du Luxembourg sa première version du Portrait de Pie VII, peinte aux Tuileries en février-mars 1805, le modèle résidait encore à Paris au pavillon de Flore, et était connu des Parisiens. Une large part de la critique loua David, naguère contempteur du gouvernement pontifical, pour sa représentation fidèle du pontife romain à qui il rend un hommage ambigu.

Le papier tenu par le pape porte une dédicace latine au datif, signifiant « À Pie VII, protecteur des Beaux-Arts », qualité que l’ancien conventionnel régicide reconnait au souverain pontife. Cette deuxième réplique du portrait, qui devait être offerte au pape, resta en France.


Deux rouages dociles du système napoléonien


Lors de la reprise de la lutte entre l’Empire et le sacerdoce, plusieurs acteurs, membres de l’appareil d’État ou de la hiérarchie de l’Église, se distinguèrent par leur zèle au service de l’Empereur. Cette crise atteignit un point aigu. Pie VII, enlevé de nuit de son palais du Quirinal en juillet 1809, un temps balloté dans l’Empire français, enfermé à Savone d’août 1809 à juin 1812, fut transféré de force à Fontainebleau où il arriva le 19 juin 1812.


Deux acteurs impliqués dans cette crise se dressent aujourd’hui placés en vis-à-vis, chacun sur une gaine, dans l’antichambre noire de l’« Appartement du Pape ». Jean-Baptiste Nompère de Champagny (1756-1834) fut un grand commis docile, un exécutant discipliné dans la main de l’Empereur. Il fut successivement conseiller d’État puis ministre, d’abord de l’Intérieur le 8 août 1804 en remplacement de Chaptal, puis des Relations extérieures, au départ de Talleyrand le 8 août 1807. Comte de l’Empire en 1808 puis titré duc de Cadore le 15 août 1809, Champagny est nommé le 9 septembre 1811 « intendant général des domaines de la Couronne », en remplacement du comte Daru, puis grand-chancelier de l’ordre de la Réunion, le 18 octobre suivant. Lorsque à l’issue d’un voyage contraint et chaotique, Pie VII arriva inopinément à Fontainebleau le 19 juin 1812, Champagny dut s’y précipiter le soir même pour l’accueillir et accréditer la fable de l’hospitalité impériale dans ce palais mué en geôle dorée pour le pontife, loin de Rome et dépouillé de ses États.


Le buste de ce dignitaire de l’Empire français fut exécuté par Giaccomo Spalla (1775-1834), qui portait le titre de « sculpteur de Sa Majesté Impériale et Royale dans les départements au-delà des Alpes ». Ce ciseau piémontais donna une sévérité antique aux traits massifs au visage carré du modèle, doté d’« yeux blancs » à l’imitation de la sculpture romaine. Grand-aigle de la Légion d’honneur en février 1805, l’intendant général des domaines de la Couronne en arbore le grand cordon, porté en sautoir et passant sur l’épaule droite, en une nette affirmation du rang occupé par ce rouage clé du système napoléonien.

En regard de ce représentant du pouvoir temporel apparaît celui du pouvoir spirituel, Mgr Duvoisin, évêque de Nantes enrôlé au service du César moderne. Jean-Baptiste Duvoisin (1748-1813), grand vicaire de l’évêque de Laon avant la Révolution, se soumit à la « Constitution civile du clergé », puis émigra en Angleterre en 1792. De retour en France après le Concordat de 1801, il ne tarda pas à attirer l’attention de Bonaparte qui le nomma évêque de Nantes en 1802 et lui accorda toute sa confiance. Appelé « notre nouveau Bossuet » par Talleyrand, évêque renégat d’Autun, Mgr Duvoisin fut comblé d’honneurs par le régime impérial.


Dans le conflit entre Pie VII et Napoléon Ier, Mgr Duvoisin fut un servile serviteur de l’Empereur. Lors du concile réuni à Paris en 1811, il prononça le 17 juin un discours aux convictions gallicanes affirmées. Pendant le séjour forcé de Pie VII à Savone (1809-1812), il fut l’un des six évêques français (avec ses confrères de Barral, Mannay, Bourlier, de Beaumont et de Pradt) envoyés en 1811 en mission auprès de Pie VII pour le fléchir. Durant l’emprisonnement du pape au palais impérial de Fontainebleau (juin 1812-janvier 1814), il prépara le terrain début 1813 pour la venue surprise de Napoléon. « Je ne le crois pas en état de soutenir une discussion ; il n’a que très peu de confiance dans les personnes qui l’entourent ... Cependant il me faut une réponse. J’épie le moment où je pourrai la lui demander sans lui causer trop d’émotion », écrivit Mgr Duvoisin à l’Empereur. Ses manœuvres contribuèrent à arracher au souverain pontife, épuisé et entouré de prélats gallicans acquis à l’Empereur, le « concordat de Fontainebleau » du 25 janvier 1813 – que Pie VII devait bientôt dénoncer sous l’influence des « cardinaux noirs » de retour auprès de lui. Dans l’immédiat, le complaisant Mgr Duvoisin toucha le salaire de son zèle, et en fut récompensé le 9 février 1813 par le titre conseiller d’État. Il mourut le 9 juillet 1813, exhortant Napoléon à une entente avec le pape, alors que le conflit entre le sacerdoce et l’Empire était dans l’impasse, suspendu au sort des armes. La commande officielle d’un buste en hermès visa à perpétuer le souvenir de ce collaborateur de l’Empereur. Le sculpteur De Bay Père (1779-1863) exécuta ce buste du défunt évêque de Nantes en 1813, l’année même de sa mort. L’artiste opta pour une mine grave et un air austère, correspondant au statut de l’évêque concordataire. Les traits massifs, les yeux blancs à l’antique, il est vêtu en habit ecclésiastique, porte sous le rabat une croix pectorale, et arbore les insignes de la Légion d’honneur (étoile) et de l’ordre de la Réunion fondé par Napoléon en 1811 (croix, plaque et grand-croix), en un signe d’allégeance appuyé au système impérial. La plaque de l’Ordre impérial de la Réunion offrait en effet une synthèse du Grand Empire. Au centre s’affichait le trône impérial, au pied duquel reposait la louve allaitant Romulus et Remus, emblème de Rome, devenue capitale de la Chrétienté, arrachée au pape et annexée à l’Empire en 1809. Cet affichage insistant, à trois reprises, de l’ordre impérial de la Réunion montre assez quel camp avait choisi le prélat. La chute de l’Empire entraîna la mutilation de ces références napoléoniennes. Au retour des Bourbons, la damnatio memoriae frappa ce serviteur trop zélé de l’Empereur.


Le fantôme de Pie VII, du Salon à Paris aux cimaises de Fontainebleau

Sous la Monarchie de Juillet, Achille Poirot (1797-1852), architecte et peintre spécialisé en vues de monuments, exposa au Salon de 1843 tenu au Musée royal des arts au Louvre une vue topographique, titrée "Vue de la cour du donjon au palais de Fontainebleau" (n° 962 du livret du Salon). Ce tableau, d’une grande fidélité, détaille la moitié de la cour Ovale. Le point de vue, pris depuis le vieux donjon capétien, embrasse la colonnade, l’avancée du portique dit « de Serlio », la porte du Baptistère dans l’axe médian de la composition, la cour « des cuisines » à l’arrière-plan, le pavillon dit du Tibre et les quatre baies factices édifiées par Henri IV à l’imitation et dans le prolongement de celles de la salle de Bal d’Henri II.


Cette vue topographique, peinte par un architecte précis plus à l’aise dans le rendu des bâtiments que des figures humaines, est aussi une scène historique. Elle révèle le désir de la Monarchie de Juillet, férue de peinture d’histoire, de composer un répertoire des « Fastes de Fontainebleau ». L’artiste, soucieux de véracité, a peuplé la cour de personnages en costumes du Premier Empire. Il a réparti personnages et accessoires en plusieurs groupes. À gauche, dans l’ombre, c’est une lourde voiture et des serviteurs portant la livrée verte de la Maison de l’Empereur. À droite, en pleine lumière, en un contraste accusé, c’est le pape, accompagné d’un officier et d’un religieux, donnant sa bénédiction à des fidèles agenouillés. Le livret détaille ainsi la scène : "Le pape Pie VII, au retour d’une promenade, donne sa bénédiction à des enfants malades". Cette iconographie, liée à la captivité du pape de juin 1812 à janvier 1814, est extrêmement rare. Autant le souvenir de la captivité de Pie VII est prégnant dans la toponymie du château de Fontainebleau – le premier étage de l’aile des Reines-Mères est appelé "appartement du Pape" –, autant est rare la représentation d’un épisode, réel ou fictif, de ce séjour dans ce palais devenu "geôle dorée" pour le nouveau "saint Pierre-aux-liens."


Ce retour muséal de l’acteur sur le lieu du drame est une préfiguration de la future salle « Napoléon en nouveau Constantin ». Cette séquence traitera de l’encadrement des religions dans le système impérial, et abordera singulièrement le catholicisme, religion "de la grande majorité des Français", de la paix religieuse retrouvée à la reprise de la lutte du Sacerdoce et de l’Empire. Ce sera une scansion forte du parcours du musée Napoléon Ier dont le redéploiement est prévu pour le 2 décembre 2028.

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