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Ponson du Terrail: L’empereur du roman-feuilleton

Il arrive que les circonstances établissent de curieux parallèles entre des personnalités venues d’horizons éloignés : tel est le cas pour Louis-Napoléon Bonaparte et l’écrivain Pierre-Alexis Ponson du Terrail. Leurs carrières, bien que très différentes, suivent néanmoins des trajectoires comparables. En 1852, tandis que le premier devient Empereur des Français, le second effectue une entrée triomphale en littérature. Ils se maintiennent tous deux au sommet, chacun dans leur domaine, durant près de vingt ans, avant de subir, ensemble, une chute brutale après la défaite de Sedan : l’exil pour l’un, la mort pour l’autre. Leurs rapports furent complexes, et si la figure de Napoléon III est passée à la postérité, il n’est pas inutile de revenir sur le parcours de Ponson du Terrail, le créateur de Rocambole : par le pouvoir de son imagination et bénéficiant des progrès de l’imprimerie ainsi que du développement de la lecture, il a sans doute mérité qu’on lui décerne le titre d’empereur du roman-feuilleton.

Maryan Guisy / docteur ès lettres

Pour commencer, une particularité « rocambolesque » dans la vie de Ponson du Terrail : son ascendance. Ne suppose-t-on pas, en effet, qu’une figure mythique de l’histoire de France appartiendrait à la longue lignée de ses ancêtres : un certain Pierre du Terrail, autrement dit le célèbre chevalier Bayard, héros des guerres d’Italie à la fin du xve siècle et au début du xvie ? Trois cents ans plus tard, riche sans doute de gènes prestigieux, Pierre-Alexis voit le jour le 8 juillet 1829 à Montmaur (Hautes-Alpes), près de Gap, de Marie Toscan du Terrail et Ferdinand de Ponson, dans la maison de campagne de son grand-père maternel.


UNE VOCATION LITTÉRAIRE PRÉCOCE

À l’âge de neuf ans, le jeune garçon doit quitter le cher environnement de sa petite enfance, ses bois et ses alpages, ainsi que son frère Henri et sa sœur aînée Hortense, afin de commencer des études classiques au collège d’Apt, où il entre en qualité de pensionnaire. Pierre s’y révèle un excellent élève, sauf en mathématiques. À seize ans, il poursuit son cursus scolaire au Collège Royal de Marseille. C’est là que se produit une rencontre déterminante pour la suite de sa vie, celle d’un dénommé Susini. Simple surveillant dans l’établissement, celui-ci avait tenté, quelques années auparavant, mais sans succès, de devenir écrivain à Paris. Il fait rêver le collégien chaque fois qu’avec un enthousiasme communicatif, il évoque la vie littéraire dans la capitale. Cela intéresse au plus haut point le jeune homme qui sent poindre en lui la vocation des lettres et a déjà composé quelques poèmes. Il ose d’ailleurs soumettre quelques vers à Susini, qui ne manque pas de l’encourager. Pierre est aussi un lecteur avide : Les Mille et Une Nuits, les romans de la Table ronde, Walter Scott, Eugène Sue, Balzac…


Ses parents ne partagent malheureusement pas son dessein : ils souhaitent qu’il devienne militaire et respecte ainsi la tradition familiale : son grand-père paternel a été capitaine de cavalerie et maréchal des logis, son père chevau-léger de la garde du roi, tandis que sa mère est la nièce d’un général de brigade. Pierre n’a donc pas le choix : il est décidé qu’il sera officier de marine. Toutefois, au grand dam de sa famille mais pour son bonheur à lui, il échoue à l’examen d’entrée à l’École Navale. Tous se trouvent brusquement face à la plus grande incertitude. C’est alors le bon Susini qui va jouer le rôle d’auxiliaire du destin : il lui suggère de déposer un de ses manuscrits dans un journal. La chance est avec l’auteur débutant qui publie sa première nouvelle, intitulée Un amour à seize ans, sous le pseudonyme de Georges Bruck, dans Le Courrier de Marseille. Suivront des poèmes au Sémaphore, autre journal de la cité phocéenne. À ce moment, l’ancien principal du collège d’Apt, qui accueille Pierre dans sa pension, ébloui par les facilités du jeune homme, estime nécessaire d’adresser un courrier à sa mère : « Madame, écrit-il, les résumés d’histoire de Monsieur votre fils son tellement remarquables que je ne doute pas qu’il ne soit un jour un des brillants écrivains de notre siècle. » (1) Pierre, dès lors, n’a plus qu’un seul désir : gagner Paris et se lancer dans les lettres. Ce n’est évidemment pas sans réticence que ses parents finissent par céder à sa volonté.


Pierre-Alexis arrive donc dans la capitale à la fin de l’année 1847, tout juste âgé de dix-huit ans. Ses débuts dans le monde littéraire sont difficiles. Au provincial inconnu, les directeurs de journaux et les éditeurs, ne souhaitant pas prendre de risques, préfèrent les auteurs que le public plébiscite : les Eugène Sue, Paul Féval et autre George Sand. Pour survivre, il parvient à publier de modestes textes, sous pseudonyme et dans des feuilles de seconde zone. Cette période de tâtonnements n’est toutefois pas sans utilité, il se cherche, expérimenté, se documente et avoue avoir finalement découvert sa manière personnelle de procéder en lisant ceci dans Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale, de Louis Reynaud : « Quelle était cette main ? Quelle était cette tête ? La suite au prochain numéro. » Il saisit qu’il y a là un continent encore vierge à explorer et exploiter : tenir le lecteur en haleine, créer un suspense, susciter l’attente. Il s’exerce en faisant un temps partie des auteurs prêtant leur plume à Alexandre Dumas et, à force de ténacité, fait paraître son premier roman, La Vraie Icarie, sous la signature Pierre du Terrail, dans L’Opinion publique, journal à tendance légitimiste. Le récit, livré en quatre feuilletons les 2, 4, 8 et 15 mars 1849, évoque le Paris agité de 1848 et condamne le communisme. Enfin, arrive la première œuvre de longue haleine, qui lui permet d’accéder au rang de feuilletoniste reconnu et s’intitule Les Coulisses du monde. Il s’agit cette fois d’un roman d’aventures criminelles inspiré du Comte de Monte-Cristo de Dumas, dont l’action se déroule sous Louis-Philippe. Il est publié en quatre-vingt-quinze livraisons, du 24 mai 1851 au 22 mars 1852, dans Le Journal des faits, puis en volume dès 1852.


LE « ROMANCIER À LA PLUME INFATIGABLE »

Sa carrière est alors lancée et il réussit à publier simultanément jusqu’à 5 feuilletons dans différents journaux, en particulier dans La Patrie, aux idées cette fois pro-impériales. Chaque roman est ensuite publié en livre. Citons La Baronne trépassée (1852), Bavolet (1855), Le Pacte de sang (1857). Il gravit un échelon supplémentaire avec Les Drames de Paris, commencés en 1857, car y apparaît pour la première fois le personnage qui fera sa gloire : Rocambole.


Sur le plan privé, Pierre-Alexis épouse, le 14 juin 1860, Louise Lucile Jarry, issue d’une riche et respectable famille bourgeoise de l’Orléanais. La jeune femme voue une véritable passion pour tout ce qui concerne la noblesse et, peut-être, le nom porté par Pierre-Alexis a-t-il favorisé le mariage. Si le couple vit à Paris, il dispose de deux résidences dans le Loiret : le château de la Reinerie, près de Fay-aux-Loges, appartenant au beau-père ; et une propriété à Donnery, acquise en 1861 par Pierre-Alexis.


Sa capacité créative est considérable. Non seulement il poursuit les aventures de son héros fétiche, Rocambole, mais il propose de nombreux autres titres, par exemple Le Masque rouge (1863), Le Bal des victimes (1864), La Seconde Jeunesse du roi Henri (1868)… Il est l’incroyable « romancier à la plume infatigable » (2). Son énergie est telle qu’en juillet 1861, il décide de lancer un hebdomadaire, qu’il choisit de baptiser Les Coulisses du monde, en souvenir de son premier succès romanesque. Il assure ainsi lui-même sa réclame dans cette publication composée d’une part d’une causerie (texte à mi-chemin de l’éditorial et de la chronique) et, d’autre part, de ses propres romans livrés par épisodes. L’aventure sera néanmoins relativement brève, puisqu’elle se terminera en janvier 1865.


UN « REPRÉSENTANT DE LA FAUNE ARTISTE »

Célèbre dans tout le pays, traduit à l’étranger, Ponson du Terrail amasse une importante fortune. Pour autant, il n’a jamais « posé », et conservera durant toute sa vie les goûts simples de sa jeunesse, par exemple la passion de la chasse acquise auprès de son père. Quand revient la saison, il quitte habituellement Paris pour la Reinerie, où il a plaisir à sillonner les forêts au milieu de sa meute hurlante. Lorsqu’il se rend à Simiane-la-Rotonde (Alpes-de-Haute-Provence), terre de ses parents, c’est pour y effectuer de longues promenades à cheval, et se ressourcer aux paysages de son enfance.

De même, dans la capitale, il se comporte avec naturel, se mêle au monde littéraire en bon camarade, s’y montre « un représentant typique de la faune artiste de l’époque » (3). Il fréquente les établissements où se réunissent les écrivains, le Café Anglais, Riche, Tortoni. Il dîne avec eux chez Dinochaux, surnommé le Restaurateur des Lettres, « qui fait crédit à la mesure du succès littéraire ».


UNE MORT PRÉMATURÉE ET MYSTÉRIEUSE

Cette existence bien réglée, mêlant harmonieusement l’écriture et les agréments de la vie, prend brusquement fin quand éclate la guerre de 1870. Ponson quitte Paris et rejoint l’Orléanais où, en bon patriote, il monte une compagnie de francs-tireurs. Mais le combat face aux Prussiens est déséquilibré et c’est de justesse qu’il parvient à leur échapper pour rejoindre Tours, puis Bordeaux, dans les premières journées de 1871. Il trouve à se loger dans le faubourg de Pessac. Bientôt, épuisé physiquement et moralement, il doit se mettre au lit. Le 18 janvier, son état s’étant dégradé, un médecin est appelé à son chevet et annonce qu’il est perdu. Il meurt en effet deux jours plus tard, âgé seulement de 41 ans. Plusieurs hypothèses ont été émises sur la cause de son décès. Pour certains, il aurait succombé à la suite de fièvres contractées dans le maquis ; pour d’autres, le quartier dans lequel il s’était réfugié avait été touché par une épidémie avant son arrivée, et c’est de la variole noire, sorte de peste, qu’il serait mort ; enfin, dernière supposition : il aurait attrapé la petite vérole dans certains quartiers douteux de Bordeaux où il se serait aventuré au motif de se documenter pour un futur récit… Si une part de mystère nimbe sa disparition, le sort réservé à sa dépouille est tout aussi inattendu. Ses obsèques ont lieu trois jours plus tard et, après la cérémonie religieuse, son corps est déposé au caveau provisoire du cimetière la Chartreuse, à Bordeaux, où il va rester pendant… sept ans, en raison, semble-t-il, d’un conflit entre sa mère et sa femme. Finalement, son corps est transféré à Paris et inhumé au cimetière Montmartre (18e division), le 9 mars 1878. Dernier affront : son nom, déjà absent des anthologies savantes où « populaire » s’oppose nécessairement à « littéraire », s’est aussi effacé de sa pierre tombale.


SURNOMMÉ « PONSON DU TRAVAIL »

À sa disparition, Ponson laisse une œuvre monumentale : plus de quatre-vingts romans résultant des 10 000 pages qu’il publiait en moyenne chaque année ! Face à une telle production, il est légitime de s’intéresser à sa méthode de travail. Et d’observer en premier lieu que, contrairement à Alexandre Dumas, il semble ne jamais avoir eu recours aux services d'autres plumes. Il s’est simplement, si l’on peut dire, astreint durant des années à suivre un emploi du temps d’une rigoureuse régularité. Sa journée type est la suivante : il se lève tôt et commence à écrire vers cinq heures du matin. Sollicitant son exceptionnelle mémoire, son imagination puissante et son talent de conteur, il rédige au galop et debout, disposant d’un pupitre par roman en cours et passant de l’un à l’autre avec une étonnante agilité. Après cinq à six heures d’intense création, il s’arrête : le moment est en effet venu, à la mi-journée, de faire déposer les textes qu’attendent les journaux. Pour chaque récit, Ponson suit les grandes lignes d’un plan préétabli, mais ne bâtit pas de scénario précis, se laissant guider par l’élan qui entraîne sa plume. Il indique d’ailleurs, dans un Rocambole : « Il faut compter sur l’imprévu[qui] donne de bonnes idées. » Si l’on peut relever quelques erreurs commises dans le déroulement des intrigues, il faut reconnaître qu’elles sont peu nombreuses. Signalons en outre ici qu’à l’instar de la plupart des compositeurs de musique, il lui arrive de réutiliser des morceaux déjà publiés, qui reparaissent sous d’autres titres.


L’après-midi, Ponson quitte son domicile. On peut le croiser dans une salle d’armes, ou en promenade amicale, voire galante, au Bois, ainsi que dans les cafés mentionnés plus haut. Là, immergé dans le monde réel, l’esprit en éveil, il continue à songer à ses romans, collectant anecdotes et informations qui les nourriront : « Qu’on ne croie pas, affirme Dalloz lors de ses obsèques, que les heures qu’il ne passait pas dans son cabinet de travail furent perdues pour ses œuvres. Il travaillait partout et toujours. […] Ses amis […] l’avaient surnommé "Ponson du Travail". » Quand arrive le soir, il est bien rare qu’il veille : en général, à neuf heures, il est couché.


La contrainte du temps qui s’impose à lui jour après jour génère un style nerveux, accentué par le fait que le genre privilégie l’action, les péripéties, les rebondissements, plutôt que l’épanchement des sentiments et les descriptions minutieuses. Ponson use de phrases brèves, souvent exclamatives et, en bon Provençal, s’exprime dans une langue vive et épicée. Tel un auteur dramatique, il met en scène ses récits, mêlant inventivité, suspense et ironie, employant abondamment les dialogues qui créent l’illusion de la réalité.


« UNE ŒUVRE REPRÉSENTATIVE DU SECOND EMPIRE »

Sur le plan thématique, Ponson est l’inventeur d’un genre, le « roman de cape et d’épée », dérivé du roman historique. L’expression est en effet apparue à la suite de la parution de son feuilleton La Cape et l’Épée (1855-1856). Mais son thème de prédilection est le crime, particulièrement le détournement d’héritage et les moyens mis en œuvre par les victimes afin d’obtenir justice. Le sujet de la vengeance et du triomphe final du bon droit, emprunté à Dumas et son Monte-Cristo, traverse toute l’œuvre de Ponson. Qu’il aborde le passé ou sa propre époque, il se veut aussi chroniqueur, il s’attache à en restituer les mœurs, les passions, les vices et les vertus. Il refuse le costume de l’historien académique, qui compile avec froideur les dates, les événements et les personnages. Mêlant récit policier et roman moral, « l’œuvre de Ponson du Terrail […] présente […] des caractères tout à fait nouveaux qui en font bien l’œuvre représentative de cette période de transition qu’est à maints égards le Second Empire ».


DES RAPPORTS COMPLEXES AVEC L’EMPEREUR

Comment peut-on qualifier ses relations avec le bonapartisme et celui qui en est alors l’illustre incarnation ? Elles sont pour le moins de nature ambiguë. L’écrivain, de convictions plutôt légitimistes eu égard aux services rendus au roi par ses ancêtres, manifeste néanmoins une neutralité bienveillante envers l’Empire, considérant probablement son intérêt personnel. En vérité, il est foncièrement apolitique, ce qui se vérifie par la variété d’opinions des journaux auxquels il a collaboré.


Si, en dénonçant le vol et le crime, il défend les valeurs morales chères au régime, Napoléon III regrette qu’il ne s’engage pas franchement à ses côtés. Il lui reproche même de le désavouer en prenant le parti des plus faibles et en portant ainsi implicitement le discours des Républicains. C’est la raison pour laquelle le romancier n’est pas convié aux Tuileries et que sa demande de Légion d’honneur est refusée par trois fois, avant d’être finalement acceptée, en 1866.


À tort ou à raison, l’Empereur sera à nouveau irrité contre lui en se voyant caricaturé par Gill sous les traits de Rocambole, en couverture de l’hebdomadaire satirique La Lune (17 novembre 1867).


POSTÉRITÉ DE PONSON ET ROCAMBOLE

Sans doute n’est-il pas vain de mesurer l’importance d’un créateur à l’influence qu’il continue d’exercer des décennies après sa disparition par la force génératrice de son œuvre. De ce point de vue, Pierre-Alexis Ponson du Terrail occupe une place éminente au panthéon des auteurs. D’abord, il est le père d’un héros immortel, Rocambole, qui « intervient comme sauveur, de l’extérieur, dans des intrigues qui ne le concernent nullement » (7). Ensuite, celui-ci a généré une descendance de personnages tout aussi connus et appréciés que lui : les Fantômas, Zorro, Superman, Arsène Lupin. Enfin, si Rocambole a su quitter le seul univers romanesque pour aborder le théâtre, le cinéma, la télévision et même la bande dessinée, qui sait s’il n’est pas appelé, un jour, comme Lupin, à conquérir un nouveau public à travers une série télévisée ?


QUI ÊTES-VOUS, ROCAMBOLE ?

D’abord personnage secondaire, Rocambole va peu à peu s’imposer pour devenir une figure mythique, qui a dépassé la notoriété de son créateur. À l’origine, c’est un escroc qui tente de capter les héritages et aboutit au bagne. Il renonce ensuite à son ancienne vie pour, à l’inverse, mettre son intelligence et sa force au service des faibles et de l’équité. Il use des moyens les plus divers pour parvenir à ses fins : séduction, ruse, magnétisme…

Un très large public l’adopte, y compris dans les milieux intellectuels les plus éminents puisque, par exemple, François Guizot, plusieurs fois ministre et Président du Conseil sous la monarchie de Juillet, suit ses aventures avec le plus vif intérêt. L’engouement est tel qu’une véhémente protestation s’élève à la mort du héros et que les lecteurs obtiennent son retour : ainsi paraît La Résurrection de Rocambole (1865-1866) ! Seul le décès de l’auteur mettra fin à la saga.


Ponson avait emprunté le mot « rocambole » au vocabulaire botanique, où il désigne une variété d’ail cultivée dans les pays méditerranéens. La sonorité et la signification lui ont plu pour caractériser son personnage. Le nom a par la suite produit l’adjectif rocambolesque, déclinaison qui honore le romancier car les exemples similaires sont rares : gargantuesque, pantagruélique, ubuesque ou encore bovarysme.


LE ROMAN-FEUILLETON

OU LA LITTÉRATURE « BAS-DE-PAGE »

On peut dater la naissance du roman-feuilleton au 1er juillet 1836, avec son apparition dans deux journaux créés ce jour-là : La Presse et Le Siècle. C’est dans le premier que Balzac publie notamment La Vieille Fille ou Le Curé de village, et dans le second que Dumas fait paraître Les Trois mousquetaires. Le genre, qui privilégie l’intrigue et les passions violentes, rencontre très vite la faveur du public, pour qui il constitue un moyen de se distraire peu coûteux. La presse de divertissement prospère dans le climat particulier du Second Empire qui voit aussi briller l’opérette et le vaudeville. Le roman-feuilleton remporte un succès si important qu’il inquiète, provoquant même la réprobation de l’élite culturelle et des milieux bien-pensants. On estime que la fiction débridée qu’il met en avant discrédite la raison et les convenances. Rien pourtant ne l’arrête, et il s’invite jusque dans les campagnes.

Pour les auteurs, il est un passage obligé : ils publient d’abord en feuilletons, puis en volume. Tous les plus grands s’y retrouvent, Balzac et Dumas, déjà cités, mais aussi Chateaubriand, Théophile Gautier, Barbey d’Aurevilly, Huysmans, Flaubert, Zola, George Sand, Jules Verne, sans parler des vedettes du genre que sont Eugène Sue, Paul Féval, Émile Gaboriau, Ponson du Terrail, Gustave Leroux ou Maurice Leblanc.

Placé dans un espace situé en partie basse de la première page (le « rez-de-chaussée »), le roman-feuilleton prend le nom de littérature « bas-de-page ». Sa palette est large : historique, sociale, exotique, scientifique, judiciaire. Il « a brisé les cadres de la librairie traditionnelle, pulvérisé les limites du lectorat ancien, fait reculer les frontières séparant la population pourvue de livres du peuple privé d’imprimés ». Son influence décline inexorablement après la Première Guerre mondiale.


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