top of page

Serge Lama « Napoléon vous prend de l’intérieur »

Issu du magazine Napoléon n°108


La comédie musicale « Napoléon » de Serge Lama a été créée en septembre 1984. Près de quarante ans après son formidable succès – avec notamment mille cinq cents représentations à travers le monde –, le chanteur s’est vu décerner au Club de l’Étoile à Paris, le dimanche 5 février 2023, un prix spécial lors du Festival Napoléon. Une récompense doublée, la semaine suivante, par la remise d’un prix d’honneur des Victoires de la musique. Dans cet entretien exclusif, il revient sur sa carrière, en particulier sur la place occupée par son spectacle historique.


Propos recueillis par David Chanteranne / rédacteur en chef

Quelle impression avez-vous, en recevant ce prix spécial du Festival Napoléon, presque quarante ans après la création du spectacle au théâtre de Marigny ?

J’ai été très étonné qu’on m’appelle, si longtemps après. Depuis plusieurs années, Napoléon était sorti de mes carnets. Il faut dire que notre époque actuelle n’est pas favorable à cette épopée : on prend Napoléon pour un guerrier à tout crin, alors qu’il n’a fait que continuer la Révolution, défendre ses acquis. Un peu comme aurait pu le faire Robespierre, mais différemment. Aujourd’hui, avec la guerre à nos portes, ce n’est pas très bien vu par une partie du public. Donc depuis plusieurs années, je parle moins de Napoléon.


Cette comédie musicale avait rencontré les faveurs des spectateurs…

Ce succès monstre, il s’est installé contre vents et marées. Déjà, en ce temps-là, personne n’était convaincu. J’ai eu du mal à défendre le projet. Au départ, mon idée était de faire davantage un tour de chant. En sortant du Châtelet, lors d’une discussion avec le directeur, il m’a avoué que cela lui paraissait impossible, d’autant que, au cours de ces années, je faisais trois mois au Palais des Congrès et qu’il ne pouvait me garantir un temps si long. Je pensais juste donc faire quelques dates au Châtelet, juste pour retrouver cette scène que j’aime tant. J’avais alors envisagé d’adapter la vie de Casanova en chansons. Mais les petits souliers, avec ma jambe et mon caractère, ne s’y prêtaient guère. Et en sortant du théâtre, sur la place, en voyant la colonne égyptienne, j’ai pensé à Napoléon.


Votre ressemblance avec l’Empereur vous avait-elle déjà été soulignée ?

L’évidence a facilité le rôle, mais pas plus que cela. On a souvent évoqué, dans les articles de journaux, que je prenais la scène comme Bonaparte avait pris le pont d’Arcole. Moi, je n’y pensais pas une seconde. Cela s’est fait à partir de cette révélation, en sortant du Châtelet, avec mon impresario. Nous avons tout de suite lancé le projet.


La récente sortie de votre album « Rouge » est saluée par la critique. Par rapport à votre carrière, à tous vos albums, à vos spectacles, quelle place occupent alors les chansons consacrées à Napoléon ?

C’est certainement mon plus beau disque. Tout a été merveilleusement arrangé à partir des musiques signées Yves Gilbert. Le paradoxe, c’est qu’il faut presque cacher ces chansons aujourd’hui. On évoque souvent la fin de la carrière de l’Empereur, en lui reprochant certaines erreurs. C’est vrai qu’il en a fait, mais en même temps il ne pouvait pas faire autrement. Il s’est battu toute sa vie contre l’Angleterre. Un pays qui, étonnamment, le considère de nos jours comme un héros. C’est aussi le cas en Asie. Tandis qu’en France, il est souvent détesté.


Votre intérêt et votre passion pour cette période historique vous viennent de vos parents, eux-mêmes musiciens ?

Pas du tout. Je vous assure qu’une fois la décision prise, je me suis donc empressé de prendre conseil auprès d’un ami historien qui m’a indiqué les ouvrages de Georges Bordonove, puis de Bainville, ainsi que ceux de Jean Tulard. Je me suis beaucoup documenté. Après avoir parcouru des centaines de livres pour y trouver des anecdotes, j’ai éclairé la deuxième partie du spectacle avec des clins d’œil. La fin de carrière de Napoléon, qui est très sombre, devait être agrémentée par des éléments plus légers.


Ce spectacle a été redonné il y a quelques années à Orange, en version symphonique, par le producteur Fabien Ramade. Plusieurs extraits ont aussi été joués à la Madeleine pour le Souvenir napoléonien en 2019, à l’occasion du deux-cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Napoléon, avec Amaclio. Serait-il, de nos jours, envisageable de remonter le spectacle dans son intégralité ?

La façon dont a été montée cette comédie musicale ne me paraît pas très démodée. Seulement, aujourd’hui, il faudrait la nourrir de plus de sections chantées, car les goûts du public ont changé. Mais le spectacle lui-même n’a pas vraiment vieilli, sur le plan de la conception.


Pensez-vous qu’il soit possible de retrouver une distribution aussi enthousiaste que vous l’étiez alors ?

Je ne suis certain de rien, c’est pour cette raison que je n’ai rien fait de ce côté-là. L’impact, ici en France, n’est pas assuré. Ailleurs ce serait envisageable, par exemple chez les Anglo-Saxons, notamment aux États-Unis. Le résultat aurait des chances d’être brillant.

Avez-vous eu du mal à vous défaire du rôle, à quitter l’uniforme comme l’on dit ?

J’ai à cette occasion conquis un autre public, plus intellectuel. Même si une partie de mes fans a fui, je l’ai retrouvé ensuite. Je suis ensuite revenu avec un nouveau tour de chant, accompagné d’un grand orchestre, et mon public ne m’a ensuite plus quitté. Ce qui fait que je n’ai plus essayé de redonner « Napoléon ». Je ne pouvais plus le jouer, parce que c’était un tel succès – un peu comme « La Cage aux Folles » –, que j’aurais pu m’y perdre. Imaginez : les touristes venaient visiter la tour Eiffel, voir l’Arc de Triomphe et entendre « Napoléon ». J’ai compris que je ne pourrais plus me sortir du bicorne. Napoléon est un satané bonhomme : il vous prend de l’intérieur, vous gagne. Aujourd’hui encore, je le ressens. J’ai décidé de moi-même de le quitter et de faire des choses différentes, en particulier en faisant de la comédie.


Avez-vous eu peur de vous laisser enfermer dans le rôle ?

Oui, après plusieurs mois, j’ai compris qu’il fallait que j’arrête. Cet homme, c’est comme s’il était encore vivant. Il vous prend jusqu’aux tripes, on ne sait plus comment s’en défaire. J’ai assez de forces et je me suis débattu pour me sortir du personnage, pour « rejaillir » – si je puis m’exprimer ainsi. D’ailleurs, si je m’étais laissé faire, j’aurais pu le jouer huit ans et c’était fini.


La préparation au rôle était-elle compliquée ? Comment vous mettiez-vous psychologiquement en situation chaque soir ?

J’ai eu un bon metteur en scène, Jacques Rosny, avec lequel nous avons écrit le scénario. Il a su m’apporter la confiance indispensable, les « armes » pour jouer Napoléon. Il m’a montré les écueils à éviter. Napoléon peut parfois vous emporter très loin, vous obliger à sur-jouer les émotions. Il ne faut pas être outré à chaque fois, mais garder un certain sang-froid. Je n’étais pas comédien, donc il fallait que je chante et que je dise le texte en même temps. Une captation, du fond de la salle du Marigny, existe. Ce n’est pas comme celle de Québec, qui est bien, mais à laquelle il manque de quelque chose. On voit toujours mieux d’un peu plus loin.


Y avait-il un risque de s’identifier au personnage ?

C’était un risque tous les jours. Un peu de la même façon que l’Angleterre lui a mordillé les jambes sans arrêt, lui aussi fait de même avec ses comédiens quand vous le jouez. Beaucoup d’acteurs qui l’ont interprété sont devenus fous. Plusieurs cas sont avérés, comme Albert Dieudonné, le plus connu. Guitry, qui a fait un admirable Napoléon, avait trouvé une astuce en faisant parfois jouer dans ses films Bonaparte et Napoléon par deux personnes différentes. Budgétairement, je ne pouvais pas me le permettre, mais j’aurais beaucoup aimé faire entrer sur scène un autre chanteur pour la première partie. J’avais moi-même déjà le rôle du narrateur, qui racontait le déroulé de la vie de Napoléon à la manière de Balzac. Cela aurait permis à Napoléon de voir apparaître, dans la deuxième partie du spectacle, un jeune Bonaparte qui serait venu lui murmurer à l’oreille : « Souviens-toi de tes serments ! ». Un peu comme une mouche virevolte autour de vous pour vous titiller.


Par rapport à vos autres chansons – « Les Ballons rouges », « Je suis malade », « Femmes, femmes, femmes » :–, quelle place occupe « Napoléon » dans votre carrière ?

Une place très importante. Jour après jour, je me suis détaché du personnage mais j’ai compris que j’avais des points communs avec lui. À chaque instant de sa vie, il se regardait agir, se voyait penser. C’est une chose que j’ai peut-être avec lui : savoir prendre du recul. J’arrive à conserver une distance, un regard, même quand je suis dans l’action. Grâce à tout cela, j’ai eu une vie merveilleuse. Je ne regrette rien.

Comentários


bottom of page