Bastion de la monarchie catholique, Cuba est une île stratégique dans le dispositif impérial espagnol aux Amériques. Durant toute la période révolutionnaire et impériale, elle reste loyale aux Bourbons et imperméable aux subversions en tout genre.
Gonzague Espinosa-Dassonneville / docteur en histoire, délégué du Souvenir napoléonien en Aquitaine
À la fin du xviiie siècle, Cuba est une capitainerie générale qui a sous sa juridiction d’immenses territoires : les deux provinces cubaines, Porto Rico, les Florides (jusqu’en 1817) et la Louisiane (jusqu’en 1801). L’île est la plaque tournante du commerce entre l’Espagne et l’Amérique. Placée sur la route de la Carrera de Indias (1), La Havane, sa capitale, tire bénéfice des passages de la flotte des Indes qui ramène du Nouveau Monde les métaux précieux et d’autres produits exotiques vers Cadix – ce port qui disposait du monopole commercial des échanges atlantiques jusqu’en 1778, date de la « libéralisation » à d’autres ports de la péninsule Ibérique, le commerce avec un port étranger restant proscrit. La Havane est également la ville la plus fortifiée de toute l’Amérique, servant de point d’appui à la marine espagnole.
Une île à sucre
Au cours du xviiie siècle, l’amorcement de l’économie de plantation sur l’île – généralement destinée à l’exportation vers l’Europe ou d’autres parties des possessions espagnoles – a entraîné un regain de la traite négrière. À la veille de la Révolution française, 90% de la population cubaine est noire (2). Le poids du sucre et du tabac (et plus tard du café) est primordial dans l’économie agraire insulaire mais, à titre de comparaison, les gains restent sans commune mesure avec ceux rapportés par la production de l’île voisine de Saint-Domingue. La « Perle des Antilles » rapportait en effet par an à la France 40 millions de pesos, soit quatre fois plus que ce que donnait l’Amérique à l’Espagne. Cet écart résultait de la médiocre mise en valeur de ses territoires.
La « saccharocratie » – l’aristocratie havanaise qui s’est enrichie grâce au sucre – réussit toutefois à accaparer les flux monétaires en provenance du Mexique et à accumuler le capital nécessaire au développement de l’économie sucrière. Elle concentre à la fois le pouvoir économique et le pouvoir politique local au sein du cabildo (3). Prospères et protégés, les commerçants manifestent ainsi un grand attachement à la Couronne, sentiment que le roi Charles III (1759-1788) et ses successeurs ont veillé à entretenir soigneusement, en multipliant, par exemple, les anoblissements. La prise de La Havane par les Britanniques en 1762 a toutefois été un véritable traumatisme pour l’Espagne, révélant les faiblesses de son édifice impérial. Dès 1763, elle entame la construction de la forteresse de San Carlos de la Cabaña, la plus importante d’Amérique.
Le nouvel ordre géopolitique en Amérique après la guerre de Sept Ans inquiète Madrid car elle voit désormais la Grande-Bretagne comme une menace permanente sur son empire qu’elle convoite. De grandes réformes politiques, militaires et commerciales sont opérées, non sans opposition. Cuba sert notamment de « laboratoire de la monarchie catholique »avant l’extension des réformes au reste de l’empire.
Terre de refuge
Le déclenchement de la Révolution française incite l’Espagne à la plus grande prudence. Elle désire empêcher la contagion révolutionnaire tout en souhaitant maintenir des relations diplomatiques avec la France. Mais petit à petit, tout Français résidant en Amérique ou tout Espagnol qui s'est laissé influencer par les idées subversives finit par être vu comme un suspect en puissance. Certains ont leurs biens séquestrés ou sont expulsés comme à Cuba dès novembre 1789, voire déportés à Cadix.
Ce sont surtout les Caraïbes qui sont les plus exposées à l’influence révolutionnaire des Antilles françaises. Entre 1791 et 1808, ce sont entre 20 000 à 30 000 Français de toutes conditions qui émigrent à Cuba. Ils fuient la révolte des esclaves à Saint-Domingue et, plus tard, la révolution haïtienne après l’échec de l’expédition du général Leclerc (entre 1801 et 1803) qui n’a pu se maintenir que grâce à l’aide alimentaire et financière envoyée par le capitaine général de Cuba, le marquis de Someruelos.
Les réfugiés français arrivent avec ce qu’ils ont pu sauver de leurs biens et quelques esclaves. Ils s’établissent principalement dans la partie orientale de l’île, notamment à Santiago de Cuba. Certains ont tout perdu et tentent de s’insérer dans la société cubaine. Très peu répondront aux offres de service anglais pour reprendre Saint-Domingue. Côté ibérique, ce sont près de 9 000 habitants qui fuient la partie espagnole de l’île (4) pour Cuba.
En 1795, l’île connaît des troubles du même genre, comme Curaçao et la Jamaïque voisine, mais ceux-ci sont vite contenus par le pouvoir colonial. La « liberté des Français » (abolition de l’esclavage) sert de porte-étendard aux révoltes d'esclaves et l'égalité de dénominateur commun aux noirs libres et aux mulâtres, voire aux blancs pauvres.
Les guerres révolutionnaires et les changements d’alliance de l’Espagne ont ainsi transformé ses possessions antillaises en terres de refuge des Français fuyant Haïti, puis des Dominicains ne souhaitant pas devenir citoyens français (5) ou échapper à l’invasion haïtienne, et des Trinidadiens refusant la domination britannique (6). Même le futur Louis-Philippe séjourne quelques temps en exil à La Havane (1798-1799) avant d’être prié de plier bagage par le roi d’Espagne pour éviter de contrarier le Directoire. Ces déplacements forcés de population vers Porto Rico et Cuba (surtout) renforcent leur image de bastions de l’Espagne dans les Caraïbes. Si Cuba possède son escadre, la majorité de ses territoires américains ne disposent pas de forces navales suffisantes pour défendre les côtes, au point que l’Espagne est obligée de faire appel à la France et à ses corsaires qui ne peuvent toutefois rien contre les puissants navires de guerre anglais.
Le boom sucrier
Les autorités coloniales ont vu d’un assez bon œil l’arrivée des réfugiés français, planteurs de canne à sucre et de café, techniciens et artisans, dont elles espèrent qu’ils sauront dynamiser l’économie insulaire. Une quinzaine d’entre eux s’engagent même dans les troupes insulaires. Les affranchis sont aussi accueillis mais restent sous l’étroite surveillance des autorités. Elles sont en revanche plus circonspectes envers les esclaves qui suivent les planteurs, car elles craignent qu’ils ne propagent des idées révolutionnaires dans l’île.
Les membres de la saccharocratie expriment leur « compassion » à l’égard de ces émigrés et promettent de « pleurer perpétuellement » sur la révolution survenue à Saint-Domingue. Mais, avec beaucoup de pragmatisme, ils voient aussi dans ces événements « l’opportunité de donner à notre agriculture un avantage définitif sur les Français ». Ces derniers apportent en effet un savoir-faire technique utile et une manne financière appréciable. Ils participent ainsi à la modernisation de l’appareil de production. Les moulins où sont broyées les cannes se perfectionnent, les voies de communication s’améliorent, etc. Les planteurs français sont à la tête d’exploitations de dimensions très diverses. Ils s’intéressent surtout au café, mais ils ont aussi une importance considérable dans le développement de la canne à sucre qui ne demandait qu’un coup de pouce. Les productions cubaines de sucre et de café augmenteront tout au long du xixe siècle, malgré une chute entre 1808 et 1815 en raison de la guerre et de l’expulsion des Français. Définitivement hors-jeu, Saint-Domingue cède la place à Cuba.
Le choix de la fidélité
En mai 1808, la crise inattendue de la monarchie catholique allait entraîner des conséquences incalculables. Rien, en effet, ne pouvait prévoir que Napoléon détrônerait les Bourbons d’Espagne. Véritable « big bang » commis au cœur même de l’empire espagnol, il déclenche un processus révolutionnaire dans une monarchie devenue brutalement acéphale. S’ensuivent alors plusieurs mois d’anarchie pendant lesquels les Espagnols des deux hémisphères se divisent pour savoir quelle autorité reconnaître, entre celle de Joseph, nouveau roi imposé par Napoléon, et celle de Ferdinand VII monté sur le trône quelques semaines plus tôt. Les partisans de ce dernier ont formé des juntas (7) dans de nombreuses villes d’Espagne, avant de se rassembler dans une Junte centrale (créée en septembre 1808) qui poursuit la lutte contre les armées napoléoniennes.
Les conséquences de cet enchaînement soudain d’événements imprévus ne tardent pas à se faire sentir en Amérique. À La Havane, la nouvelle du soulèvement du Dos de Mayo parvient à la connaissance du cabildo dès la fin mai mais la population n’en est informée que le 17 juillet. Pendant cet intervalle, la saccharocratie a pu analyser la situation politique avant de jurer finalement fidélité aux Bourbons qui l’a tant choyée. Elle est d’autant prête à défendre l’ordre ancien qu’elle sait que toute division entre blancs pouvait entraîner une révolution « à la haïtienne ». De plus, cet acte a l’avantage de ne rien changer à la situation. L’oligarchie continue à s’administrer en bonne intelligence avec le capitaine général et l’économie du sucre poursuit son essor. La nouvelle alliance avec le Royaume-Uni laisse même envisager de fructueuses opérations commerciales. Malgré l’application de la constitution libérale de Cadix (1812) qui lui enlevait une partie de son pouvoir, la saccharocratie réussit à sauvegarder l’essentiel de ses intérêts et de son influence. Son abolition en 1814 avec le retour de Ferdinand VII sera accueillie avec joie.
Lorsqu’une junte autonome est envisagée en 1808 – comme à peu près dans toutes les capitales de l’empire au nom du roi captif – par Francisco Arango, porte-parole des hacendados (8) de La Havane, il est contré par le général (et planteur) Montalvo, commandant en second de l’île. À cette proposition, on rapporte qu’il « interrompit Arango dans sa lecture et, frappant du poing sur la table, protesta qu’aucune junte suprême ou provinciale ne serait installée tant qu’il portait son épée et qu’il était en vie ». Soutenu par une majorité de notables et par le capitaine général, il parvient à tuer le projet dans l’œuf.
Le 17 juillet 1808, Someruelos annonce l’arrivée d’un certain nombre de publications de la toute nouvelle Junte suprême de Séville, laquelle s’était déclarée comme gouvernement légitime de l’Espagne durant la captivité de Ferdinand VII. Elle confirme les détails de la chute de la monarchie et l’usurpation du trône par un « odieux étranger ». Comme dans toute l’Amérique, ces nouvelles déclenchent une explosion de ferveur patriotique envers le roi captif. Soucieux de rallier la population de couleur, des textes anonymes n’hésitent pas à s’adresser directement à elle, relativisant ainsi la peur d’un soulèvement d’esclaves durant cette crise impériale. Cette stratégie s’appuie, notamment, sur les déclarations officielles de représentants des Noirs de La Havane, qui s’alignaient sur les positions de l’oligarchie. Monfundi Silimun, président d’un cabildo de nación (9), rédige un texte adressé à ses ouailles qui est sans ambiguïté : « Ce voleur de M. Bonaparte a tout volé au roi d’Espagne Ferdinand VII en trompant les Espagnols comme des dindons pour leur voler leurs terres, leurs pères, leurs enfants, leurs femmes et l’argent de leurs églises. […] Nous allons jurer devant M. le gouverneur la défense de La Havane jusqu’à mourir ensemble avec les Espagnols, défendre l’Espagne, Dieu Jésus-Christ, l’Église et le roi Ferdinand VII. » La politique conciliante de Someruelos n’était pas étrangère à ce ralliement, leur donnant des possibilités de progression individuelle au sein d’une société coloniale très inégalitaire.
Si le capitaine général critique « la conduite effroyable des Français » et célèbre l’héroïsme de la résistance espagnole, il entend toutefois calmer l’agitation populaire par une série de déclarations destinées à maintenir l’ordre public et à canaliser cette ferveur vers des activités plus productives comme des dons d’argent pour financer la guerre en Europe. Il encourage même à faire preuve de modération vis-à-vis des émigrés français. Mais dans le même temps, il mobilise les défenses de la colonie afin de prévenir d’une attaque potentielle de la France.
Tentatives napoléoniennes
Les premiers mois du gouvernement de Joseph ont été consacré à établir une politique conciliatrice soutenue par ses ministres afrancesados Azanza, Urquijo, O’Farrill (de Cuba) et Mazarredo. Leur ralliement résidait principalement dans le désir d’éviter un conflit qui dévasterait le royaume et entraînerait la perte de l’Amérique, dans l’existence d’un pouvoir central fort pour conjurer l’anarchie et l’espoir que la nouvelle dynastie appliquerait un plan de réformes modérées. Ils étaient confiants dans les liens d’amitié qu’ils entretenaient avec certains dirigeants des juntes, pensant les faire revenir sur leur engagement « séditieux ».
Les ministres ont ciblé Cuba pour sa position stratégique à proximité des États-Unis, servant de base d’opérations aux agents napoléoniens (cinquante-quatre Espagnols d’Europe et d’Amérique, six Français), et aussi pour sa forte colonie française, la plus importante de l’Amérique espagnole. Elle représentait alors 6% de la population globale de l’île et 22% de sa province orientale. Someruelos est également une cible de choix car c’est un proche des cercles éclairés et des ministres joséphins. C’est Urquijo, alors Premier ministre (1798-1800), qui l’avait fait nommer capitaine général de Cuba en 1799. Son beau-père, le comte de Montarco, a rallié Joseph, ce qui le rendait suspect aux yeux de Séville. À sa décharge, il n’était pas un homme de Godoy, le favori déchu, comme l’étaient beaucoup d’administrateurs coloniaux. Toujours est-il que Someruelos ne franchit pas le pas et reste fidèle à Ferdinand VII. Pour se laver de tout soupçon, il présente même sa démission, demandant à servir là où la Junte suprême le jugera utile. Celle-ci est refusée et il reste en poste jusqu’en 1812. Se conformant aux ordres, il a systématiquement brûlé publiquement les lettres que lui envoyaient les ministres afrancesados.
Malheureusement pour Joseph, ses agents ont commencé à agir en Amérique (1809-1810) au moment où la situation politique à Cuba – et dans le reste de l’Amérique – était déjà bien tranchée en faveur des Bourbons. La reprise en main de l’Espagne par Napoléon après la capitulation de Bailén avaient fait perdre un temps précieux dans la course à la reconnaissance des autorités compétentes. Celle-ci s’est jouée dès les premiers mois après les abdications de Bayonne. En dépit des efforts réalisés, les tentatives de Joseph se sont avérées infructueuses.
« Des vipères en notre sein »
Avec l’évolution de la situation en Europe, les réserves concernant les émigrés français ont commencé à croître, passant du statut d’alliés à celui d’ennemis. À la fin de l’année 1808, les inquiétudes justifiées quant à la véritable allégeance de ces résidents se sont transformées en hystérie, tant au sein de la population que des autorités coloniales. Ce changement d’attitude était le résultat d’une communication accrue avec la Junte suprême et des journaux havanais qui relayaient les combats en Espagne. Le gouverneur de la Floride occidentale signale à Someruelos qu’il a accueilli un réfugié français fuyant Cuba car il était persécuté en raison de sa nationalité.
À la fin février 1809, Someruelos distribue une copie d’une ordonnance datée du 1er novembre 1808 qui lui commandait d’empêcher « l’introduction dans les districts sous son commandement de toute personne inféodée au gouvernement français ainsi que des papiers séditieux ». Le 2 mars, les échevins de La Havane déclarent leur soutien à l’expulsion de la communauté française, dont les membres étaient considérés comme des « vipères en notre sein », citant, entre autres, leur « mauvaise conduite, leur immoralité, leurs mœurs dépravés [et] leur haine invétérée des habitudes, des coutumes et de la religion des Espagnols ». À ce moment-là, Someruelos a déjà établi des juntas de vigilancia (10) chargées de surveiller les Français.
Le 12 mars, dans un dernier effort pour calmer la montée de la xénophobie antifrançaise, le capitaine général donne des ordres pour « garder une surveillance prudente sur la conduite de la population française », « de veiller à ce qu’aucun émissaire français ou de partisans de leur cause trouvent leur chemin dans cette province » et de dénoncer aux autorités toute personne suspecte. Ces mesures sont cependant insuffisantes pour calmer les passions populaires. S’inclinant devant cette nouvelle réalité et cherchant peut-être à faire valoir ses propres preuves de loyauté, Someruelos décide d’ordonner l’expulsion des Français de l’île.
Sans surprise, la fusion des peurs populaires et des autorités s’est révélée inflammable. La Havane est ainsi secouée par plusieurs jours d’émeutes antifrançaises et de pillages (21-23 mars) déclenchées par une foule majoritairement noire, motivée par sa propre notion du patriotisme et de l’équité mais aussi par esprit d’opportunisme et de vengeance. Le pouvoir finit par maîtriser la situation au prix d’un abandon des poursuites, allant à l’encontre de ce qui s’était passé dans le reste de l’Amérique espagnole où le sentiment antifrançais a eu pour conséquence une autonomie favorable à Ferdinand VII représentée par des juntes locales et dirigées par les locaux. Au lieu de présenter les émeutiers comme des acteurs politiques, les autorités coloniales ont préféré les décrire comme des criminels de droit commun, minimisant ainsi la menace qu’ils pourraient représenter.
Après ces émeutes, la situation des résidents français est devenue intenable. En août, les autorités de Santiago de Cuba enregistrent le départ de 8 870 personnes. À la fin de l’année, la grande majorité des Français a quitté l’île, principalement en direction de La Nouvelle-Orléans où elle continue à exciter la suspicion du pouvoir espagnol. Seuls quelques-uns sont naturalisés ou sont protégés par l’oligarchie locale avec laquelle ils sont en affaire.
À rebours des indépendances
En absence de soutien de la métropole occupée par les Français jusqu’en 1813, Cuba constitue (avec Porto Rico) une base arrière sur laquelle les royalistes peuvent s’appuyer pour lutter contre le mouvement autonomiste (puis indépendantiste) dans les territoires américains. Après la défaite de Napoléon, elle sert de point de départ des troupes envoyées renforcer ou reconquérir des parcelles du continent avant de s’y replier une fois la défaite consommée.
En raison de la faiblesse de sa marine, l’Espagne doit se résoudre à faire appel à l’escadre anglaise de la Jamaïque pour éloigner les corsaires français et escorter ses navires. La course a pris en effet une grande ampleur dans les Caraïbes. À Cuba, on élabore des plans pour détruire ces corsaires dont les plus importants sont le Français Louis Aury et le Curacien Luis Brión qui se sont mis au service du Venezuela de Bolívar. Mais faute de navires, d’équipages, d’officiers qualifiés et d’argent, la lutte contre ces corsaires est désordonnée et inefficace.
Cuba n’est pas resté éloignée des soubresauts que connaît le reste des possessions espagnoles. Un complot indépendantiste ourdi par les membres présumés d’une loge maçonnique de La Havane est notamment découvert en 1810 et leurs auteurs condamnés à l’exil. Plus sérieuse est la révolte d’esclaves menée en 1812 par Juan Domingo Aponte, un officier de milice noir, qui finit par être écrasée. Certains avaient participé aux émeutes de 1809 et en parlaient comme de « la révolution des noirs quand ils attaquèrent et volèrent les Français ». Trois ans après les faits, elle révélait que l’émeute avait été bien plus grave qu’un crime de droit commun.
À la lecture des témoignages, on comprend que l’invasion de l’Espagne a causé moins d’émotion parmi les Cubains blancs que les éventuelles conséquences politiques qu’elle pourrait avoir parmi les esclaves et les affranchis. C’est pourquoi les créoles ont opté pour la « fidélité éternelle » à l’Espagne qui les protègerait, pensaient-ils, des mouvements révolutionnaires à venir. Mais parce que Cuba ne s’est libérée du « joug » colonial qu’en 1899, l’île n’a pas été considérée comme faisant partie du mouvement émancipateur, la geste héroïque des « romans nationaux » sud-américains.
(1) La Havane, Veracruz, isthme de Panama, Carthagène des Indes, Callao (port de Lima).
(2) 465 000 esclaves, 28 000 libres de couleur et 31 000 blancs.
(3) Conseil municipal.
(4) Santo Domingo, l’actuelle République dominicaine.
(5) En 1795, l’Espagne avait cédé Santo Domingo à la France par le traité de Bâle.
(6) La Trinité fut prise à l’Espagne en 1797.
(7) Assemblées.
(8) Propriétaires terriens.
(9) Association ethnico-religieuse tenue par des Noirs.
(10) Comités de vigilance.
Bibliographie
Dominique Gonçalves, Le planteur et le roi. L’aristocratie havanaise et la Couronne d’Espagne (1763-1838), Madrid, Casa de Velázquez, 2008. I Sigfrido Vázquez Cienfuegos, Tan difíciles tiempos para Cuba. El gobierno del Marqués de Someruelos (1799-1812), Séville, Université de Séville, 2008. I Emmanuel Vincenot, Histoire de La Havane, Paris, Fayard, 2016.
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