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Vaillant le fidèle

Jean-Baptiste Vaillant fait partie de ces maréchaux oubliés de l’histoire et même du Second Empire, éclipsé par Mac Mahon, Castellane, Niel ou encore par le triste Bazaine. Pourtant, il occupe une place centrale dans l’appareil d’État impérial faisant partie des intimes de l’Empereur et sa personnalité à la fois rude et bienveillante a su souvent charmer les contemporains.

Franck Favier / historien


Né à Dijon, le 6 décembre 1790, deuxième de sept enfants, Jean-Baptiste connaît une enfance heureuse au sein d’une famille de bourgeoisie de robe ; son grand père était procureur en la chambre des comptes. Son père, Hubert-François, est tout à tour receveur en survivance de chancellerie près du parlement de Dijon, administrateur du département puis secrétaire général de la préfecture de la Côte d’Or. Il est donc un homme compétent résistant à tous les régimes qui se succédèrent entre 1789 et 1814. Il s’engage cependant en politique pendant les Cent-Jours, comme élu à la Chambre des représentants convoquée par l’Empereur, ce qui lui vaut à cinquante-cinq ans la révocation.


Les origines sont donc somme toute ordinaires même si Vaillant insistera par la suite sur la modestie de sa situation familiale pour mieux valoriser ses mérites. Après des études dans les meilleures institutions de Dijon, il choisit la carrière militaire et est admis à l’École polytechnique en 1807, puis à l’École du génie de Metz dont il sort en 1809, major de promotion et lieutenant du génie.

Il sert alors dans les dernières campagnes de l’Empire à partir de 1811, successivement détaché aux travaux de défense de Dantzig, puis au parc général de la Grande Armée dans un premier temps. Au début de la campagne de Russie, il doit construire un grand pont de bateaux sur la Vistule destiné au passage de la Grande Armée et a le plaisir de rencontrer l’Empereur à Marienwerder.


Capitaine en second de sapeurs à partir du 21 août 1812, il commande par la suite la 7e compagnie du 5e bataillon de sapeurs attaché à la 31e division d’infanterie lors de la suite de la campagne.


Auprès du général Haxo

En mars 1813, il est nommé comme aide de camp auprès du général Haxo qu’il suit à Magdebourg dans son gouvernement. Il participe alors à la campagne de Saxe et reçoit des mains de Napoléon la Légion d’honneur en août 1813. Mais à la bataille de Kulm (Bohème), le 30 août, il est fait prisonnier et interné dans un village serbe pendant neuf mois, libéré seulement après la chute de l’Empire.


Reclassé capitaine de seconde classe à l’état-major du génie en juillet 1814, il redevient aide de camp d’Haxo. Pendant les Cent-Jours, il participe aux travaux de défense de Paris, puis à la campagne de Belgique, à Ligny et à Waterloo, et sert dans l’armée de la Loire.

Pendant la Restauration, la protection d’Haxo lui évite d’être placé en demi-solde. Il entre à l’état-major du génie mais son avancement est ralenti jusqu’en 1830 (il est cependant nommé chef de bataillon en 1826). L’expédition d’Alger aux côtés d’Haxo lui permet de reprendre une activité fournie. Il participe à la prise de la ville et est blessé : il aura la jambe cassée et une partie du mollet arrachée, ce qui l’immobilise pendant cinq mois.

Lieutenant-colonel le 30 avril 1831, il est à nouveau attaché à l’état-major du génie et au comité de fortifications. Lors de la guerre des dix jours qui opposent les Pays-Bas et la toute nouvelle Belgique, il participe à l’offensive française à la demande du roi des Belges, Léopold Ier. Aux côtés de son supérieur et ami, le général Haxo, il obtient la reddition de la place d’Anvers en décembre 1832.


Colonel en 1833, commandant du 2e régiment du génie (fonction qu’il gardera jusqu’en 1837), Vaillant accède en 1838, à la mort d’Haxo – « le Vauban du xixe siècle » –, aux fonctions de directeur général des fortifications. Ses promotions ne cessent plus : en 1839, il devient commandant de l’École polytechnique, dirige en 1840 les travaux de fortifications de Paris demandé par Adolphe Thiers. En 1845, il est promu lieutenant-général.


Le changement de régime politique ne modifie pas sa progression. En 1848, il est nommé inspecteur général et entre, dès le 8 mars, dans la commission chargée de traiter les affaires militaires.


Dans le sillage du nouvel homme fort

Sa rencontre avec Louis-Napoléon Bonaparte, devenu président de la République en décembre 1848, lui donne l’occasion de prolonger une carrière à près de soixante ans. Les deux hommes se rencontrent, se plaisent et établissent un climat de confiance entre eux.

Des missions lui sont confiées : le 11 mai 1849, il reçoit le commandement de génie du corps expéditionnaire chargé de rétablir le pape Pie IX à Rome. Comme second du général Oudinot, duc de Reggio, il doit intervenir dans le jeu diplomatique et militaire complexe entre le Prince-Président, le ministère, le corps expéditionnaire, le triumvirat romain et Ferdinand de Lesseps, envoyé comme conciliateur par le gouvernement français. Les deux mois de siège et la prise de la ville, le 3 juillet 1849, lui permettent à nouveau de montrer sa valeur et d’être nommé grand-croix de la Légion d’honneur (12 juillet 1849) mais aussi comte romain par le pape (4 avril 1850, grand-croix de l’ordre des états pontificaux). L’Algérie reste aussi l’une des destinations de ses nombreuses missions. C’est d’ailleurs au retour d’une d’entre elles qu’il apprend le coup d’État du 2 décembre et son élévation à la dignité de maréchal de France, le 11 décembre 1851. Il soutiendra toujours que son élévation avait été faite à bon marché, l’expliquant par l’estime que lui portait le nouvel empereur. Il adopte alors la devise : « Terreur de la guerre, noblesse de la paix. »


Les honneurs se poursuivent : il entre au Sénat et est nommé grand maréchal du Palais après le rétablissement de l’Empire, le 31 décembre 1852. Le service du grand maréchal (2) avait été organisé sous le Premier Empire et servit de modèle à Napoléon III. Divisé en nombreux sous-services, cela donnait, par exemple, la mainmise sur les palais impériaux, tant pour leur sécurité que pour leur entretien et leur embellissement. À ce titre, il participe à l’aménagement du Louvre, des Tuileries, du théâtre de Fontainebleau, mais aussi des bois de Boulogne et de Vincennes. Le grand maréchal cumule également le service d’honneur, la correspondance, le service de bouche, une maison militaire, etc. À ce titre, Vaillant jouit d’une grande proximité avec l’Empereur, l’amenant à le côtoyer quotidiennement et à entretenir une relation de grande confiance. Il est d’ailleurs fasciné par le souverain auquel il reconnaît une supériorité intellectuelle, estimant que « ce diable d’homme lui ferait convenir que deux et deux font cinq ». Napoléon III l’apprécie tellement qu’il le place en 1854 à la tête de la première commission chargée de recueillir et de publier la correspondance de son oncle, Napoléon Ier.


Le cumul des fonctions ne fait pas peur à Vaillant puisque, de 1854 à 1859, il est aussi ministre de la Guerre en remplacement de Saint Arnaud, nommé au commandement en chef de l’armée d’Orient en partance pour la Crimée. À ce titre, il sait se montrer indispensable : établissement de l’armée à Gallipoli pour se porter au secours du Sultan ou attaquer les Russes en Crimée, organisation du ravitaillement de l’armée sur les rives de la mer noire, développement du système de santé, notamment par la construction de l’hôpital Bégin à Vincennes.


Les opérations, lors de la guerre de Crimée, se concentrent autour de Sébastopol dont le siège promet alors d’être long. Vaillant envisage de se déplacer pour utiliser ses connaissances en fortifications, ce qui sera refusé par l’Empereur mais il soutient le général Pélissier dans son commandement, malgré l’échec de l’offensive du 18 juin 1855. La place-forte de Crimée tombe le 12 septembre 1855 et amène les Russes à négocier (4).


À la fin de la guerre, il entreprend de réorganiser l’armée et adresse un rapport à l’Empereur : réforme de l’enseignement des écoles militaires, dotation d’un nouveau fusil rayé et d’un nouveau canon d’une portée de 3 000 m, mise en place de conseils de guerre permanents, création du camp de Châlons permettant de faire manœuvrer 30 000 hommes…

Le cas algérien l’intéresse ; en 1857, il rédige un rapport sur la colonie, témoignage passionnant mais un peu idyllique de la colonisation (5) : « Dans cette œuvre de patience, le gouvernement a été merveilleusement secondé par les bureaux arabes. C’est à leurs efforts, habilement dirigés, que j’attribue et cette tendance des indigènes à oublier la guerre pour se porter vers l’agriculture et cette tranquillité sans exemple dont le pays a joui depuis plusieurs années. Tout entier aux travaux agricoles, aux transactions commerciales, l’Arabe accepte sans défiance les garanties et les bienfaits de notre administration et commence à les apprécier. » Partisan, comme l’Empereur, d’un grand Royaume arabe, il annote la lettre de l’Empereur appelée politique de la France en Algérie (6) en 1865.


Des charges de plus en plus théoriques

Vaillant doit abandonner son ministère lors des prémices de la guerre d’Italie en 1859. Accusé par le major-général Randon d’avoir mal préparé les opérations militaires en amont (pour autant il organise les premiers transports de troupes en chemin de fer de l’histoire militaire), il est remplacé par l’Empereur, largement fautif d’avoir trop attendu pour déclencher le conflit. Une permutation est faite entre Randon et Vaillant, devenu alors major-général de l’armée d’Italie. Son rôle alors est la mise en forme des intentions stratégiques de l’Empereur et leurs transmissions aux corps d’armée. Présent lors de la bataille de Solférino (24 juin 1859), il reste à la tête de l’armée jusqu’en mai 1860, après l’entrevue de Villafranca et le retour de l’Empereur à Paris.


Vaillant a alors soixante-dix ans et ses fonctions nombreuses deviennent de plus en plus théoriques. En 1860, il cumule avec sa charge de grand maréchal du palais, le commandement militaire du palais des Tuileries et le ministère de la Maison de l’Empereur (en remplacement d’Achille Fould). Par la suite, il ajoute le ministère des Beaux-arts, s’attirant cette remarque ironique du polémiste Rochefort : « Il a probablement appris à connaître les tableaux dans les cadres de l’armée. » Le ministre réforme cependant l’école des Beaux-arts, est à l’origine du décret sur la liberté des théâtres et de l’organisation d’une certaine décentralisation des expositions muséales.


En dehors de ses activités nationales, on lui doit aussi la mise au point du règlement des courses de chevaux du 16 mars 1866, toujours en vigueur aujourd’hui pour l’essentiel pour la société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France. Son attachement pour Dijon est également réel : conseiller général en 1858, il dirige le conseil général jusqu’en 1870. Il est aussi membre d’honneur de l’académie de Dijon. Extrêmement populaire, il a, de son vivant, sa rue natale rebaptisée à son nom.

Dans la vie quotidienne, Vaillant se révèle simple et attachant, répondant aux courriers des plus humbles, recevant à son ministère en simple veston. Les journaux de l’époque sont friands de toutes ces histoires où le maréchal est confondu avec le concierge du ministère, avec sa plus grande malice, lui, le grand amateur par ailleurs de calembours, très en vogue sous le Second Empire.


Il a également plusieurs jardins plus ou moins secrets : le jardinage d’abord, l’Empereur lui ayant concédé la jouissance d’un jardin dans le bois de Vincennes (à Nogent-sur-Marne), il s’adonne à la culture des roses, à l’apiculture mais aussi à la météorologie (auteur d’un traité sur les orages). Son attachement à sa chienne Brusca (7) l’entraîne à devenir membre de la société protectrice des animaux.


Moments de douceur dans une vie privée difficile : célibataire jusqu’à cinquante-deux ans, il épouse en 1843 Pervenche Frotier de La Coste-Messelière (née en 1797), fille du marquis de La Coste Messelière, ministre plénipotentiaire, député de la noblesse aux états généraux de 1789, et veuve du général Haxo.


L’union n’est pas heureuse et sans enfants ; pour autant, le maréchal se lie avec un neveu par alliance, Pierre-Elie Hémart de La Charmoye, chef d’escadrons de cavalerie : « Je vous aimerai toujours. Seulement, il est triste que votre nom soit lié aux plus douloureux souvenirs de ma vie. Je pressentais du reste ce qui devait m’arriver et mes longues hésitations en sont la preuve. Je cherchais le bonheur du foyer domestique… La haine s’y est assisse depuis quinze ans. Avez-vous entendu dire que je battais ? C’est un fait acquis à Paris, à Antibes… partout à peu près. Assez sur ce sujet, il est trop triste. »


La fin de l’Empire

La fin de l’Empire est difficile pour Vaillant, devenu alors octogénaire. La mise en place du gouvernement d’Émile Ollivier, le 2 janvier 1870, le place malgré les efforts de l’Empereur pour le conserver, dans une position subalterne, ne participant plus au conseil bien que demeurant ministre de la Maison de l’Empereur. Il n’est pas ensuite retenu dans le ministère constitué le 9 août par le général Cousin-Montauban, comte de Palikao, mais retrouve sa place au conseil en à la fin du mois d’août pour prendre la tête du comité de défense des fortifications de Paris.


La proclamation de la République lui fait perdre naturellement son poste ministériel mais il conserve dans un premier temps sa place au comité de défense. Victime le 16 septembre d’une agression lors d’une inspection des fortifications par des gardes nationaux qui voyaient en lui un « espion prussien », le vieux maréchal démissionne et part pour s’installer à Parthenay dans les Deux-Sèvres où il rédige quelques souvenirs sans aller vers des mémoires. Il reçoit à la fin octobre, l’ordre de quitter la France. Il se réfugie dans un premier temps au Pays basque espagnol puis obtient du gouvernement Thiers l’autorisation de s’installer à Biarritz, puis à Dijon.


Il décède à Paris le 4 juin 1872. Les funérailles nationales étant impossibles du fait du changement de régime, Vaillant a droit néanmoins à des obsèques solennelles à Paris, puis à Dijon où il est inhumé au cimetière municipal.

Le maréchal dont les traitements cumulés dépassaient annuellement 260 000 francs mourut presque sans fortune, le 1er février 1872. Il légua par testament 40 000 francs à l’Académie des Sciences dont il était membre libre depuis 1853.

Vaillant, personnage de l’ombre, incarne la fidélité au régime napoléonien, fidélité à la fois militaire mais aussi populaire. Il a su se rendre indispensable aux côtés de l’Empereur pendant la première décennie du règne. Son vieillissement correspond aux difficultés du régime, balayé en septembre 1870.


Une rencontre avec Napoléon Ier

À Marienwerder, Vaillant a l’honneur à rencontrer l’Empereur. Il en fait état dans une note de quelques pages datée du 2 août 1865, figurant dans son dossier militaire au SHD : « Je reçus l’Empereur au débouché du grand pont de bateaux que nous avions sur la Vistule, à Marienwerder. L’Empereur déjeuna chez moi, sur ma table de travail (du pain et du lait) puis nous fîmes à pied le tour de l’immense tête de pont. Les questions nombreuses que m’adressa l’Empereur furent toutes profondes, instructives et comme il savait les adresser, j’étais bien jeune, bien inexpérimenté et cependant il eut la bonté de me dire qu’il était content. J’avais moins peur de lui en 1812 que de l’Empereur Napoléon III cinquante ans plus tard ! À quoi cela tient-il ? Certes, ce n’est pas moi qui pourrais dire que le neveu est moins excellent que l’oncle. »


La chienne Brusca

1859, bataille de Solférino. Le maréchal Vaillant est alors chef d’état-major de l’armée d’Italie. Parcourant le champ de bataille après les combats, le maréchal est attiré par un monceau de cadavres d’où s’échappaient des jappements plaintifs. Il y découvre une petite chienne gémissante et blessée qu’il recueille et soigne. Il le ramène en France et s’en prend d’affection au point de lui écrire des vers : « Celle dont une main capable d’autre gloire a peint ici les traits, fut un jour de victoire, prise aux champs de Solférino. Ne me demandez pas si ma chienne fidèle était pure de race, était noble, était belle ? Captive, elle sentait le poids de son anneau ! Mais, ce que nul pinceau ne saurait reproduire : c’est son intelligence et les dons de son cœur, sa folâtre gaité, son charme, sa douceur. L’ardent attachement que son œil fait reluire, cet œil reconnaissant, je dirai ce sourire qui triomphe de son vainqueur. » Cet amour du maréchal pour son animal fut tellement connu qu’il donna lieu à nombre d’articles de presse (Le Gaulois, 27 juillet 1869) mais aussi la réception, par le maréchal, de nombreux vers de poètes pour sa chienne.


La nomination du duc de Malakoff

L’Empereur entretient avec Vaillant, des relations suivies notamment de conseils souvent respectés, ce qui est le cas dans cette courte correspondance après la guerre de Crimée : « Plombières, 12 juillet 1856. Pelissier va arriver ; je voudrais bien le nommer duc de Malakoff ; ce serait le seul nom possible parce qu’il ne peut exciter aucune jalousie. Mais qu’en pensez-vous ? Qu’en pense le conseil ? Voilà ce que je vous soumets en confidence… »

Réponse de Vaillant (13 juillet) : « Je trouve l’idée de l’Empereur digne, convenable de tous point. C’est à la constance, à la fermeté d’âme de Pelissier que votre majesté a dû ce grand succès de ses armes et cette glorieuse paix qui en a été la conséquence… Mais une prière, sire : que Pelissier soit le seul récompensé de cette manière, seul, entendez bien, absolument seul ! Fermez votre oreille et surtout votre cœur aux sollicitations qui ne manqueront pas de se produire. Dîtes nettement aux demandeurs quels qu’ils soient : “Donnez-moi un second Malakoff et je ferai un second duc.” » Ce qui est fait le 22 juillet (archives de Côte d’or, 11 F.



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